Partant pour le dialogue national d’Ali Bongo, le président de la Convention nationale de l’interposition (CNI) entend soumettre un ensemble de propositions au cours de cette concertation. Dans cette interview accordée à Gabonreview, l’ancien candidat à la dernière présidentielle plaide notamment pour la mise en place d’une commission «Vérité et Réconciliation», pour sortir le pays de la crispation actuelle.
Gabonreview : Peu après la proclamation des résultats de la dernière présidentielle, par le ministre de l’Intérieur, vous avez accepté de vive voix le dialogue appelé par Ali Bongo. Le Premier ministre vous a-t-il consulté à cet effet ?
Dieudonné Minlama : Avant tout, je tiens à rappeler que pendant les émeutes, après la proclamation des élections, j’ai organisé une conférence de presse où j’ai été très clair : J’ai demandé au président de la République d’aller directement au dialogue avec les autres Gabonais. Je l’ai ensuite rencontré et nous avons discuté de vive voix. Après, le président, par l’entremise de son porte-parole du gouvernement, a officiellement annoncé la tenue du dialogue national. Je l’ai accepté car, comme je n’ai de cesse de le rappeler : je me bats pour le dialogue depuis 2011. D’autant que cette concertation est une nécessité, un impératif. J’ai par la suite rencontré le Premier ministre, avec lequel nous avons échangé sur ce que je pense du dialogue national. En ce qui me concerne, je suis prêt pour cette concertation.
Quel serait le poids de Dieudonné Minlama dans le cadre de votre participation à ce dialogue ? Qu’allez-vous proposer, concrètement, pour sortir le pays de l’impasse actuelle ?
Je ne parlerai pas de poids, mais de la pertinence des idées défendues pour sortir le pays de l’impasse. Le dialogue pour lequel je milite est multidimensionnel. Ainsi, mon premier combat est d’éviter que nous ayons un «dialogue-anonymat», qui s’articulerait uniquement autour de la dernière élection présidentielle. D’autant que ce dialogue avait déjà été appelé de tous ses vœux par le chef de l’Etat, bien avant le scrutin du 27 août dernier. Pour moi, ce dialogue devrait essentiellement tourner autour des réformes politiques, qui aboutiraient à la réforme de notre Constitution, des institutions électorales, de la loi électorale, à un équilibre institutionnel, à un nouveau découpage électoral, etc. Au-delà du cadre politique, il y a également le cadre social. Depuis 1990, le Gabon est en grève et ce dans tous les secteurs d’activité. Ce qui est très alarmant.
Je crois qu’il est temps que nous nous asseyons pour régler ces problèmes qui minent le corps social national. Ainsi s’articule le deuxième axe sur lequel je souhaiterais que nous travaillions. Le dernier est celui que j’ai appelé la «face sombre de l’héritage Bongo». En 2009, Omar Bongo avait fait le bilan de son action politique et son intime conviction était que chacun de nous méritait mieux. Je milite ainsi pour la mise en place d’une commission «Vérité et Réconciliation». Ce dialogue auquel nous aspirons doit nous amener à nous pencher sur la gestion du pays avec, en filigrane, la réconciliation entre la classe politique et le peuple Gabonais. Car la crise de confiance entre les deux camps est palpable.
En tant que candidat de l’interposition à la dernière élection présidentielle, pourquoi n’avez-vous pas pris part au dialogue de Jean Ping ? Pensez-vous que cette concertation était inapte à trouver des solutions aux problèmes du Gabon ?
Je ne voudrai pas faire dans le sectarisme. Je suis pour un dialogue avec tous les Gabonais. Il y a deux ans, la société civile était sur le point d’organiser un dialogue. Et à ce moment-là, j’avais dit à mes pairs que nous ne voulons pas d’un monologue, avec uniquement les acteurs de la société civile. Mais un véritable dialogue, où toutes les sensibilités sont représentées. J’ai remarqué que les gens se sont réunis autour du président Jean Ping, ce qui est bien. Mais, à mon avis, la vision était la même à cette concertation.
Or, moi je veux quelque chose de beaucoup plus contradictoire. Je souhaite donc que ceux qui sont avec Jean Ping, avec Ali Bongo, ou avec moi dans l’interposition, se retrouvent. C’est un moment important de l’histoire politique de notre pays. En gros, je m’attends à un dialogue où toutes les sensibilités seront représentées. Pour que les conclusions et recommandations issues de cette concertation, puissent être applicables pour le bien pays.
Pendant la campagne présidentielle, vous vous êtes attaqué aux dirigeants de l’opposition qui auraient détourné des deniers publics, en évitant soigneusement d’en faire de même avec ceux du pouvoir. Parti pris ou manque de courage ?
Ni l’un ni l’autre ! Je pense que mes propos n’avaient pas fidèlement été relayés par les médias. J’ai reproché au pouvoir de n’avoir pas construit des écoles, des logements sociaux. Pourtant des budgets ont été votés pour ces chantiers…En gros j’ai fais des reproches à l’ensemble de la classe politique gabonaise, comme l’avais déjà fait le président Omar Bongo en 2007. Celui-ci avait déploré le fait que l’argent décaissé pour construire les routes, a été détourné par les uns et les autres. Et il s’avère aujourd’hui, que les un et les autres sont aussi bien dans l’opposition que la majorité. Je me suis donc insurgé contre la même classe politique qui a mis le pays à terre, et qui continue à le piller.
Il y a quelques jours, Hervé Opiangah, un des plus proches collaborateurs du chef de l’Etat, a indexé certaines personnalités du camp présidentiel comme de grands détourneurs de la République. Vous n’avez toujours rien dit à ce sujet. Ne pensez-vous pas que ces cas qui cachent un phénomène beaucoup plus vaste, doivent donner lieu à une enquête approfondie ?
Je tiens avant tout à féliciter Hervé Opiangah. Je le connais courageux et j’imagine que sa démarche n’est pas fortuite : c’est quelqu’un qui pèse ses mots. Il a cité nommément certains responsables, même si je pense que cette liste aurait pu être allongée. C’est pour ce genre de choses que je milite pour la commission «Vérité et Réconciliation». Voici des dossiers qui doivent être traités dans cette commission, au sein de laquelle pourraient être prises un certain nombre de mesures à l’endroit de fossoyeur de la République, reconnu comme tels.
Dans ce sens, ladite commission devrait avoir tous les moyens nécessaires pour enquêter sereinement sur les dossiers qui seraient déposés sur sa table. Les Gabonais ont le droit de savoir ce qui a été fait avec l’argent du contribuable, sur les 40 dernières années au moins : c’est très important ! Et je pense sincèrement que cette commission pourrait marquer le début de la fin de l’impunité et le début d’une meilleure gouvernance dans notre pays.
Si les cas de malversations évoqués par Hervé Opiangah sont avérés, quel crédit accorder à l’exécutif en matière de gouvernance ?
La mal gouvernance n’incombe pas uniquement à l’exécutif actuel. Omar Bongo avait déjà fait le point en 2007 et six ans plus tard, en 2013, Ali Bongo est longuement revenu sur ses maux liés à la gestion et ayant la peau dure au Gabon. La gangrène est très répandue et ce, depuis plusieurs années. C’est pour cette raison que je n’indexe pas l’exécutif, mais l’ensemble du système avec lequel il faut rompre. Et aujourd’hui, pour atteindre cette horizon, la commission «Vérité et Réconciliation» apparaît comme un moyen crédible de mettre un terme à ces dérives nous empêchant d’aspirer au développement.