Joint par RFI, l’essayiste camerounais s’est prononcé, ce 20 décembre, sur la situation postélectorale au Gabon. Des actions initiées par Jean Ping à l’appel au dialogue dans le pays, en passant par la position mitigée de la France, André Julien Mbem n’élude aucun point. Ci-après, l’intégralité de l’interview retranscrite par nos soins.
RFI : Ces dernières semaines, Jean Ping espérait que la pression internationale aiderait à faire tomber le régime d’Ali Bongo. Mais le rapport des observateurs de l’Union européenne (UE) ne dit pas explicitement que le n°1 de l’opposition a gagné le 27 août dernier. Est-ce que ça ne complique pas le plan de monsieur Ping ?
André Julien Mbem : Je pense que Jean Ping n’espérait pas que la communauté internationale ferait tomber le régime d’Ali Bongo. Jean Ping s’attend toujours à ce que la communauté internationale tire toutes les conséquences des réserves qu’elle a exprimées, notamment la France et l’UE. Deuxièmement, ce qu’il faut au moins reconnaître à la mission de l’UE, elle a clairement pointé du doigt des dysfonctionnements, je dirai des fraudes qui, de façon mathématique et très évidente, ont eu un impact notoire sur le résultat final. Et pour les jours qui viennent, il ne faudrait pas mésestimer la mobilisation des Gabonais, y compris le silence de ceux de l’intérieur du pays.
Dans une interview à RFI, il y a deux mois, Jean Ping a comparé la situation d’Ali Bongo à celle de Nicolàs Maduro, le président vénézuélien, qui semble cerné de toute part. Peut-on vraiment faire cette comparaison ?
Le Gabon n’est bien évidemment pas le Venezuela. Mais il y a une situation spécifique : Depuis 50 ans, il n’y a jamais eu le respect du suffrage populaire au Gabon. Et cette fois-ci encore ! Nicolàs Maduro lui, est l’héritier du chavisme. Et l’on sait que dans ce pays, il s’agit davantage d’une bataille idéologique. Or, au Gabon, il s’agit de négocier une fois pour toute le virage vers la démocratie des institutions. Et aussi, bien évidemment, une meilleure gestion du pays.
Et de ce point de vue, est-ce que la stratégie de Jean Ping est de rendre le Gabon ingouvernable ?
Ce n’est pas Jean Ping qui a demandé aux grandes compagnies de quitter le Gabon. Actuellement, nous avons un retrait de grandes multinationales qui sont en train de partir du Gabon. Il y a des grèves partout, elles ne sont pas provoquées par Jean Ping. Jean Ping n’est que l’expression d’une exaspération majoritaire du peuple gabonais.
Cela peut-il suffire à faire tomber le régime ?
Il y a un affaiblissement considérable du régime. Mais les efforts que Jean Ping mène sont essentiellement diplomatiques. Il vous souvient qu’il a été président de la Commission de l’Union africaine (UA). Il a présidé la 59e session de l’assemblée générale des Nations unies. Avec cette double casquette, il ne peut pas se permettre de faire tomber le régime. Celui-ci tombera de lui-même comme un fruit mûr, tout simplement parce qu’il ne pourra plus s’accrocher à la branche qui le maintient.
Etes-vous déçu par la réaction très mesurée de François Hollande, après l’annonce de la victoire d’Ali Bongo ?
Je suis extrêmement déçu par la non-réaction de François Hollande. On dit qui ne dit mot consent. Je suis déçu par le rétropédalage de Manuel Valls. Parce qu’il faut vous dire que lorsque vous voyez des dizaines de milliers d’Africains qui prennent des embarcations de fortune pour se rendre en France, notamment, c’est en grande partie parce qu’ils n’ont pas les standards de gouvernance réglementaire qu’il faut, dans un pays qui se réclame démocratique.
Et c’est cette même classe politique française, qui en 2016, mettra l’immigration comme enjeu majeur de la présidentielle, sans se permettre de prendre position, à l’exception de quelques figures. Il faut s’interroger. Et je pense que François Hollande, en quittant le Palais de l’Elysée le 6 mai prochain, il aura laissé la RDC et le Gabon dans un état de mi-guerre mi-paix, où la France dispose quand même d’un certain nombre de leviers. Notamment en termes de sanctions pour dire : Non, nous ne supportons pas cela !
Comme vous le savez, la France est en pleine campagne électorale. Quand Jean Ping est passé à Paris, en octobre, il a été reçu par quelques candidats de Gauche mais pas par les candidats de la primaire de la Droite. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne suis pas certain que vos informations sont forcément les miennes. Mais au-delà des rencontres, il y a bien évidemment eu des échanges. Il y a même eu des prises de position. Je me souviens que François Fillon a clairement pris position après l’élection du 27 août et des résultats proclamés par la suite, pour dire qu’il y avait de sérieux doutes. Et ces doutes sont confirmés par le rapport de la mission de l’UE. Je pense que le conseil européen, le parlement européen, doivent se saisir de ce rapport et en tirer toutes les conséquences.
Depuis hier, l’opposition gabonaise organise un dialogue en son sein. Le pouvoir tient également un dialogue de son côté. Mais est-ce qu’il ne faudra pas qu’un jour, l’opposition et le pouvoir dialoguent ensemble en vue des législatives de 2017 ?
D’un point de vue personnel, au-delà de mes liens avec Jean Ping, je suis convaincu que ça finira par un dialogue, d’une manière ou d’une autre. Mais un dialogue à quelles conditions ? Sera-ce le même que celui que nous eu jusqu’ici, depuis 30 ans, et qui se traduit par des partages et position de pouvoir ? Non. Je ne pense pas à un partage de pouvoir entre Ali Bongo et Jean Ping. Je pense plutôt à une réconciliation entre les Gabonais. Et c’est de la réconciliation que pourra naitre le partage du pouvoir. Mais si ce sont des arrangements de bureau et de salon, dans des hôtels huppés à Paris, c’est sans avenir et l’on se retrouvera dans cette situation d’éternel retour.
Donc, ce que vous prônez, c’est une véritable conférence nationale…
Je dis une véritable réconciliation entre les Gabonais. Cela suppose que le pouvoir en place reconnaisse que la victoire est celle de Jean Ping. Il appartiendra également aux soutiens de Jean Ping de faire des concessions : parce que c’est à deux qu’on dialogue. Comme disent les chrétiens : les paix c’est d’abord entre personnes de bonne volonté.