Victime du contrecoup de la crise de l’industrie minière depuis de longs mois, la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog), filiale du groupe Eramet, a enregistré un déficit de 800 000 tonnes de manganèse en 2016, alors qu’elle visait 3,8 millions de tonnes. Son président du Conseil d’administration livre ici les causes de ce résultat ayant impacté son chiffre d’affaires. Il explique la réaction de la société et fixe ses nouveaux objectifs.
Gabonreview : 2016 se caractérise comme une année atone pour l’économie gabonaise. Etes-vous aussi emporté par cette atonie ?
Claude Villain : L’année 2016 n’aura pas été pour Comilog un long fleuve tranquille. Les causes de cette situation sont pour une bonne part externes à l’entreprise, et je vise ici le marché du manganèse. Mais ces causes tiennent aussi à notre fonctionnement. Mon propos sera donc partagé en trois parties : le marché, le comportement de Comilog et les perspectives d’avenir.
Quel es l’impact du marché ?
Amorcée en 2015, la chute du prix du minerai de manganèse a touché le fond en janvier et février 2016. De plus de 5 $ la DMTU [dry metric ton unit, 1 DMTU = 10 kg de manganèse, Ndlr.], l’unité de référence de notre minerai à 44 %, CIF Chine, est tombée à 1,80 $ en janvier. Les causes sont connues : l’arrêt de la croissance sidérurgique chinoise ; l’excédent de l’offre avec de nouveaux producteurs, notamment sud-africains et la dévaluation des monnaies australienne, sud-africaine et brésilienne. Au cours de l’année 2016, les cours ont rebondi en mars pour atteindre 4,8 la DMTU, puis se sont rétractés autour de 3 $ en juin. Depuis juillet, le cours est passé de mois en mois à 5, puis 6, puis à 7,50 fin octobre-début novembre.
Les causes du rebond printanier sont l’arrêt de certains producteurs et des problèmes logistiques en Afrique du Sud. La reprise depuis juillet est imputable à une reprise de la consommation et de la production d’acier en Chine, en Inde et dans la CEI, conjuguée au maintien de la fermeture de certaines mines (en Australie notamment), aux faibles volumes de Comilog et du brésilien Vale, et à la persistance de problèmes logistiques en Afrique du Sud.
Comment Comilog se comporte face à la crise ?
Face à la crise en début d’année, Comilog a pris deux séries de mesures, la première étant, comme chez d’autres producteurs, l’arrêt de la mine en mars et celui du transport et du chargement pendant 21 jours. La seconde série de mesures a consisté en un ensemble de dispositions visant à contrer l’hémorragie financière due à la crise et à améliorer le fonctionnement de l’entreprise pour réduire nos coûts. Ce dispositif d’amélioration de la performance opérationnelle comprend entre autres : la réintégration d’opérations sous-traitées, le pilotage renforcé des sous-traitants sur les sites de Comilog sous les aspects sécurité, performances et coûts, une meilleure utilisation des moyens techniques et humains pour mieux exploiter le gisement, et la révision ou l’instauration de procédures dans tous les secteurs d’activité de l’entreprise (administration, achats, maintenance, comptabilité, …) aux fins de les rendre plus rigoureuses mais aussi plus simples.
Ces mesures ont-elles permis d’atteindre les objectifs visés ?
Si Comilog a souffert de la crise, elle n’a pas pu profiter à plein de la reprise constatée depuis juillet 2016. En effet, alors que la laverie, le CIM et DFIP atteignent leurs objectifs propres, ils sont pénalisés par les difficultés rencontrées à la carrière, où les problèmes sont de nature différente : il y a un problème de maintenance des engins miniers qui freine leur disponibilité, mais il y a aussi une conséquence du vieillissement de notre gisement. Après avoir exploité les parties les plus riches et les plus accessibles, nous abordons maintenant des zones ou les parties stériles, plus épaisses, elles mobilisent davantage d’heures de pelles. Face à cette situation, la direction générale a pris un certain nombre de mesures visant à améliorer la situation à partir du dernier trimestre 2016. Il s’agit notamment de la mise en place d’une organisation en deux postes/trois équipes ; la sous-traitance d’une partie du décapage plateau ; une montée en charge du transport à 11 sillons ; et une révision du plan de rattrapage de la maintenance des grandes visites des engins mobiles de la carrière. Au lieu d’être totalement sous-traitée, une partie, les Dumpers [véhicules servant à transporter le manganèse, Ndlr], sera faite en interne.
D’autres actions visant à fiabiliser le transport ont été lancées, notamment pour le convoyeur C3, le chargement des wagons minéraliers, ou leur entretien. Si j’ai insisté sur ce problème de la carrière, c’est que sans production disponible à un prix compétitif, nous n’aurons plus qu’à mettre la clef sous la porte. En effet, la récente remontée des cours ne peut pas, à l’heure actuelle, nous assurer que nous sommes repartis pour les années glorieuses 2006-2007 ou 2010-2012. Les causes de la dépression 2015-début 2016 sont toujours là. Si la Chine a arrêté la chute de sa croissance et de sa production d’acier, elle est loin d’avoir retrouvé les taux de plus 7 ou 8 % antérieurs ; en outre ses problèmes de pollution l’amèneront à mieux contrôler ses industries lourdes. L’Europe et l’Amérique du Nord sont encore à des taux de croissance faibles. Les mines fermées rouvriront avec l’envolée des cours. Les difficultés logistiques de l’Afrique du Sud ne seront pas éternelles. Comilog devra donc, dans les mois et les années à venir, faire face à une concurrence accrue, à un moment où son gisement vieillissant diminue ses anciens atouts de qualité et de quantité.
En outre, comme je l’évoquerai plus tard, les années qui viennent vont nous conduire à remplacer progressivement Bangombé par Okouma, nécessitant des investissements importants, d’où une nécessité accrue d’être performant. L’économiste Galbraith disait que l’économie est une science très simple que les économistes compliquent pour se faire valoir. Il a raison. Depuis la nuit des temps, il faut être compétitif pour survivre. La compétitivité pour les entreprises de notre époque repose sur leur productivité. Pour un montant donné de travail -les hommes- et de capital -les machines-, il faut produire plus et moins cher que le voisin pour survivre. C’est l’affaire de tous, du Conseil d’administration qui doit prendre les bonnes orientations et les bonnes décisions stratégiques, à la Direction générale, aux cadres et aux agents de Comilog qui doivent s’efforcer d’être les meilleurs dans leurs attributions. Je n’ai pas, pour une fois, cité de chiffre. Je n’en citerai qu’un : notre prévision d’atterrissage en fin d’année à 3,4 millions de tonnes, chiffre décevant pour les raisons évoquées plus haut.
L’avenir est-il vraiment sombre ?
Avant de passer à l’avenir, j’évoquerai deux sujets qui méritent attention. D’abord la sécurité au travail avec un recul inquiétant en 2016 puisqu’il y a eu 8 accidents avec arrêt en 8 mois. Des actions, des moyens ont été mis en place depuis plusieurs années ; les mauvais résultats de cette année doivent inciter à redoubler de vigilance. Enfin, je dirai un mot du C2M [Complexe minéralier de Moanda, Ndlr], dont les résultats progressent mais trop lentement. Il y a encore un certain nombre de problèmes techniques et de mise au point du procédé qui nécessitent des corrections, des améliorations ou des fiabilisations. Si ces difficultés sont pour la plupart identifiées et ne sont pas majeures, elles sont souvent trop longues à corriger ou à réparer compte tenu d’une part des difficultés logistiques qui retardent les approvisionnements, d’autre part des compétences indispensables localement.
Aujourd’hui, le problème le plus critique concerne le management et la formation des agents d’exploitation et de maintenance : c’est une question d’apprentissage et de prise en main des outils par les agents. Avant l’ouverture, Comilog a bien procédé à des séances de formation, y compris dans les usines du Groupe, mais comme je vous le disais les années précédentes, ces métiers sont de haute technicité et l’absence d’expérience métallurgique rend l’initiation difficile quand presque tout le monde est nouveau : pour 80 % des agents, il s’agit même du premier emploi.
La formation des agents se poursuit sur le terrain mais prend du temps et impacte la régularité. Des actions d’accompagnement de terrain sont mises en place et devraient porter leurs fruits. Par ailleurs, l’exigence de continuité des procédés mis en œuvre (des taux de marche de plus de 95 % sont requis pour un bon fonctionnement) et les exigences sur la qualité sont inédites localement ; la mise en place de comportements suffisamment rigoureux sur le terrain et d’une capacité d’anticipation adéquate demandent un travail de fond qui prend du temps.
De nombreuses actions sont entreprises pour faciliter la montée en production : sur la maintenance préventive et la qualité des interventions correctives par le renforcement des équipes et leur spécialisation ; sur le management des équipes de production ; sur les améliorations des équipements et procédés ; et sur la réorganisation des magasins et des stocks (pièces de rechange, consommables).
Et enfin, point très important sur la sécurité car les accidents s’avèrent trop nombreux depuis le démarrage de l’usine : 1 accident mortel de circulation sur le site, 5 avec arrêt, 12 sans arrêt, 47 premiers soins. Le manque d’expérience, la non perception de la dangerosité du métier, le manque de rigueur, ou de fermeté de certains responsables, les improvisations trop nombreuses, sont autant de causes d’accidents. Les actions pour l’amélioration de la sécurité au travail sont une priorité dans la montée en puissance du C2M.
N’y a-t-il pas d’éclaircie dans ce tableau sombre ?
Les prévisions pour 2016 sont de 20 000 tonnes pour le silico-manganèse et de 6 000 tonnes pour le manganèse métal. Les objectifs pour 2017 sont respectivement de 42 400 et de 12.300 tonnes. Nos difficultés actuelles au C2M démontrent la pertinence de la création de l’Ecole des Mines et de la Métallurgie de Moanda, que nous avons inaugurée en juin avec son Excellence, Ali Bongo Ondimba, président de la République, chef de l’Etat. La formation de cadres spécialisés en métallurgie est indispensable au développement de cette activité au Gabon. Notre collègue et ami, Etienne M’Voula a d’ailleurs accueilli l’entrée de la première promotion en octobre dernier.
Je faisais allusion, il y a quelques instants au passage de Bangombé à Okouma. Le 15 septembre dernier, le Conseil d’administration a, pour la première fois, établi une feuille de route pour cette transition qui s’étalera environ sur 12 ans. Les faits sont connus : les réserves actuelles de Bangombé sont constituées pour un tiers du plateau lui-même, un tiers des bordures internes et un tiers des bordures externes. Un travail important reste à effectuer pour évaluer la qualité minière de ces réserves, et mettre au point l’exploitation technique des bordures. Les restes de Bangombé, combinés à ceux de la Moulili conduiront à une baisse de production à partir de 2020, s’accentuant à partir de 2024 avec la fin de la Moulili.
L’objectif est de rester à 4 millions de tonnes jusqu’en 2019 puis de passer ensuite à 5 millions de tonnes, capacité de chargement à Owendo, avec des coûts améliorés. Ce passage se fera nécessairement en biseau, afin de limiter les baisses de production. Le Conseil d’administration a déjà approuvé la constitution d’un groupe projet constitué essentiellement de personnels d’Eramet Comilog Manganèse (ECM) et de Comilog, chargé de lui soumettre un avant-projet sommaire (APS) au Conseil du 2 mars 2017 avant de passer à l’APD.
Tous les spécialistes mineurs apprécient, j’en suis certain, le volume de travail, qui se présente devant nous pour mener cette tâche, aussi bien pour évaluer l’existant que pour définir et chiffrer le futur. C’est lourd, mais exaltant. Du succès de nos études et de la pertinence de nos décisions dépend le sort de Comilog, et je dirai celui de la ville de Moanda. C’est un lent dépérissement, ou bien un nouvel avenir pour 40 ou 50 ans. En voyant le tableau qui nous attend pour perpétuer l’activité de Comilog, la somme des études à mener, le montant des investissements à consentir dans un univers de plus en plus concurrentiel, l’on comprend mieux les efforts et surtout la discipline que nous devons consentir pour mettre notre expertise en état de forger notre avenir.