Dans un entretien accordé à Gabonreview, le 21 octobre dernier, le directeur exécutif du Centre Gabon-Oregon revient longuement sur le gel, par l’université de l’Oregon, des financements de projets accordés à sa structure. Si la partie américaine a mis en avant les récents troubles postélectoraux au Gabon, Francis Bivigou, lui, a évoqué le non-respect des engagements de la partie gabonaise.
Gabonreview : Pourriez-vous revenir avec nous sur la naissance et le développement du centre Gabon-Oregon ?
Francis Bivigou : Le centre Gabon-Oregon est une initiative du président de la République, née de sa première rencontre avec le président Obama, qui a voulu dynamiser la collaboration en termes de recherches entre le Gabon et les Etats-Unis. Plus particulièrement avec l’Oregon, Etat très orienté vers tout ce qui est environnement et développement durable. D’autant que l’Oregon fait partie des huit meilleures universités des Etats-Unis.
A partir de là, il a été créé deux centres de recherches dont un dans l’Oregon, et un autre au Gabon, de façon à ce que chaque partie puisse identifier des projets intéressants et y mettre l’expertise nécessaire. Ensuite, une convention a été signée entre les deux parties. D’abord par un protocole d’accord signé à Washington. Puis l’équipe de l’Oregon est venue conclure ce partenariat au Gabon.
Dans cette convention il a été prévu deux financements : un relatif au démarrage et un autre, sous forme de fonds de dotation. Ce dernier a été initié sur la base de ce qui se fait aux Etats-Unis. Il s’agit d’argent déposé dans une fondation, véritable institution financière qui gère toutes les entrées financières de l’université, en provenance de mécènes, de l’Etat, des étudiants et anciens étudiants, de société privés, etc. Soit près d’un milliard de dollars par an. Et avec cette manne, la fondation fait des placements pour la faire fructifier.
Et c’est ce système innovant que le Gabon a voulu initier pour pérenniser l’argent de la recherche, et faire en sorte que les financements ne s’arrêtent pas. Il s’agissait pour le Gabon de placer de l’argent au sein de la fondation de l’université américaine, et de financer la recherche localement avec les intérêts générés. Soit une source de financement supplémentaire pour des projets de recherche dans le pays.
Voilà donc le principe, qui n’a toujours pas été bien compris par la population gabonaise. En effet, d’aucuns se sont indignés que le chef de l’Etat puisse donner 15 millions de dollars (environ 7,5 milliards de francs) à une université américaine, alors que les structures locales manquent de financements. Encore une fois, ce n’est pas un don, mais un placement sécurisé.
Le fonds relatif au démarrage, quant à lui, a été mis à disposition rapidement et était de 5 millions de dollars. Un an après la signature de la convention en 2012, ce fonds était déjà disponible. Il a été placé à la Fondation Oregon et c’est à partir de là que l’argent a été débloqué pour créer les deux centres (Gabon et Oregon, ndlr), recruter le personnel et mettre les structures en place.
Et comme on ne pouvait attendre la disponibilité du fonds de dotation, c’est à partir du premier fonds que nous avons commencé à financer des projets. Et c’est ainsi que nous finançons la recherche depuis 2014. Et les résultats sont là, avec une quinzaine de projets financés à hauteur de 7,5 millions de francs CFA chacun.
Au-delà des financements de projets, la convention prévoyait également le développement d’un programme d’anglais pour faciliter les échanges entre les deux parties, l’une étant anglophone et l’autre francophone. En filigrane, ce programme vise également à développer le niveau de langue des Gabonais.
Nous avons commencé en 2014, avec la formation des professeurs d’anglais, soit la formation des formateurs. Nous avons donc créé un laboratoire d’anglais, à l’image de ce qui se fait à l’institut de langue anglaise de l’Oregon, qui nous a aidé à mettre en place ce laboratoire.
Gabonreview : Venons-en au nœud du problème, le gel des financements de nouveaux projets annoncé par l’Oregon…
F.B : Avant, j’aimerais repréciser que le fonds de démarrage a été débloqué et c’est celui qui nous permet de fonctionner actuellement. Mais cette manne finira, d’autant qu’elle n’était nullement prévue pour financer la recherche. Même si, jusqu’ici, nous n’en avons pas encore dépensé la moitié. En effet, nous gérons ce fonds avec parcimonie car nous sommes toujours dans l’attente du fonds de dotation. Le problème c’est donc ce second financement, qui n’arrive toujours pas depuis quatre ans, alors qu’il y a une convention qui a été signé entre le gouvernement gabonais et cinq universités de l’Etat de l’Oregon.
J’ai entrepris toutes les démarches possibles pour ce fonds de dotation. Nous nous sommes lancés dans une sorte de campagne médiatique internationale pour expliquer de quoi il en retournait. Car nombre de personnes étaient sceptiques. J’ai contacté toutes les autorités gabonaises sans exception, de la présidence à la primature en passant par les ministères. Malheureusement, tout ce qui a été fait n’a eu aucun écho. Mon équipe et moi avons tout essayé, car nous étions conscients du danger qui nous guettait si cette manne n’arrivait pas.
En gros j’ai tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises : j’ai même rencontré l’ambassadeur des Etats-Unis pour lui faire part de la situation. Et jusqu’ici je ne sais toujours pas les raisons pour lesquelles le Gabon ne parvient pas à verser ce fonds de dotation.
Et les Etats-Unis, de leur côté, n’ont pas cessé d’interpeller les autorités gabonaises sur le non-respect d’un engagement pris par deux chefs d’Etat. Par ailleurs, il s’avère qu’il y a eu un changement de président de l’université de l’Oregon. En avocat chevronné, le nouveau président de l’université s’est donc penché sur ce partenariat qui n’avançait pas. D’où la décision actuelle de l’université de suspendre le financement de nouveaux projets.
Gabonreview : Dans l’annonce du gel des financements, la partie américaine a plutôt évoqué les «événements malheureux ayant entouré l’élection présidentielle du 27 août au Gabon» pourquoi cette justification décalée ?
Je ne ferai pas de commentaires sur les événements postélectoraux, comme cela a été mentionné par la partie américaine. Cela n’engage qu’elle. Pour moi, en tant que Gabonais en charge de l’aile de Libreville, ce qui a participé à cette prise de position c’est d’abord le problème fondamentale du financement. Mais aussi, le silence des autorités gabonaises. Un silence très mal perçu par la partie américaine.
Qu’à cela ne tienne, les activités continuent. Par ailleurs, il n’est pas exclu que si ce silence perdure, la partie américaine en vienne à prendre des mesures plus fortes. Vu sous cet angle, la fermeture du centre Gabon-Oregon est même envisageable. Je suis donc dans une position assez difficile. Car en voyant les américains se radicaliser par rapport au Gabon, je n’ai aucun levier pour essayer de recadrer les choses, vu le silence des autorités. C’est dommage car nous avons tout à gagner.