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Art et Culture

Poésie : « Résistance dans l’âme », le dernier recueil de Samperode Mba
Publié le lundi 17 octobre 2016  |  Gaboneco
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© Autre presse par DR
« Résistance dans l’âme », le dernier recueil de Samperode Mba
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Le Gabon vit encore la prolongation de la dernière présidentielle avec d’un côté Ali Bongo Ondimba qui invite la classe politique à un dialogue sans tabous dit-il et de l’autre Jean Ping qui prône une résistance tous azimuts, du moins tant que sa victoire comme il le clame ne sera pas reconnue. D’où la récente création par ce dernier d’un conseil gabonais de la résistance pour tenir la dragée haute à Ali Bongo dont il conteste la victoire au dernier scrutin. « Résistance » c’est également la thématique développée par le journaliste-écrivain, Samperode Mba dans son recueil intitulé « Résistance dans l’âme ». Interview.
Gaboneco (GE) : Quel genre de poésie faites-vous ?


Samperode MBA (SM) : Je me considère d’abord comme un citoyen dans son temps. Je vis avec mes concitoyens les difficultés que nous impose le quotidien, et c’est cela qui aiguise ma plume. Ailleurs, les romanciers, poètes et essayistes ont façonné l’histoire quand ils ne l’ont pas simplement écrite. Je suis un poète qui répond à l’urgence du temps et qui mesure le devoir qui est le sien. Je sais que j’ai l’impérieux devoir d’interpeller la conscience sur les enjeux auxquels nous avons à faire face.

GE : Pensez-vous que la poésie engagée peut changer l’existence ? Si oui, comment ?

SM : Tout texte qui traduit les souffrances des peuples et leurs espoirs est fait pour transformer, influencer ou améliorer la condition humaine. J’aime beaucoup la littérature produite par les écrivains (romanciers, nouvellistes ou poètes) issus de pays où l’oppression a divisé les peuples. Elle est riche d’espérances et elle révèle surtout que les peuples peuvent baisser la garde mais n’abandonnent jamais totalement les combats que leur imposent leurs dirigeants. Lisez Ken Saro Wiwa et Ben Okri du Nigéria, Richard Wright et Toni Morrison des USA, Joseph Zobel et Aimé Césaire des Antilles, Nadine Gordimer et JM Coetzee de l’Afrique du Sud, vous verrez que cette littérature là inspire le changement. Je crois que la poésie engagée telle que je la pratique peut influencer la conscience collective et l’histoire de mon pays.

GE : Pensez-vous que la poésie s’accommode des mesquineries, désormais érigées en valeurs cardinales dans notre vécu ?

SM : La poésie est le genre littéraire qui reflète le mieux, à mon avis, l’âme de l’homme. Dans un texte poétique, on perçoit très facilement la pensée, croyance, foi, l’espérance ou les qualités de l’auteur. Au Gabon dans les programmes scolaires, il y a encore un quart de siècle, la poésie occupait une place essentielle. Mais nous sommes dans un monde où les besoins matériels prennent le dessus sur la construction morale et intellectuelle de l’homme. Un ingénieur en électronique a bien plus de valeur qu’un poète, un banquier est bien plus important qu’un romancier et un médecin est bien au-dessus d’un nouvelliste. Pour des raisons mesquines, les premiers gagnent souvent plus d’argent notamment en Afrique où les écrivains ne vivent pas de leurs œuvres. Les premiers influencent au quotidien la marche de l’humanité. Mais ce sont des considérations matérialistes. Les écrivains ont leur part de richesse et d’influence.

GE : Pouvez-vous nous parler de la genèse de « Résistance dans l’âme » ?

SM : Je ne me souviens pas que je me sois dit un jour que j’allais réunir tous les textes de « Résistance dans l’âme » dans un recueil. Il faut rappeler, comme vous l’avez dit que les textes ont été écrits sur plusieurs années. Précisément entre 1999 et 2014, j’écrivais et je rangeais parce que je ne trouvais pas intéressant ce que j’écrivais et je ne voulais pas, dans le même temps, faire lire pour appréciation. Et puis il y a eu les événements politiques de 2009 qui m’ont profondément affligé. Et là je me suis dit qu’il fallait peut-être que je dise quelque chose. J’ai donc écrit à ce moment trois ou quatre des textes les plus engagés contenus dans le recueil et j’ai dès lors pensé qu’il était peut-être temps que je sois lu pour être entendu. J’ai donc choisi les vingt-huit textes du recueil parmi une soixantaine que j’avais dans mes tiroirs. J’ai d’abord intitulé ce recueil : « Les âges sombres ». Mais en discutant avec mon éditeur La Doxa - Editeur Militant, nous avons estimé que le titre « Résistance dans l’âme » correspondait bien plus à l’esprit de l’ouvrage.

GE : Votre ouvrage a été publié avant la dernière présidentielle au Gabon, était-ce un appel à la résistance ?

SM : Le livre aurait dû être publié en septembre 2015, mais les choses ne se sont pas passées comme nous le souhaitions. Heureux ou malheureux hasard, il a été publié trois mois avant la présidentielle. Et beaucoup en ont fait une interprétation erronée. Oui j’appelle les peuples (pas seulement du Gabon) à résister mais non je n’ai pas calculé la présidentielle. Les événements qui ont suivi l’élection semblaient être décrits dans mon recueil. Et c’est parce que finalement notre Histoire à nous n’évolue pas. Les situations et souffrances sont les mêmes. Avant la présidentielle je n’appelais pas à la résistance de façon particulière, mais aujourd’hui oui. Non pas à la résistance politique mais à une résistance morale, intellectuelle et spirituelle. Maintenant, il faut savoir que le livre n’appartient plus à l’auteur une fois publié. Chacun peut donc en faire l’interprétation qui lui plaît.

GE : Quel est l’intérêt de résister aujourd’hui, quand certains pensent que c’est peine perdue ?

SM : Notre époque impose d’avoir un engagement. Il y a beaucoup trop de combats. Nous perdons des valeurs. Le monde va tellement vite que l’essentiel nous échappe. Il faut donc s’engager. Dans mes textes, j’invite à s’engager dans les luttes politiques afin que la démocratie triomphe, mais aussi dans le combat pour la protection de la nature, dans la nécessité de préserver la mémoire pour que nos descendants sachent d’où ils viennent, etc. Il faut s’engager. Ça donne du sel à la vie.

GE : Le poète doit-il jouer un rôle particulier dans la société moderne ?

SM : Comme nous l’avons déjà dit, le poète a la responsabilité d’interpeller la conscience. Chaque jour, n’importe où et dans toutes les situations qui mettent en péril la vie humaine. J’ajouterai qu’aujourd’hui il y a les réseaux sociaux qui sont une tribune dont il faut profiter. Le poète qui a la capacité de dire beaucoup de choses en peu de mots, peut user de Twitter et Facebook pour continuer à jouer son rôle dans la société.

GE : Votre écriture est particulière, à la fois esthétique et engagée, est-ce une stratégie ?

SM : Je vous avoue qu’au fil des années je n’ai pas toujours su faire l’association entre esthétique et engagement. Mais au fond, la littérature n’est-elle pas esthétique par définition ? Je ne sais pas. Les spécialistes nous diront. Mais il y a eu des moments où j’ai privilégié la beauté des textes à travers le choix des mots et la construction de rimes et il y a eu d’autres moments où c’est bien plus le message qui m’est apparu important. Que les esthéticiens jugent.

GE : Quelle est votre lecture de l’actuel climat socio-politique du Gabon ?

SM : Je suis inquiet. Je ne comprends pas la jubilation de certains et l’insouciance d’autres dans un tel climat de suspicion, craintes et attaques ciblées. Les Gabonais ont toujours été capables de trouver le consensus quand cela s’est avéré nécessaire. Faut-il nous rappeler « L’appel des Braves » ? Nous en serions où aujourd’hui, si Me Agondjo ne l’avait pas lancé ? Pourtant nous savons tous que le Gabon a été, à ce moment, si prêt de l’alternance mais également de la guerre. Les Gabonais doivent se parler. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous parler. Nous avons tous été affligés par les événements qui ont suivi la proclamation des résultats de la Présidentielle. Nous avons même eu peur que cela vire au chaos. Puisque nous n’en sommes pas arrivés là, il faut s’asseoir. Pas les acteurs politiques seuls. Tous ceux qui ont une parcelle d’influence sur la conscience collective et à qui l’histoire pourrait demander des comptes plus tard. Mais il faut que ce dialogue soit vrai et qu’il donne enfin l’occasion au pays de tourner la page de la trahison, de l’égoïsme et de la peur. Si nous n’arrivons pas à nous parler, chacun constatera tôt ou tard que nous aurons manqué un tournant décisif. Il faut peut-être penser à une nouvelle conférence nationale qui permettrait de « refonder » le pays. Mais nous devons nous parler.

GE : Quels conseils prodiguez-vous aux différents protagonistes politiques et citoyens ?

SM : Il y a deux camps politiques aujourd’hui. Ceux qui ont gagné l’élection et ceux qui l’ont perdu. Seulement chacun se réclame du camp victorieux et accuse l’autre d’être dans le camp des perdants. Mais l’élection est terminée. Il faut passer à autre chose rapidement. Les acteurs politiques le savent et les citoyens doivent en prendre conscience. Le Gabon, cela a été dit par de nombreux observateurs et analystes politiques, ne pouvait pas être le même avant et après le 27 août 2016. Et nous y sommes. Ce n’est pas le même pays. C’est un pays déchiré mais qui offre à ses enfants l’opportunité de se retrouver autour des idéaux républicains.

Il faut reconstruire la République. Cela suppose des efforts conjugués de tous pour rétablir le respect des Institutions, pourvu qu’elles soient respectueuses elles-mêmes des citoyens, l’Etat de droit, la liberté d’expression et de communication et l’Indépendance de la Justice. Il faut que ceux qui tiennent le pouvoir acceptent, parce qu’ils en ont la responsabilité, de faire en sorte que les urnes aient une valeur au Gabon et que le discours politique soit respectueux des hommes et que ceux qui aspirent au pouvoir restent à leur place. Il faut rétablir la confiance entre les acteurs politiques d’une part, et d’autre part entre les acteurs politiques, les Institutions et les citoyens. Nous n’avons qu’un pays ! Il est le nôtre. Nous avons l’obligation morale de le protéger de toute sorte d’exactions.

Moulenda Fatombi Waris
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