"Ils ont tout pris, jusqu’au carrelage": balai à la main, Justin Dossou regarde, impuissant, le champ de bataille. L’épicerie où il travaille a été saccagée et pillée pendant les émeutes qui ont secoué Libreville après la réélection mercredi du président sortant Ali Bongo.
Juste après l’annonce des résultats, des jeunes ont ravagé le quartier "Derrière la prison", baptisé d’après son emplacement géographique. Au milieu des murs noircis et des étalages renversés, le sol de la supérette "Le Bon samaritain" est jonché de morceaux de plastiques et de marchandises piétinées.
Justin, togolais, ose à peine parler, il veut être de retour chez lui avant la nuit. Les pillards "sont dangereux", explique-t-il la voix tremblante. "Ils utilisent les machettes (volées) dans la boutique pour cambrioler les maisons. Mon voisin s’est pris des coups de machette au bras."
Des scènes violentes qui n’arrivent pas que "derrière la prison", mais aussi à Nzeng Ayong, Draguage, Plaine Orety, ou encore dans les "PK", ces quartiers situés à la sortie de la ville... Rues dévastées, bâtiments incendiés et barricades de fortune se succèdent sur des kilomètres.
Dans ces quartiers pauvres de la capitale, les rares épiceries qui n’ont pas été vidées sont cadenassées et la pénurie de nourriture menace après deux jours de violences.
Dans une rue quasi déserte, deux femmes rasent les murs au pas de course. "Onn’a plus rien à la maison. On était obligées de marcher très loin (vers le centre ville sécurisé) pour trouver quelque chose à manger", explique Nicole, qui dit avoir fait la queue pendant cinq heures devant une boulangerie pour acheter du pain.
Aucun taxi à l’horizon. Seuls les pick-up aux vitres fumées et les Land Cruisers grillagés des forces de l’ordre osent franchir les barricades installées à tous les coins de rues.
Baignoires, machines à laver, distributeur de boissons, morceaux de tôles ou pneus brûlés : tout est bon pour bloquer la circulation.
Debout à l’arrière d’un pick-up, cagoulé et armé d’un fusil d’assaut, un officier en treillis de la brigade anticriminalité, la "Bac", fait signe à deux habitants postés devant leur portail de dégager la voie.
"Ne nous tue pas , on frère!", crie Stéphane Mickael, 34 ans, en obtempérant. "On a mis ces barricades pour se protéger des pilleurs. Il n’y a pas la sécurité ici, c’est nous-même qui montons la garde à l’entrée de la rue pendant la nuit".
-’Ali, le voleur’-
Cent mètres plus loin, autre barricade. Le convoi de police s’arrête. Cinq gros bras cagoulés descendent de voiture pour sécuriser le secteur, écartent les obstacles et font signe aux véhicules d’avancer.
"Chaque matin, le génie militaire vient nettoyer les rues" avec d’énormes tractopelles de l’armée, explique un haut-gradé. "Et 10 minutes plus tard, les barricades sont à nouveau là."
Pour lui, pas de raison politique à ces violences. Barricades et pillages sont l’oeuvre des même "voyous", de "bandes organisées" qui profitent du contexte post-électoral pour "prendre tout ce qu’ils peuvent".
Beaucoup de Gabonais ont du mal à comprendre comment les choses ont pu en arriver là, dans un pays d’à peine deux millions d’habitants, si peu habitué à la violence.
"On dirait qu’il y a eu la guerre ici. Il faut que ça s’arrête", se désole une vieille dame. Mais comme tant d’autres qui ont voté Jean Ping, le candidat d’opposition, elle répète le slogan écrit à la bombe de peinture sur les murs de la ville. Le premier responsable? C’est Ali Bongo, "Ali, le voleur".
Arrivé au PK6, le long de la nationale qui relie Libreville au reste du pays, une centaine de personnes en colère surgit d’une piste défoncée dont l’entrée est gardée par plusieurs blindés de l’armée. "Nous, on est tranquille... Mais quand on nous attaque on devient violent", explique un homme à l’air éméché.
Face aux militaires et aux policiers qui l’empêche de sortir, la petite foule se met à genoux, bras en l’air, et entonne l’hymne national, "la Concorde".
"Ali a trafiqué les élections, et maintenant il envoie des milices avec des étrangers pour tirer sur le peuple", crie un autre à l’adresse des hommes en armes. "On ne se laissera pas faire!"