Lancée il y a bientôt dix jours, la campagne pour l’élection du président de la République du Gabon a enregistré une forte présence des musiciens qui entendent jouer leur rôle dans ce jeu politique, malgré la controverse du public quant à leur positionnement politique.
Si la présence des artistes, musiciens pour l’essentiel, n’est pas un fait nouveau dans une campagne électorale, notamment lorsqu’ils affichent clairement leur soutien à un candidat, le cas du Gabon interpelle. Quel est l’apport des musiciens, de plus en présents auprès des candidats en course, quant à la campagne d’un candidat à l’élection présidentielle ? Telle est la question qui revient régulièrement lors des meetings lorsque les populations se surprennent à voir telle ou telle figure de la musique gabonaise monter sur scène pour «défendre les intérêts de son candidat». L’on pense que les artistes pourraient attirer certains de leurs fans vers un candidat. Ce qui reste à démontrer.
Il reste que depuis le lancement de la campagne électorale, la plupart des candidats à la présidentielle se sont attaché les services des chanteurs (traditionnels ou modernes) pour assurer l’animation durant leurs meetings. Des chansons ont même été composées à la gloire et à l’honneur des candidats (majorité et opposition). À cet effet, on notera, par exemple, les chansons qui accompagnent Ali Bongo Ondimba, le candidat à sa propre succession : les remix de «Laissez-nous avancer», «la parole aux jeunes» et de «C’est le temps». Même scénario du côté de l’opposition : «On va tourner la page», «Pas comme on l’entend» ou «Mister zéro», autant de chansons qui rythment les meetings, notamment de Jean Ping, le principal challenger du candidat sortant.
Qu’ils se situent dans un camp ou dans l’autre, de nombreux mélomanes n’apprécient pas du tout la participation de leurs «idoles» à la campagne électorale. Au point qu’on se demande si les artistes engagés dans la campagne n’ont pas engagé leur suicide commercial. «Si plusieurs chanteurs et musiciens font l’éloge de politiciens maintenant, c’est parce qu’ils profitent des élections pour se faire de l’argent», a commenté un militant de l’Union pour la démocratie et l’intégration sociale (Udis).
Un membre du staff de la campagne d’Ali Bongo tente d’expliquer le jeu : «Ce sont des artistes, des commerçants en quelque sorte. Ils viennent ici pour vendre leur talent et parfois pour se faire connaître du public. Mais le plus important pour nous (supporteurs du candidat – ndlr) c’est qu’il garde le public chaud pendant tout le temps que le candidat va mettre pour arriver». De leur côté les organisateurs des meetings de l’opposition estiment que les artistes engagés à leurs côtés l’ont fait de «manière spontanée. La plupart des gars qui chantent pour les candidats de l’opposition n’ont même pas un radis. En plus, ils ont composé leur chanson selon leur sensibilité, leur besoin de changement ou simplement parce qu’ils avaient envie de dénoncer».
Les populations, quant à elles, ne voient pas les choses de la même façon. Des critiques à profusion sont distillées selon qu’on est d’un camp ou de l’autre. Répondant aux attaques dont il est l’objet depuis le remix occasionnel de la chanson «Laissez-nous avancer» pour soutenir Ali Bongo Ondimba, le co-fondateur du groupe Hay’oe, Danny Maggeintha, estime que «soutenir un candidat ne remet pas en cause son intégrité, ni son talent d’artiste. Ça n’a rien à voir», ajoutant que «c’est trop facile de rester sur le côté et dire qu’on va attendre et voir ce qui se passe». Pour ce rappeur, prendre position est déjà en soit un acte citoyen. Les membres du groupe de rap Communauté Black abondent dans le même sens. Ils ont le droit en tant que citoyens, estiment-ils, de choisir un candidat et de le supporter par rapport à son projet de société.
Quoi qu’il en soit, au cours de cette campagne électorale, l’argent coule à flots du côté des artistes transportés par avion d’un endroit à un autre pour leur prestation. Tout est assuré pour leur confort : cachet, hébergement, transport et restauration en plus d’un public gratuit. La musique de campagne électorale est résolument lucrative, sur toute la chaine. «Les radios pour la majorité ne sont pas financées par l’Etat, alors les élections leur permettent de se faire un peu d’argent. Il y a un grand impact sur le budget, qui double et même triple grâce au paiement des diffusions», analyse un journaliste de Gabontribune.