Il a longtemps caressé le rêve d’écrire. Aujourd’hui c’est chose faite. Malgré les milliers de kilomètres qui séparent Ulric Bounguili de son pays natal, ce professeur de français à l’école secondaire, (Ndlr : l’appellation du lycée au Canada), Hyacinthe Delorme de Montréal reste attaché au Gabon.D’ailleurs, l’ancien professeur du lycée Mohamed Moapa de Mekambo garde en mémoire son séjour à Port-Gentil, sa ville natale. D’où l’intitulé de son recueil de poésies : « Portgentillaises ». Lequel recueil est sans aucun doute une réminiscence de sa jeunesse. Mieux, une discussion sans aucune langue de bois avec son esprit sur des questions existentielles...Dans cet entretien, l’auteur explique ses choix et la philosophie de sa poésie.
Gaboneco (Ge) : Pourquoi avez-vous opté pour la poésie ?
Ulric Bounguili(UB) : Parce que c’est la forme que j’affectionne et qui m’émeut, de par son caractère incisif. Et puis, c’est la poésie urbaine qui m’a vraiment familiarisé avec ce genre. J’entends par là le rap. Jusqu’à une certaine époque j’ai plus écouté du Solaar du Movaizhaleine que lu du Rimbaud ou encore Senghor.
Ge : Quid de « Portgentillaises » ?
UB : « Portgentillaises » d’abord à cause du double sens. Le mot peut être pris comme adjectif ou comme nom. Et puis, il y a une part d’énigme dans la mesure où il peut susciter de nombreux autres sens. Mais ultimement il faut entendre poésies portgentillaises ou mémoires portgentillaises.
Ge : Quels sont les thèmes abordés dans votre recueil ?
UB : Il y a d’abord celui du souvenir, de la mémoire. Dans la solitude de l’exil, je me suis replongé dans mes souvenirs d’enfance pour retrouver des images ou des bribes d’images qui remontaient à la surface. En ce sens, c’est une dédicace à la ville qui m’a vu naître et qui est un peu absente dans la littérature gabonaise (même Bessora en parle dans son roman Petroleum). Mais il est évident que le recueil a sa connotation politique et sociale dans la mesure où il ne fait pas que parler uniquement de Port-Gentil. Il suit aussi mon itinéraire à Libreville où j’ai goûté, comme bon nombre de Gabonais aux désillusions, farces politiques et à la poussée vertigineuse d’un christianisme mercantile.
Ge : Dans le poème intitulé « Sable », pourquoi vous présentez nos langues vernaculaires comme des clivages aujourd’hui et les considérez comme une appartenance du passé ?
UB : Il faut comprendre qu’à Port-Gentil, jusqu’à l’âge de 10 ans, je comprenais le ghisir, l’omiènè, le nzebi et le povè, ma langue. Dans nos discussions entre gamins, on se traitait de noms d’oiseaux dans ces diverses langues. D’ailleurs on disait rarement "on va jouer au ballon" mais plutôt "on va jouer au ndambo". Ceci pour dire que nous étions dans une dynamique d’appartenance insoucieuse à ces cultures sans en référer à nos propres origines respectives.
Mais l’appareil politique n’a jamais été au fait de ce que Port-Gentil était un creuset, une illustration d’une forme d’unité nationale en construction. De ce fait, les hommes politiques n’ont jamais réellement montré un intérêt pour nos langues qui, je pense, si elles étaient enseignées, contribueraient davantage à nous solidifier en tant que nation. Il est un peu étonnant de voir que nos hommes politiques ne s’expriment dans les médias qu’exclusivement en français ils jugent nécessaire de le faire seulement dans ce qu’ils appellent « le Gabon profond ».
Ge : Donc votre poésie est une invite à la renaissance de nos langues ?
UB : C’est une bien grande responsabilité ! Je fais juste prévaloir le sentiment qu’un meilleur apprentissage de ces langues est plus qu’essentiel. Mais mon recueil n’invite à rien, tout au plus il rend compte d’un vécu. De cette expérience portgentillaise, je pense humblement que notre nation en a grand besoin. Elle était partie sur de bonnes bases mais en l’absence de volonté politique on a régressé. Je ne sais pas, par exemple pourquoi des émissions pertinentes telles que "Le Polyglotte " de M. Moutsinga Boulingui sur Radio Gabons ont peu vulgarisées. Je ne sais pas s’il en existe d’autres de ce genre dans nos médias...
Ge : Votre livre se penche aussi sur des questions qui touchent l’environnement notamment à travers les inondations quel est le message que vous véhiculez ?
UB : Les inondations à Port-Gentil sont légion si bien que pour nous, gamins, dans notre insouciance, nous les vivions comme des moments récréatifs. Nous nous amusions à faire du "surf" quand les allées de nos quartiers étaient submergées. Il ne nous fallait pas grand-chose pour être heureux. Mais quand nos parents furent informés des risques que nous faisions courir à notre santé, on réfléchissait plus d’une fois avant de se lancer à nouveau. Mais vous aurez compris que l’aspect ludique de tout ceci prenait le dessus. Du point de vue strictement écologique, je me suis toujours demandé naïvement pourquoi le sable n’absorbait pas toute cette eau ? L’activité pétrolière y est-elle pour quelque chose ? Étaient-ce les canalisations obstruées qui en étaient à l’origine ?
Ge : Maintenant avec le temps et le recul où situez-vous le problème ?
UB : Sans être un spécialiste, je pense que c’est la conjugaison de plusieurs facteurs, en premier lieu desquels se trouve le problème d’urbanisation. Certains évoquent le scénario catastrophe de la ville qui s’affaisse et se rapproche dangereusement du niveau de la mer. Dans l’un des poèmes j’évoque ces cocotiers « horizontalement debout » cette image n’a pour but que de rappeler le fait que les flancs marins de la ville sont en proie à l’érosion marine et très tôt j’en ai été témoin !
Ge : Dans votre recueil il y a aussi un poème consacrée à la beauté pure et dure.Pourquoi ?
UB : Beauté pure et dure, peut-être née du fait que j’ai vu ma mère et ses congénères se vêtir de pagnes. Actuellement, les gens rivalisent d’ingéniosité durant les mariages coutumiers et voyez à quel point ces femmes sont belles, parées de tant d’authenticité ! Donc il ne faut pas que le fait de se vêtir de façon sobre ou authentique avec des vêtements dits traditionnels, soit juste un mouvement folklorique (au sens péjoratif), tape à l’œil ou sporadique. Il faut que ce soit une normalité de s’habiller selon nos codes et ne pas attendre que Beyoncé porte une tunique dashiki ou en bogolan pour qu’on se mette nous à le faire de manière mimétique. Cela est valable aussi pour l’usage tous azimuts de produits décapants. Tout se passe comme si Senghor a chanté en vain !
Ge : Quel est votre regard sur la vitalité de la littérature gabonaise aujourd’hui ?
UB : Je pense que c’est la naissance de nombreuses maisons d’éditions qui constitue le facteur déclencheur. Mais pour remonter un peu plus loin, il y a le concours de la BICIG (Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie du Gabon) qui existe et qui fait de son mieux pour encourager l’éclosion de nouvelles plumes. En soi, l’existence de ce parrainage est une chose dont on peut se féliciter. Il y a également la tenue à Libreville d’évènements autour du livre. Il y a aussi la bonne vielle UDEG (l’Union des écrivains du Gabon) qui continue d’exister et de faire intégrer les œuvres gabonaises au programme de l’école gabonaise.
Par-ailleurs, la littérature est aussi tributaire des évènements sociopolitiques et au regard de l’actualité politique abondante de notre pays, couplée à des réalités sociales violentes, dans un tel climat, l’écriture sert souvent d’exutoire ou de porte-voix. En dernier lieu, je mentionnerai l’existence d’une diaspora de plus en plus désireuse de laisser des petits écrits et de contribuer à l’édification du Gabon, en faisant entendre leurs voix. Je constate aussi un intérêt grandissant des médias autour de l’objet livre. La plupart des médias dont le vôtre ont une rubrique culture. Tant que cet intérêt médiatique grandira la littérature en particulier et les arts en général ne se porteront que mieux. Indirectement j’encourage cette vulgarisation.