Lors de son précédent passage devant le Congrès, Ali Bongo avait dit avoir à cœur de «parler du Gabon». Cette fois, on espère qu’il parlera de lui, de son état-civil, de son éligibilité, sans mensonge ni faux-fuyant. Par Patrick Eyogo Edzang et Jean Christophe Owono Nguéma (élus proches de l’Union nationale – ndlr).
Tout au long de ce septennat, le peuple gabonais a été confronté à la question des origines, de l’état-civil et de l’éligibilité du Chef de l’Etat. Avec la réunion du Congrès du Parlement annoncée pour ce mardi 28 juin 2016, on espère qu’il sera définitivement fixé. On ne peut et ne doit réduire cette question de droit, cette question qui touche aux fondements de notre République, au fonctionnement régulier de notre Etat et à la cohésion de notre Nation, à une simple affaire d’état-civil.
Ali Bongo n’est pas n’importe qui. Il n’est pas un citoyen lambda. Fils d’un président de la République qui a présidé notre pays pendant 42 ans, il est lui-même à la tête de l’Etat gabonais depuis sept ans. Il a été élevé sous les lambris et ors de la République, aux frais de la princesse. Il a grandi sous la responsabilité du garant du respect de la Constitution, de l’indépendance nationale, du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de la continuité de l’Etat.Il aurait normalement dû avoir une idée aussi haute que précise des institutions et de leur fonctionnement. Il devrait normalement leur vouer un respect sans bornes, si ce n’est un culte.
Parvenu au pouvoir dans des conditions contestées et contestables, Ali Bongo s’est jusque-là illustré par une bien curieuse acception de l’Etat, un mépris pour les institutions et, au final, une gestion solitaire, autoritaire et dictatoriale du pouvoir. Dans le même temps, il a jeté par-dessus bord les valeurs de la République, leur préférant les considérations du show-business, du monde sportif ou de l’univers du spectacle. C’est donc une personnalité peu regardante des valeurs de la République qui doit s’exprimer devant les deux chambres du Parlement réunies en Congrès. Ce sera la deuxième fois qu’il se livrera à cet exercice au cours du même mandat, qui plus est à cinq ans d’intervalle.
Preuves à l’appui
Lors de son précédent passage devant le Congrès, Ali Bongo avait dit avoir à cœur de «parler du Gabon», «cette belle nation que nous devons réapprendre à aimer de toutes nos forces», selon ses propres mots. De son allocution, les observateurs avaient retenu trois choses : son refus de donner suite à la demande d’une conférence nationale souveraine ou plus prosaïquement d’un dialogue, formulée par les forces vives de la Nation, ses injonctions au Parlement en vue de l’adoption d’une loi contre le tribalisme et la xénophobie et sa compréhension particulière de la Nation gabonaise, présentée alors comme «le fruit d’un peuplement issu des quatre coins du continent. Un peuplement effectué par des femmes et des hommes qui fuyaient la guerre, la famine et la pauvreté pour trouver leur salut en cette terre hospitalière ». Ce jour-là, Ali Bongo avait laissé le sentiment de chercher avant tout à protéger les siens, ses amis, copains et coquins. Il avait aussi nié la prééminence des migrations bantoues dans le peuplement du Gabon, autant qu’il avait laissé croire que Christianisme, Bwiti ou Islam ont la même prégnance dans la société gabonaise. Etait le lieu et la circonstance pour refuser la concertation et défendre son programme politique ? Etait-ce l’endroit et le moment pour parler d’identité et se livrer à une confusion entre identité, citoyenneté et nationalité ?
Instruits par cette expérience du passé de laquelle rien de bien avantageux pour la collectivité nationale n’a émergé, les Gabonais n’ont rien d’autre à attendre de cette nouvelle convocation du Parlement en Congrès que la claire explication sur la situation administrative d’Ali Bongo. Les parlementaires que nous sommes, avons le devoir de le comprendre, le dire, le faire savoir pour le prévenir. Les Gabonais doivent prendre leurs responsabilités. Et, les parlementaires ont le devoir de les y aider.
Parce que sa principale mission constitutionnelle est d’approuver les révisions de la Constitution, le Congrès du Parlement est une instance frappée d’une grande solennité ; parce que sa principale mission constitutionnelle est d’approuver les révisions de la Constitution, on ne saurait le réunir que pour des sujets qui touchent à l’organisation générale de l’Etat ou aux relations entre les institutions ; parce qu’Ali Bongo est Chef de l’Etat et que le président de la République est une institution, nous osons espérer qu’il parlera du président de la République, de sa relation avec les autres institutions et surtout de son lien avec le peuple gabonais.
Le président de la République va-t-il faciliter le travail des autres institutions en faisant la lumière sur le citoyen Ali Bongo ? Le président de la République va-t-il enfin consentir à dire au peuple gabonais qui est le citoyen Ali Bongo ? Pourra-t-il, preuves à l’appui, dire exactement ce qu’il en est de son état-civil et donc de son éligibilité, sans mensonge ni faux fuyant ? Aura-t-il l’humilité nécessaire pour parler de cette multitude d’actes de naissance portant son nom ? Saura-t-on, enfin, pourquoi et comment l’ancien maire du 3è arrondissement de Libreville en est arrivé à faire une transcription aussi grossière, comment des agents de la présidence de la République en sont venus à faire publier, dans le quotidien français Le Monde, une supposée déclaration de naissance, prétendument retrouvée dans les archives de la mairie de Brazzaville ? Va-t-il prendre ses responsabilités et clore définitivement ce débat oiseux, quitte à faire amende honorable ?
Jugement de l’histoire
Si Ali Bongo se livrait à cet exercice, tout résiderait alors dans la conformité de ses dires à la vérité historique. Il est toujours aisé de s’inventer une vie. Mais, il n’est jamais anodin de mentir devant la Représentation nationale et, plus grave encore, devant le Parlement réuni en Congrès. Souvenons-nous de l’ancien ministre français du Budget, Jerôme Cahuzac, définitivement emporté et politiquement enseveli par un mensonge devant l’Assemblée nationale. Chaque propos prononcé devant le Congrès doit être pesé.
Il est important de rappeler qu’en dernier ressort, le juge ultime reste l’Histoire. Il est nécessaire de souligner que le jugement de l’Histoire est sans appel. Il est crucial de mentionner qu’aucun secret ne résiste à l’épreuve du temps.Si Ali Bongo venait à s’exprimer sur la question de son état-civil, comme le lui ont instamment exigé Zacharie Myboto, Casimir Oyé Mba et Chantal Myboto Gondjout, en prenant des libertés avec la vérité historique, cette convocation du Parlement en Congrès ferait nécessairement pschitt mais son coût institutionnel serait effarant. La parole présidentielle s’en trouverait banalisée et le respect dû aux institutions délégitimé. Du point de vue de l’histoire, ses répercussions seraient des plus désastreuses qui soient.
Il est urgent de clore définitivement la polémique sur l’état-civil d’Ali Bongo. Il est nécessaire de restaurer le rôle des institutions et leur redonner du crédit. Il est essentiel, enfin, de réconcilier le peuple gabonais avec ses représentants, de lui redonner confiance dans les institutions de la République. En pareille circonstance, on imagine qu’Omar Bongo Ondimba aurait eu cela à cœur. On pense que, craignant la sanction divine, il aurait battu sa coulpe. A la fin de son propos, il se serait sans doute dit que le Gabon lui a tant donné, qu’il doit, par conséquent, faire montre d’humilité, de transparence et de sincérité vis-à-vis de ses institutions et de son peuple. Il se serait, en tout cas, demandé s’il a «le droit de faire du Gabon ce (qu’il est) en train de faire».
Patrick Eyogo Edzang, Député de la commune de Bitam
Jean Christophe Owono Nguéma, Sénateur du 2è arrondissement de la commune d’Oyem