L’ancien président de la Commission de l’Union africaine et candidat déclaré à la prochaine présidentielle gagnerait à clarifier ses liens avec les personnes physiques et morales impliquées dans le scandale de corruption impliquant Pascaline Mferri Bongo et Franck Ping. Des explications sont nécessaires pour donner à sa parole le poids et la crédibilité recherchés.
Cette affaire est lourde de sens, édifiante à plus d’un titre. Un peu plus d’un mois après avoir présenté son projet de société et proclamé sa volonté de mettre fin au «triomphe de la cupidité», Jean Ping se retrouve confronté à une histoire de corruption à grande échelle. Bien qu’il ne soit pas nommément cité, le fait que les principaux protagonistes de cette affaire soient des personnalités de son premier cercle, des proches parmi les proches et même des intimes, sème le doute et la confusion quant à son idée de la gouvernance.
Qu’on le veuille ou non, on ne peut minimiser le fait que son fils – par ailleurs l’un des argentiers de son activité politique – et son ex-compagne soient impliqués dans un scandale de commissions occultes versées dans le cadre de marchés publics. Surtout au regard d’un ensemble d’éléments du dossier. Si Sinohydro est une entreprise chinoise, Jean Ping a toujours entretenu des relations particulières avec la Chine. Ministre des Affaires étrangères pendant neuf ans sans discontinuer, il a été le maître d’œuvre de la coopération internationale. À ce titre, il a été au centre de toutes les négociations politiques et/ou commerciales. Durant la même période, son ex-compagne dirigeait le cabinet du président de la République. On peut donc aisément imaginer comment et pourquoi s’est construit ce réseau ayant permis à Pascaline Bongo et Franck Ping de toucher 17 millions de dollars chacun sur l’ensemble des contrats passés entre la major chinoise et l’Etat gabonais.
Un bon connaisseur des milieux politico-économiques chinois
La localisation des sociétés-écrans utilisées pour les transferts de fonds et leur domiciliation bancaire ramènent invariablement au même pays : la Chine, plus précisément Hong Kong. Dès lors, il est légitime de se demander si toutes ces connexions n’ont pas été montées avec le soutien ou la participation d’un bon connaisseur des milieux politico-économiques chinois. Hong Kong est une place financière et commerciale d’envergure mondiale qui se distingue par l’absence de TVA et d’impôts sur les sociétés et bénéfices, l’absence de taxes salariales, patronales ou professionnelles, la non-imposition des opérations de rapatriement des bénéfices, dividendes et plus-values, la possibilité de créer des sociétés tout seul, la garantie de l’anonymat des actionnaires et dirigeants de sociétés, le respect du secret bancaire et la possibilité d’y investir sans y résider.
On peut toujours s’abriter derrière le fait qu’Hong Kong soit classée sur la liste blanche de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qu’elle ne soit pas considérée comme un paradis fiscal. Mais, on doit préciser que la Sift Hong Kong limited a été créée le 4 août 2008 et transformée en société privée à responsabilité limitée le 1er octobre 2015. On doit bien reconnaître que l’extrême souplesse de la législation et l’attachement au secret bancaire entretiennent une certaine opacité des transactions financières. Chacun sait que le développement des sociétés offshore, la capacité de les repérer et la transparence des transactions dépendent aussi du régime juridique et fiscal. Chacun sait que de nombreuses sociétés basées à Hong Kong n’y ont pas de bureaux et servent en réalité de boîtes aux lettres. Dès lors, il n’est pas osé de croire qu’elles peuvent servir à des opérations de blanchiment de capitaux.
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Au lendemain des révélations de notre confrère Mediapart sur ce scandale de corruption qu’on pourrait bien nommer «le Sinohydrogate», on ne peut que se remémorer des bonnes intentions proclamées par Jean Ping le 4 mai dernier à la Chambre de commerce de Libreville. Il y évoquait une «gouvernance fondée sur l’éthique», l’urgence de «bâtir une éthique du bien commun», une «justice qui (contraint) ceux qui enfreignent les règles et protège ceux qui les respectent», un «accès égal et transparent aux marchés publics, conformément aux meilleures pratiques internationales en la matière» et son intention de lutter «résolument contre la corruption et la fraude dans les affaires publiques». Au risque de laisser l’impression de vouloir mettre sa descendance et ses proches «à l’abri de la peur», il lui faut maintenant réagir pour donner du sens à sa profession de foi.
Lors de l’annonce officielle de sa prise de distance avec le Parti démocratique gabonais (PDG) et le pouvoir en place, Jean Ping avait longuement parlé des difficultés de son cabinet de consulting dénommé «Ping & Ping». Disant devoir les «emmerder (parce qu’ils) veulent (l’) emmerder», il avait précisé qu’on «a tout fait pour (qu’il) ne travaille pas avec le Gabon». «Même mes enfants, on leur a dit : exilez-vous !», précisait-il, en ce 1er février 2014. Qui est le second Ping dont le nom figure sur la dénomination du cabinet de consulting de Jean Ping ? De quel type de travail «avec le Gabon» Jean Ping parlait-il ? Quels sont ses enfants qui avaient été invités à aller chercher fortune ailleurs ? Pourquoi voulait-on qu’ils s’exilent ? Qui a bien pu formuler une recommandation aussi grotesque à des citoyens gabonais vivant au Gabon ? Pourquoi la Sift Hong Kong limited a-t-elle changé de régime juridique ? Le nouveau positionnement politique de Jean Ping y était-il pour quelque chose ?
Exigence de transparence
Pour l’opinion nationale et plus précisément les observateurs de la vie publique, se passer des explications sur ces questions serait une erreur tragique. De tout temps, la vie privée a permis de mieux décrypter la vie publique. Partout dans le monde, les intérêts économiques et financiers guident la gouvernance politique. En cas d’accession au pouvoir, la gouvernance de Jean Ping serait naturellement influencée par ses proches et leurs intérêts. Pour lui, il y a donc lieu de clarifier les choses et rassurer ses nombreux soutiens, troublés par ces révélations bien qu’ils feignent le contraire.
C’est Jean Ping lui-même qui l’affirme : «l’intérêt général est purement et simplement oublié» au Gabon, un pays «malade de la mauvaise gestion économique et financière, de la cupidité et de la mal-gouvernance». Au nombre des maux qu’il entend combattre, il cite, pêle-mêle, «(le) pillage des ressources naturelles du pays (bois, or, diamant), (le) blanchiment de l’argent sale, (l’) enrichissement illicite, (le) détournement des productions des entreprises, (la) corruption endémique, et le chômage, notamment celui des jeunes». Est-il temps pour lui de confronter sa lecture à la réalité ? A lui de voir.
A l’occasion des révélations sur la succession Omar Bongo Ondimba, l’affaire des «Biens mal acquis», «l’affaire Blue Mendel», la mise à nu de la pieuvre Delta synergie, l’opinion publique avait exigé des éclaircissements de la part de la parentèle de Pascaline Mferri Bongo. Sous la pression, la présidence de la République a souvent été contrainte de réagir. Bien que ses explications et dénégations n’aient pas toujours convaincu grand-monde, l’exigence de clarté et de transparence lui fut rappelée. Pourquoi devrait-il en être autrement pour Jean Ping ? Des explications sur le «Sinohydrogate» ? Il en va de la crédibilité de Jean Ping, de la démocratie et de l’Etat de droit. Peut-être une étape décisive dans son marathon politique. À coup sûr, une épreuve.