En un septennat, le chef de l’État a porté plainte contre des journalistes, des journaux, des écrivains, des éditeurs, des hommes politiques… En attendant la tenue et le verdict des procès intentés contre Chantal Myboto Gondjout et Jean Ping, deux journalistes ont été condamnés, le 10 juin dernier, avant rétractation, à des peines d’emprisonnement (avec sursis) et à des amendes pour «outrage» au chef de l’État.
Une trentaine de plaintes en 7 ans ! Le chef de l’État gabonais, également chef suprême des armées et président du Conseil supérieur de la magistrature, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Tenez, des journalistes, des éditeurs, des écrivains et des hommes politiques de l’opposition et des acteurs de la société civile sont régulièrement interpellés, souvent gardés à vue, parfois appelés à la barre ! Deux journalistes gabonais, Jonas Moulenda et Désiré Ename, deux des meilleures plumes du pays, ont dû fuir le Gabon parce que pourchassés par «le système». Ils vivent en exil depuis la fin de l’année 2014. Les journaux Echos du Nord, L’Aube, La Loupe et Ezombolo, leurs directeurs, les représentants de ceux-ci et leurs journalistes, ont été régulièrement appelés à la barre pour s’expliquer sur des faits de diffamation. Ali Bongo aime-t-il donc engager des poursuites judiciaires contre ses pourfendeurs ? Ne peut-il pas rester relativement indifférent comme son prédécesseur, même s’il est à reconnaitre que certains titres sont passés maîtres dans les «crimes de lèse-majesté».
Il reste que même dans les tribunaux étrangers, le chef de l’État gabonais poursuit des écrivains et journalistes étrangers. C’est le cas de Pierre Péan, qui vient d’être informé de la troisième plainte que lui porte Ali Bongo devant le Tribunal de grande instance de Paris. La plainte vise également son éditeur Fayard. Cette procédure vient s’ajouter aux deux plaintes pour diffamation sur des passages de son livre «Nouvelles Affaires Africaines – Mensonges et Pillages au Gabon» publié en octobre 2014.
Hommes politiques, journalistes, tout y passe
Avec ses attributs de président du Conseil supérieur de la magistrature, Ali Bongo sait qu’il ne peut être désavoué par les tribunaux du Gabon. Il est conscient qu’il ne peut perdre aucun procès au Gabon. Il dispose de «bras judiciaires», des «magistrats disposés à servir la bonne cause, sa cause», dans les tribunaux. Un psychologue affirme qu’Ali Bongo semble «ne pas aimer la contradiction». «Lui il peut verser des torrents de haine sur un adversaire politique, comme il l’a fait le 17 août 2014 lors d’une interview à la chaîne publique Gabon Télévision, rien ne peut lui arriver. Mais, si par extraordinaire, un mot déplaisant sort de la bouche d’un adversaire, il este en justice contre celui-ci». Et, il s’agit souvent de plaintes avec constitution de partie civile ou citations directes destinées à condamner sans ménagement… Comme le verdict du 10 juin dernier ayant condamné, pour «outrage au chef de l’État», des journalistes de «L’Aube» et de «La Une» à des peines d’emprisonnement avec sursis et à des amendes allant jusqu’à 1 million de francs CFA, même si, par la suite, le ministre de la Justice a contredit, au sujet de ces condamnations, les allégations de ces journaux et de leur avocat.
Les hommes politiques ont eux aussi expérimenté la «boulimie» judiciaire d’Ali Bongo. Depuis sa déclaration du 19 mars dernier, Chantal Myboto Gondjout, membre du directoire de l’Union nationale, fait l’objet de poursuites judiciaires et de condamnations fiscales. Elle avait affirmé : «Il sait que je sais qu’il n’a pas de papiers». Quant à Jean Ping, candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle, on ne sait si les plaintes intentées contre lui – tellement nombreuses – visent à le disqualifier de la prochaine compétition électorale. En tout cas, l’ancien élu de Bongoville est le président qui aura le plus porté plainte durant le demi-siècle d’histoire du Gabon indépandant.