Libreville – C’était un doux après midi d’un samedi il y a plus d’un mois. Mon ami et cadreur Jean Felix Ayenouet (Angelo) est venu me chercher chez moi .Comme à notre habitude nous avons prévu d’aller rendre visite à Philippe Mory (Tonton Fifi). Je l’avais déjà appelé au téléphone pour l’avertir de notre visite.
Pour fêter cette nouvelle retrouvaille avec ce monument vivant, j’ai fais recourt à ma boite à idées. Et c’est vite trouvé : du vin rouge, un Bordeaux, son vin préféré. Des saucissons secs, du fromage et du pain complet. Cerise sur le gâteau, une chemise fleurie bleu ciel d’un beau pagne africain. Angelo est d’ailleurs mordu par mon choix.
Je prends mon appareil photo car nous avons des repérages à faire …Nous prenons un taxi pour Nzeng Ayong, un quartier du 6ème arrondissement de Libreville. Le gentil chauffeur de taxi nous dépose pas loin de la pharmacie de garde de Nzeng Ayong. Tonton Fifi connaissait bien le coin. Un de ses troquets préférés jouxte l’officine.
D’un petit pas à l’autre, nous nous dirigeons par une voie non bitumée vers la résidence de tonton Fifi. La route est cabossée. Il y a des marres d’eau comme un peu partout dans ce que les librevillois appellent les « mapanes » ou quartiers mal lotis.
L’adresse n’est pas clairement identifiée. Mais nous connaissions parfaitement la maison. Comme d’habitude, le portail n’était pas cadencé. Nous sommes habitués.
Nous sommes rentrés quasiment sans crier, sans protocole. Nous logeons la grande maison pour avoir accès à la chambre de tonton Fifi. En Côte d’Ivoire on appelle ce genre de maison « entrez couchez ». C’est une modeste demeure. Le maître des lieux est affalé sur une chaise en rotin. Il porte un tee shirt. Il se délecte le tabac, un de ses amours après le cinéma. Il y a une bière entamée sur la table.
Dès que nos regards se croisent, son visage de viel homme s’illumine. Il est très heureux et fier de notre nouvelle visite. De son français impeccable frisant parfois un accent d’homme ancien, il me tend ses bras et s’écrie : « mon bébé ».
Je suis restée son bébé. Bébé parce que j’ai embrassé l’unique métier dans lequel il cumule une très très longue carrière. Bébé parce qu’il a vu mes premiers pas dans ce noble métier. Bébé aussi parce que je suis très loin d’égaler son immense talent de réalisateur, comédien et artiste…
Le moment des « salamalecks » est passé. Puis la remise des présents. Il est hilare. Comme dans un film, il change de costume. Du tee shirt, le voici en chemise. Les moments sont agréables. Il rit à gorge déployée. Nous aussi. Tous nous rions. Mon ami n’oublie pas de shooter les images.
La couleur bleu lui va à merveille. Je lui montre aussi des photos et des articles de presses imprimés sur internet. Je les lui avais promis lors de notre dernière visite. Je lui disais qu’il était célèbre sur internet et il ne croyait pas lui qui ne savait pas s’introduire dans ce monde du virtuel. Il est tout ému à la vue des photos et des articles. Il commence à les lire. Je le chahute en lui disant qu’il a de bons yeux. Il est flatté et m’en remercie.
Nous parlions de tout mais surtout du cinéma, du Gabon. Il nous dit qu’il est très touché par notre attitude et il dit des paroles en Omyènè (que je ne comprends) Angelo lui répond avec le sourire ….Un moment Angelo sort l’appareil photo et commence à le photographier !Puis il me dit « je peux vous faire des photos ensemble » ?Je demande alors à Tonton fifi de se mettre debout et Angelo nous fait pleins de photos…puis nous continuons la conversion presque tout l’après midi.
Une lumière traverse mon esprit. Je dis à Tonton Fifi « la prochaine fois je viendrais faire une interview de toi ». « Pas de soucis mon bébé, si c’est toi je dis oui » Et il me fait un clin d’œil, nous éclatons de rire.
J’aimais beaucoup tonton Fifi … Difficile de le quitter. Nos regards se baladent un peu partout sans croiser un véritable signe d’opulence dans sa petite demeure qu’il ne partage avec personne malgré son grand âge. Je savais qu’il n’était pas du tout attaché au matériel. Il était toujours heureux.
Il nous bénissait à chaque fois. Nos discussions sur le cinéma étaient parfois enflammées ! Il était déçu du cinéma gabonais et parfois de la vie. A plusieurs reprises je l’ai vu sursauter quand il ouvrait la page nécrologique du quotidien national L’Union. Parfois il lui arrivait d’appeler la mort. Je me souviens de ce jour où en lisant la page nécro de l’union il a vu des visages qu’il connaissait. Il s’est exclamé « je fais quoi encore ici ? pourquoi la mort ne vient pas me chercher ? »
Et moi de lui répondre : « nous avons encore besoin de toi ». A cette réponse il se mettait en colère et il déversait sa bille sur tout le monde !
Le soleil a quasiment perdu ses rayons. Il est temps pour nous de dire au revoir à note illustre hôte. Il se lève. Nous serre les mains. Et nous dit « à très bientôt mes enfants ».
Cet après midi nous ne pouvions pas imaginer que cet au revoir était un adieu.
Repose en paix Tonton Fifi. Ton œuvre te rendra immortel !