Notre confrère a été interpellé pour avoir voulu croiser ses sources dans le cadre de la rédaction d’un article traitant d’un cas d’escroquerie.
Journaliste émérite aux hebdomadaires Echos du Nord et Faits Divers, Patrick Achile Dindoumou a été interpellé le 18 avril courant, à Libreville, par des éléments de la Gendarmerie nationale en civil. Une arrestation intervenue moins d’une heure après qu’un couple, accompagné des quatre agents en question, ait fait irruption à la rédaction d’Echos du Nord, avec la ferme intention d’emmener le journaliste de force. Il aura fallu l’intervention des collègues pour faire échouer cette tentative… ou plutôt la retarder. Le journaliste a été conduit dans les geôles du tribunal de Libreville, où il passera visiblement la nuit.
Comment en est-on arrivé là ? Selon les explications de notre confrère, tout a commencé le 8 avril dernier, lorsque trois individus se sont présentés à lui pour solliciter ses services. «Ils souhaitaient que je rédige un article sur un litige qui les opposait à une dame. Au-delà de leurs témoignages, j’ai également exigé des preuves matérielles, en l’occurrence des documents, qui m’ont été fournis», a confié Patrick Achile Dindoumou à Gabonreview, moins d’une demi-heure avant son interpellation.
Il s’avère que l’un des individus ayant sollicité la rédaction et publication d’un article dans les colonnes de l’hebdomadaire le plus vendu du pays, ait été victime d’une escroquerie de la part d’un associé, une certaine Léa B. Cette dernière était en charge des démarches administratives, pour le compte de la société Coremat, dans le cadre la négociation relative aux travaux de construction du Secrétariat général de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (Cima). Pour ses prestations, Léa B s’est vue remettre, par la société Coremat, la somme de 90 millions francs CFA sans en référer à ses associés. Ce qui a conduit à la démarche entreprise par l’une des personnes flouées, qui souhaitait porter au grand jour cette affaire via Echos du Nord. Une initiative davantage motivée par le fait que l’escroc présumé aurait usé de subterfuges pour encaisser son cachet, faisant notamment passer l’un de ses neveux comme mandataire du procureur de la République pour faire aboutir la transaction.
«Dans un souci de vérification, j’ai donc joint la dame question le 8 avril dernier. Après que je me sois présenté à elle, elle a raccroché. Quelques minutes après, j’ai été contacté par son époux, soit dit en passant un officier de la DGDI (Direction générale de la documentation et de l’immigration, le fameux Cedoc – ndlr), qui m’a littéralement menacé et injurié», a raconté Patrick Achile Dindoumou. «Plus tard dans la nuit, le couple m’a une nouvelle fois appelé pour m’injurier à nouveau, en plus de menacer carrément de me faire disparaître, d’ici peu», a-t-il ajouté. Après ces échanges, le journaliste s’est référé, le lendemain, avec sa hiérarchie au sein de la rédaction sur la conduite à tenir par rapport à cette affaire. Excédé par la tension et la psychose de cette situation, le journaliste a décidé, le 19 avril dernier, de se rendre aux bureaux de la Cima pour y rencontrer Léa B, en vain. La suite de l’affaire est donc intervenue ce 20 avril, avec l’interpellation du journaliste, pour avoir simplement voulu croiser les sources, comme le suggère d’ailleurs sa profession.
Une question essentielle se pose : le lien matrimonial de Léa B. avec un officier du Cedoc lui confère-t-il un statut particulier lui permettant de mettre en branle la Gendarmerie nationale en vue d’empêcher la publication d’un article ? Son attitude va en tout cas produire un effet pervers : Echos du Nord, champion pour ce qui est de démasquer les entourloupettes et autres dérives, ne va pas manquer, dans sa prochaine livraison, de disséquer cette affaire et d’en dire plus sur la puissante dame et les 90 millions de francs CFA de la société Coremat.
Un événement fâcheux qui, une fois de plus, vient remettre au goût du jour le débat sur de la liberté de la presse, confirmant ainsi les arrestations illégales ainsi que les menaces à l’endroit des professionnels de l’information. Alerté, le ministre de la Défense nationale, sous la coupe de qui est placée la Gendarmerie nationale, est intervenu auprès du tribunal, tenant sans doute à ne pas faire mentir Ali Bongo qui indiquait, en février 2013, à une délégation de Reporters sans frontières qu’il recevait en audience à Libreville : «Je veille à ce que personne ne soit arrêté pour ses opinions. D’ailleurs, aucun journaliste n’est actuellement en prison». De bonne source, il ressort de l’intervention de Mathias Otounga Ossibadjouo que l’arrestation de Patrick Achile Dindoumou s’est effectuée dans le cadre d’une procédure supervisée par le Procureur de la République et qu’en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, la tentative d’intercéder du ministre a été affaiblie. Le journaliste devrait néanmoins être libéré ce matin du 21 avril. Il n’en aura pas moins passé un sale quart d’heure.