nvité le 1er avril dernier sur «L’entretien» de France 24, l’avocat franco-sénégalais, dernier pilier de la françafrique, a évoqué l’élection d’Ali Bongo en 2009, la position de la France et la perspective d’un échec à venir pour le régime de Libreville. La retranscription intégrale de l’interview à laquelle vous avez peut-être échappé.
Marc Perelman : Vous avez été formé à l’école de Jacques Foccart, le fameux «monsieur Afrique» du Général de Gaulle. Vous avez noué des relations intimes avec plusieurs dirigeants africains, surtout avec Omar Bongo, l’ancien président du Gabon décédé en 2009. Nous allons d’ailleurs revenir à ce moment clé entre (sa) mort et l’élection de son fils Ali Bongo, dans des conditions très controversées. (…) Le Premier ministre français Manuel Valls a récemment fait scandale en déclarant dans une émission de télévision qu’Ali Bongo n’avait pas été élu dans les conditions «comme on l’entend». Pouvez-vous nous dire votre part de vérité sur cette passation de pouvoir entre Bongo père et Bongo fils ?
Robert Bourgi : Le Premier ministre français est un homme réfléchi. Je l’imagine difficilement disant dans une émission de télévision, celle de Laurent Ruquier, des choses qui ne sont pas partiellement vraies. Je ne sais pas comment mes propos vont être perçus. Lorsque j’ai dit qu’Ali Bongo (n’était pas) le candidat de la France mais que c’était le mien, je vais m’en expliquer : en juin 2008, le président (Omar) Bongo me fait venir à Libreville et me dit ceci : «Fiston, il faudrait que Nicolas Sarkozy reçoive Ali, parce que c’est à lui que je pense pour prendre ma succession, en tandem avec sa sœur Pascaline Bongo, à condition que ce choix soit ratifié par le peuple gabonais.»
Je viens expliquer cela au président de la République française. Il me dit : «Je ne le recevrai pas», en parlant d’Ali Bongo, «tu le dis au président Omar Bongo», lequel a envoyé son fils à Paris et s’est Claude Guéant, secrétaire général à la présidence, qui l’a reçu en ma compagnie, au cours d’un entretien (discret) dans son bureau suivi d’un petit-déjeuner. Personne n’est au courant. Aujourd’hui, je fais une révélation de plus.
L’entretien chez Claude Guéant a duré pratiquement 3 heures, suivi le lendemain d’un petit-déjeuner. Et Claude Guéant dit à Ali Bongo : «Bon, le président de la République a pris acte du choix de votre père mais comprenez que pour l’instant il ne peut pas vous recevoir.» Ali Bongo retourne à Libreville. Le président Omar Bongo me fait venir. Je l’ai vu plusieurs fois. Et au mois de novembre, il me demande avec insistance que le président Sarkozy reçoive cette fois-ci, personnellement, Ali pour la même raison. Le président Sarkozy a reçu Ali Bongo. Il lui a dit : «Ecoutez, c’est le choix de votre père. Nous n’irons pas contre ce choix mais votre père a dit qu’il fallait que le peuple gabonais ratifie le choix qu’il aura fait.» Le président Sarkozy avait (alors) donné des instructions à Bruno Joubert, à l’époque conseiller Afrique à l’Elysée, qui organisait un petit-déjeuner à trois au 2 rue de l’Elysée, Ali Bongo, Robert Bourgi l’invité de Bruno Joubert. Le choix a été accepté par Joubert qui me dit à la fin de l’entretien : «Robert, ça n’est pas mon choix. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose.»
Pour qu’on comprenne bien. Ce qui a été fait à travers ces réunions, c’est un adoubement par l’Elysée d’Ali Bongo…
Absolument ! Avec la précaution quand même, prise par le président Sarkozy, en disant que le choix doit être ratifié par le peuple gabonais. Les évènements sont allés en s’aggravant pour le président Omar Bongo et pour son épouse. Le président Omar Bongo décède en juin 2009, et je l’ai d’ailleurs appris par Ali Bongo par un coup de fil dans la nuit. Là, si je puis le dire, la machine s’est remise en marche, allant vers l’adoubement d’Ali.
Pourquoi vous dites «adoubement» ? Il n’y a-t-il pas eu élection ?
Deux hommes de l’entourage du président Omar Bongo, qui avaient pris fait et cause pour Ali se sont activés pour accélérer le mouvement intramuros et extramuros en faveur d’Ali. Je les nomme : Jean Pierre Lemboumba, proche d’entre les proches d’Omar Bongo, et Guy Nzouba Ndama, président de l’Assemblée nationale, qui vient de démissionner avec éclat de la présidence. Jean Pierre Lemboumba et moi-même avons été reçus par Claude Guéant le 13 juillet (2009) au soir. Tout était mis en place pour que l’élection d’Ali se précise, et Guy Nzouba Ndama lui aussi, avec moi, a été reçu par Claude Guéant.
Qu’est-ce que vous voulez dire par «tout est mis en place» ?
Il fallait convaincre les leviers existant au sein du pays pour tirer la candidature d’Ali Bongo Ondimba vers le haut.
Alors, l’élection arrive, très controversé, Michel de Bonnecorse, un des anciens «monsieur Afrique» sous Jacques Chirac, a dit dans un documentaire, avant de se rétracter, que le score de l’élection avait été inversé, qu’Ali Bongo avait perdu. Qu’en est-il ?
Je tiens à préciser une chose, c’est que la France n’est intervenue nulle part pour perturber les résultats de l’élection. Mais je sais que M. de Bonnecorse n’a pas totalement tort.
L’élection a été truquée ?
Je pense qu’elle n’a pas été claire à 100%.
Ali Bongo avait perdu ?
Je ne sais pas s’il avait perdu mais le score n’était pas celui que l’on a connu.
Vous avez des remords d’avoir participé à ces réunions ?
Oui ! Je vais vous dire très franchement comme je le dis tout le temps. Il n’était pas question pour moi d’aller contre le choix d’Omar Bongo Ondimba.
Il a fait un mauvais choix à la lumière de ce que l’on voit ?
A la lumière de nous voyons aujourd’hui, je crois qu’il n’a pas été inspiré.
Vous vous êtes opposé assez violemment avec Ali Bongo. Vous continuez à le faire. Vous l’avez pourtant rencontré il y a peu à Libreville. On a dit que ça allait être la réconciliation…
Je l’ai rencontré au mois de novembre dernier. Cela faisait quatre ans que je n’avais pas mis les pieds à Libreville, et j’avais exprimé le désir, de plus en plus fort, de me recueillir sur la tombe d’Omar Bongo Ondimba. Cela me fut accordé. Je suis allé à Franceville. J’ai passé de longs moments sur la tombe du président, et lorsque je suis rentré j’ai discuté avec Ali. Là, je lui ai dit à ma manière : «Ali, va falloir quand même que tu puisses gouverner ton pays autrement. Faudrait que tu puisses ouvrir le dialogue avec tes opposants qui représentent quelque chose dans le pays. Il faudrait que tu fasses le dialogue inclusif, que toutes les grandes puissances demandent, réclament.» Il m’a dit ceci : «Il n’y aura pas de dialogue inclusif. A offense publique, excuse publique. Tant qu’ils ne se seront pas excusés de m’avoir insulté, je ne les recevrai pas.»
J’ai repris l’avion, j’ai quitté Libreville et quelques temps après la presse dite du pouvoir a commencé par utiliser tous les noms d’oiseau contre moi.
Vous êtes donc fermement opposé à ce qu’Ali Bongo soit réélu…
Absolument !
Il y a une élection prévue au mois d’août, il y a aussi une controverse sur son origine, à savoir qu’il serait peut-être une enfant adopté et donc pas né au Gabon. Or, l’article 10 (de la Constitution gabonaise) dit qu’il faut être né au Gabon pour pouvoir être candidat. Vous devez en savoir quelque chose…
Moi, si j’ai un conseil à donner de nouveau à Ali Bongo Ondimba, futur candidat, c’est que pour que son élection, sa candidature, ne soient pas contestées, qu’il produise un extrait de naissance en bonne et due forme.
Mais l’opposition est divisée et n’a plus aucune chance, alors que l’élection est à un tour. Donc, il va être réélu ?
Je ne crois pas. Il y a deux ans M. Perelman vous m’avez posé à peu près la même question. Je vous ai dit que je ne voyais pas Omar Bongo Ondimba derrière Ali Bongo Ondimba. Cette fois-ci je ne le vois pas du tout. Et aujourd’hui, le constat que je fais c’est que le Gabon est assis sur une poudrière qui menace d’exploser à n’importe quel moment, et j’ai peur pour le régime d’Ali Bongo Ondimba. C’est un régime qui repose sur le tout répressif, sur l’aspect sécuritaire…