Fait rarissime, le président de la Cour constitutionnelle du Gabon, Marie-Madeleine Mborantsuo, est sorti de la réserve que lui impose le métier de juge pour échanger avec la presse. Comme pour une épreuve cathartique, elle a «vidé son sac» en abordant tous ou presque tous les dossiers.
Marie-Madeleine Mborantsuo, réputée difficile d’accès, d’autant plus qu’elle n’a eu que rarement à s’exprimer personnellement dans les médias, en dehors de ses fonctions officielles, a tenu à deviser avec des journalistes de différents organes pour livrer sa part de vérité et pour éclairer l’opinion quant à tout ce qui s’est dit après les élections locales et municipales du 14 décembre 2013.
Précisant qu’elle souhaitait que ce qu’elle a dit à cette occasion soit répercuté, sans entorse, aux compatriotes de l’intérieur ou de l’extérieur du pays, le président de la Cour constitutionnelle a rappelé d’entrée de jeu que «la République est faite par tout le monde. Elle est une, indivisible et chacun, à sa place, a son rôle. Et tous ce que nous faisons concourent au développement du pays. Chaque citoyen participe au vivre ensemble».
Abordant les différentes fonctions qu’elle a occupées au sein de l’administration de la République, Marie-Madeleine Mborantsuo a laissé entendre qu’elle est aux affaires depuis les années 1980. Elle a cependant eu à subir le chômage comme certains jeunes de son époque avant de retourner en France poursuivre d’autres formations. Elle a ensuite enseigné à l’Université Omar-Bongo grâce à l’appui de Fidèle Mengue M’engoua, l’actuel membre du gouvernement gabonais, et à l’Institut des finances. Ensuite, elle a été conseiller du ministre de la Planification, elle a contribué à la mise en place de la Chambre des comptes, à la conférence nationale de 1990, et la rédaction de la Constitution d’après cette date. «La démocratie qui est la notre aujourd’hui et que nous vivons, j’y ai pris une part active», a-t-elle déclaré avant d’ajouter qu’elle n’est pas étrangère à ce Gabon pour lequel elle souhaite aussi du bien.
Au moment de la mise en place de la Cour constitutionnelle, elle a été élue par les neuf membres et depuis lors, Marie-Madeleine Mborantsuo préside à la destinée de cette haute juridiction.
Retour sur 2009
Revenant sur la période trouble qu’à connu le Gabon en 2009 après la mort du président Omar Bongo, le président de la Cour constitutionnelle estime que les mauvaises interprétations faites ici et là sur le rôle que cette institution a joué ne sont pas fondées. Et de se demander comment les gens n’ont-ils pas pu voir que malgré le fait que le président Bongo était son parent, et malgré la douleur dans laquelle ils se trouvaient au sein de cette Cour, ils n’ont pas failli à leur tâche. La preuve, selon elle, est que l’institution dont elle assure la supervision a organisé la transition tout en permettant à la présidente du Senat de prêter serment et de travailler depuis la présidence pour avoir les mains libres. Or, la Constitution ne le prévoyait pas de cette manière. «Qui s’était levé pour dire que le Gabon reste debout ?», a-t-elle interrogé avant de relever que comme le défunt président était son parent, le premier réflexe aurait été pour elle de «plier bagages et de quitter le pays pour se protéger». Or elle est restée pour servir le pays, a-t-elle assuré.
«J’aimerais aussi qu’on dise que la Cour constitutionnelle aurait du être en deuil après le décès du président Omar Bongo Ondimba», a lancé Marie-Madeleine Mborantsuo qui demande si son «intérêt personnel n’était pas de partir et de se mettre à l’abri». «Il n’y a pas que des avantages dans les fonctions, il y a aussi tout ce qui va avec», a-t-elle indiqué, expliquant que Omar Bongo Ondimba n’a jamais dit qu’Ali Bongo Ondimba devrait être président de la République. «Je ne savais pas qu’il allait être élu président, je ne savais même pas qu’il devrait être candidat à cette élection».
Y allant, Madame Mborantsuo a expliqué que si les élections étaient bien organisées, rien ne permettraient à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur quoi que ce soit. Du coup, elle a rappelé que la haute juridiction ne sort de son silence que lorsqu’on l’a sollicite à travers des saisines. Et elle rendrait des décisions conformément à la loi. Toute chose qui lui a permis d’expliquer l’article 72 de la loi organique à l’origine de nombreux rejets des requêtes lors des élections au Gabon. Le président de la Cour constitutionnelle souligne que tout est écrit dans cet article de la loi que les politiques ne prennent pas la peine de lire et dès le moment que l’une des règles établies n’est pas respectée, les juges ne poursuivent même pas l’examen du dossier puisque la loi a déjà prévu la sanction. Car des saisines sont souvent faites et signés par les avocats des requérants, les noms sont souvent mal écrits, … et cela entrainant de facto des rejets.
«Si la loi n’est pas appliquée, l’autre partie va invoquer cela pour faire annuler le procès. Cette loi n’est pas de Mborantsuo, qu’elle soit là ou pas elle sera toujours appliquée par d’autres parce qu’elle a été votée par le législateur», soutient-elle.
Pour elle, il est évident que les gens contestent sa personne au lieu des décisions que la Cour prononce. Et un observateur de relever qu’«un juge doit se récuser s’il doit juger une affaire dans laquelle elle a des intérêts». Personne n’a en effet oublié qu’étant parente d’Omar Bongo, ainsi qu’elle l’a certifié, et donc d’Ali Bongo, elle devrait se récuser et ne pas juger une affaire pour laquelle elle pourrait être juge et partie. Un aspect qu’elle choisi d’occulter ou qui n’a pas être abordé par la presse. Elle a cependant relevé que «Marie-Madeleine Mborantsuo n’est pas juge unique». Et de se demander comment ceux qui travaillent en amont des élections, organisent tout cela jusqu’à rendre les résultats, ne sont pas inquiétés alors que l’on s’acharne sur sa personne. Occasion pour elle de citer tous les ministres de l’Intérieur depuis l’avènement du multipartisme en 1990, mais aussi les noms des différents présidents de la Commission électorale qui ne souffrent d’aucun acharnement. De plus, indique Mborantsuo, comme tous les Gabonais, elle a régulièrement suivi les différentes proclamations des résultats depuis un poste de téléviseur.
Le cas Jonas Moulenda
Les journalistes n’ont pas manqué d’évoquer avec le président de la Cour constitutionnelle le cas de leur confrère, Jonas Moulenda, sanctionné d’éligibilité pour 6 ans. «Il est un journaliste comme vous et je comprends que cette solidarité fasse que cette décision soit commentée de toutes les manières». «Jamais, je n’ai poursuivi un journaliste en justice, jamais je n’ai saisi aucune institution», a déclaré le président de la Cour constitutionnelle.
Mme Mborantsuo a indiqué ensuite que Jonas Moulenda ne s’était pas présenté à l’élection du 14 décembre 2014 comme un journaliste, mais plutôt comme le militant d’un parti en l’occurrence l’Union pour la nouvelle République (UPNR). «Son dossier a été reçu par un greffier et non par Marie-Madeleine Mborantsuo. Quand il est venu en audition, il n’a pas rencontré le président de la Cour constitutionnelle. Ce n’est que quand il y a le rapport des juges que lors d’une grande réunion, on se retrouve», a-t-il expliqué.
Ce qui aurait motivé la décision des juges de la haute cour serait particulièrement le fait que Jonas Moulenda a commis des articles sur cette affaire alors qu’elle était encore en instruction. De même, a souligné Marie-Madeleine Mborantsuo, il aurait affirmé que les magistrats sont corrompus.
Amenée à la comparaison avec d’autre cas, plus rudes et dont les coupables n’avaient pas été sanctionnés d’inéligibilité, le magistrat répond que les calibres de ces personnalités dans l’échiquier politique national compte également. Pour elle, si on frappait Paul Mba Abessole ou Pierre Mamboundou d’une telle sanction, ils diraient qu’on les empêche de se présenter aux élections parce qu’ils ont le potentiel pour gagner. Du coup, il fallait faire la sourde oreille et les laisser se prendre à leur propre jeu.
On se demande pourtant pourquoi les cas cités en exemple de Paul Mba Abessole et Pierre Mamboundou n’ont-ils pas créé une jurisprudence profitable à tous les citoyens, que l’on dit égaux devant la loi. Pourquoi ne pourrait-on pas penser que la sanction infligée à Jonas Moulenda va l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle et de la gagner, parce qu’il pourrait en avoir le potentiel, personne ne pouvant en préjuger. Et pourquoi n’a-t-on pas dissocié le statut de candidat de M. Moulenda de son travail du journaliste, dont les chroniques, intitulées «Lettre à…» sont connues du grand public, s’adressent à différentes personnalités (même le Chef de l’Etat) selon l’actualité et le contexte du pays.
On se demande, au final, à quoi a rimé ce long plaidoyer pro domo du président de la Cour constitutionnelle et qu’est-ce que cela devrait laisser entrevoir à deux ans la prochaine présidentielle.