Libreville, Gabon – Un nouveau genre comprenant deux nouvelles espèces de Mormyres ou poissons éléphants, famille de poissons produisant de faibles décharges électriques, a été décrit à partir de trois uniques spécimens collectés sur une période de 13 ans au Gabon, en Afrique centrale, annonce des chercheurs depuis New York aux Etats unis d’Amérique.
Le genre a été appelé Cryptomyrus (« poisson caché ») et c’est le premier nouveau genre de la famille des Mormyridae décrit depuis 1977.
La description a été publiée dans un numéro récent du journal scientifique ZooKeys, par John P. Sullivan et Carl D. Hopkins de l’Université de Cornell à Ithaca, New York, USA, et Sébastien Lavoué de l’Institut d’océanographie de l’Université nationale de Taipei, Taiwan.
« Compte tenu des efforts qui ont été entrepris pour collecter à des fins scientifiques des poissons au Gabon au cours des vingt dernières années, il est surprenant de n’avoir que trois spécimens, » selon John Sullivan, l’auteur principal. « Le fait de ne pas en avoir davantage a rendu les descriptions difficiles, mais il était important d’annoncer cette découverte sans plus tarder. » Sullivan a ajouté qu’il ne savait pas si ces poissons sont effectivement rares dans leur aire de distribution ou si les ichtyologues n’ont tout simplement pas échantillonnés dans les régions ou les habitats dans lesquels ces espèces sont plus communes.
« Cela montre que la connaissance que nous avons de la diversité des espèces de poissons au Gabon est encore très incomplète », a déclaré Sullivan.
Le dernier des trois spécimens a été capturé sur le fleuve Ogooué, au Gabon, en septembre 2014, lors d’une expédition conjointe du CENAREST (Centre national de recherche du Gabon) et de The Nature Conservancy.
C’est au crépuscule, sur l’Ogooué, à proximité des chutes de Doumé, que Sullivan et les autres membres de l’équipe ont trouvé cet unique et étrange spécimen dans une nasse appâtée à l’aide de vers de terre.
Sullivan s’est interrogé sur l’identité de ce poisson à son retour au Cornell University Museum of Vertebrates. Il s’est rappelé d’un spécimen unique et ressemblant collecté dans le fleuve Nyanga au Gabon par son collègue Sébastien Lavoué 13 ans auparavant, et d’un autre pêché dans la rivière Ngounié, toujours au Gabon, qui lui avait été envoyé à des fins d’identification un an et demi plus tôt par son collègue, Yves Fermon.
« Voici pourquoi nous avons besoin de collections d’histoire naturelle, » nous dit Sullivan, « pour conserver ces spécimens et des prélèvements d’ADN en bon état, parce que les comparaisons entre spécimens peuvent demander des années, voire des décennies. »
L’ADN de ces trois spécimens analysé à l’Université de Cornell a montré qu’ils étaient fortement apparentés et n’appartenaient à aucun genre de mormyres connu. « Nous n’avions pas d’autre choix que de les décrire comme appartenant à un nouveau genre, et le nom Cryptomyrus, qui signifie « poisson caché, » nous a semblé être approprié pour des poissons si difficiles à trouver, » a dit Sullivan.
Une des deux espèces nommée en l’honneur de Marc Ona Essangui
Il existe plus de 200 espèces de Mormyridae dans les eaux douces africaines ; ils s’orientent dans leur environnement et communiquent entre eux par le moyen de faibles décharges électriques, trop faibles pour être perçues par l’homme, mais qui sont captées par des cellules électro-réceptrices extrêmement sensibles situées sous la peau.
Sullivan a pu photographier et enregistrer le signal électrique de l’unique spécimen des chutes de Doumé. Le poisson a été appelé Cryptomyrus ogoouensis d’après le fleuve Ogooué. Les spécimens des rivières Ngounié et Nyanga sont décrits comme appartenant à une deuxième espèce, Cryptomyrus ona, nommée d’après l’activiste écologiste gabonais Marc Ona Essangui, fondateur de l’ONG « Brainforest » et lauréat du Prix Goldman pour l’environnement, ou « Nobel vert » en 2009.
« Marc Ona a travaillé d’arrache pied pendant des années pour protéger les forêts et les zones humides du Gabon contre l’exploitation irresponsable et la pollution, » nous dit Sullivan. « Il y a quelques années, lui et son groupe ont mis un terme à des projets de barrage sur la rivière Ivindo au niveau des Chutes de Kongou, les chutes d’eau les plus spectaculaires de toute l’Afrique centrale. Cela aurait modifié de façon irrémédiable l’écologie de l’Ivindo, une rivière dont l’ichtyofaune est unique. Le nom de ce poisson n’apporte pas l’argent et le prestige du Prix Goldman, mais c’est un témoignage sincère de notre admiration pour son œuvre et pour son courage. »
The Nature Conservancy, une organisation internationale de conservation qui travaille dans plus de 35 pays du monde, a financé en 2014 l’expédition de l’Ogooué à laquelle Sullivan et d’autres experts ont participé. « The Nature Conservancy mérite toute notre reconnaissance pour cette découverte, » d’après Sullivan. « C’est un bel exemple de la façon dont les organisations de conservation peuvent favoriser les découvertes dans le domaine de la biodiversité en s’associant avec des taxinomistes et des musées d’histoire naturelle. »
« Le Nature Conservancy est ravi d’avoir contribué à cette découverte. Pour mieux protéger une ressource, il est indispensable de mieux la connaître et savoir où elle se trouve. Comprendre la condition actuelle des poissons et des rivières du Gabon aidera le pays à gérer efficacement ses ressources pour le bénéfice aussi bien des populations humaines que de la nature, » a dit Marie-Claire Paiz, directrice du Programme Gabon pour The Nature Conservancy.
« Notre objectif est de contribuer à outiller le Gabon pour que les décideurs puissent effectuer des choix avisés sur des bases scientifiques solides, sur où et comment utiliser les rivières de façon rationnelle. Par exemple, il est important de chercher à minimiser les dommages sur les ressources nécessaires aux populations riveraines lors de la prise de décisions sur les emplacements de nouvelles infrastructures. C’est ainsi que ce type d’expéditions et le travail de ces chercheurs peuvent contribuer à façonner le cours de l’histoire de ce pays. »
Cryptomyrus est le premier nouveau genre décrit de la famille des Mormyridae depuis 1977 et le Cryptomyrus ona n’est que le deuxième poisson du Gabon nommé en honneur d’un Gabonais. Le premier était un poisson-chat décrit dans les années 1960s, le Notoglanidium boutchangai, nommé d’après Honoré Boutchanga, un assistant technique du Département des Eaux et Forêts de l’époque.