Pour Dorothée Delaunay, d'Amnesty International France, la législation sur le continent élargit de plus en plus le champ des infractions liées à l'homosexualité.
Après la promulgation la veille d'une loi durcissant la répression de l'homosexualité dans le pays, un journal ougandais a publié mardi une liste de 200 personnes qu'il dit être homosexuelles. Une chasse aux sorcières qui atterre les défenseurs des droits LGBT, mais qui n'est pas une exception. Le mois dernier déjà, le Nigeria avait promulgué une loi prévoyant 10 ans d'emprisonnement contre les personnes de même sexe affichant publiquement leur relation. Selon un rapport d'Amnesty International publié en juin 2013, l'homosexualité reste passible des tribunaux dans près de trois quarts des 54 pays africains. Une criminalisation qui a des conséquences graves sur la santé publique, explique Dorothée Delaunay, responsable de la commission Orientation sexuelle et identité de genre pour l'ONG Amnesty International France.
LE FIGARO.- l'Afrique est-elle le continent où les droits des homosexuels sont les plus bafoués?
Dorothée DELAUNAY.- La criminalisation de l'homosexualité gagne du terrain en Afrique, et l'on peut citer des exemples récents comme l'Ouganda ou le Nigeria. Dans 36 pays africains, les lois prévoient des sanctions pénales pour les rapports consentis entre personnes de même sexe, parfois même la peine de mort comme en Mauritanie, en Somalie ou au Soudan. Avant, la législation pénalisait «seulement» l'acte homosexuel, mais on élargit désormais de plus en plus le champ des infractions en interdisant par exemple la «promotion» de l'homosexualité. Et même si la loi n'est pas toujours appliquée, elle est une épée de Damoclès pour les personnes discriminées. Il est toutefois difficile de quantifier l'attitude de l'Afrique par rapport à autre continent, la criminalisation de l'homosexualité existant dans bien d'autres pays dans le monde.
Comment expliquer ces lois toujours plus répressives?
Il y a une combinaison de plusieurs facteurs, à commencer par la visée électoraliste évidente de ce genre de discours destiné à choisir des boucs-émissaires, une minorité, pour détourner l'attention de la population de sujets tels que l'économie, le chômage... Il y a aussi, bien sûr, l'influence religieuse: en Ouganda, la législation a été fortement poussée par l'influente Eglise évangélique venue des États-Unis, qui est très organisée, avec une véritable stratégie d'action. La religion explique aussi la répression dans les pays musulmans appliquant la charia, la loi islamique, comme c'est le cas au Soudan notamment.
Cette criminalisation a-t-elle des conséquences sanitaires?
C'est en effet une conséquence parmi d'autres. Le VIH est encore catalogué - à tort évidemment - comme une maladie véhiculée par les homosexuels. Avec la stigmatisation et la peur de la délation que les lois encouragent, les gens vont moins consulter leur médecin à ce sujet, qu'ils soient gays ou non, par crainte d'être dénoncés. Cela entraine des conséquences en terme de santé publique. La loi ougandaise (qui oblige à dénoncer quiconque s'affiche homosexuel, ndlr), a également un impact sur les médecins: vont-ils devoir dénoncer les patients qui se confient à eux?
Y-a-il un «bon élève» en Afrique?
L'Afrique du sud est un peu l'exception du continent, car elle est la seule à autoriser le mariage gay. Et la Constitution du pays interdit toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Un bémol toutefois: sur le terrain, les crimes de haines existent toujours et les homosexuels restent victimes de violences.