Le Directeur programme Paix et Sécurité de l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (Unitar), Evariste Karambizi, à l’occasion d’un entretien avec Gabonreview lors de la conférence sur le rôle des médias dans la consolidation de la paix, a invité les «Gabonais à ne pas mettre de l’huile sur le feu», indiquant que le Gabon a «la chance d’être un pays calme autour des volcans en ébullition».
Gabonreview : A l’ouverture de la conférence de haut niveau organisée par l’Unitar sur le rôle des médias dans la consolidation de la paix, vous avez exposé sur le «Rôle des médias dans la prévention des conflits et pour une paix durable» devant le président de la République, les hommes politiques et les journalistes. En quelques mots, quel message avez-vous fait passer ?
Evariste Karambizi : Nous avons co-organisé avec le ministère gabonais de la Communication cet événement. Dans ma communication, il s’agissait de rappeler que les médias peuvent jouer un rôle positif comme ils peuvent jouer un rôle négatif. Mais il s’est agit d’insister sur leur rôle positif dans le processus de paix, que ce soit dans la prévention lors de la gestion des crises et même dans la consolidation de cette paix. Le rôle positif qu’ils peuvent jouer c’est de savoir déjà qu’ils disposent d’un outil qui peut contribuer, au même titre que d’autres éléments de la société, à la promotion de la paix.
Est-il possible aujourd’hui de compter seulement sur les médias pour espérer maintenir et pérenniser la paix ?
Oui, c’est possible. Ce ne sont pas que les médias. Les médias et les journalistes font partie d’un ensemble d’acteurs. Seuls, je dirais non ! Les efforts des journalistes viennent s’ajouter à ceux des politiciens, à ceux de la société civile, du gouverné et du gouvernant, sachant que les journalistes disposent bien sûr des outils rapides et puissants qui peuvent promouvoir la paix.
Il y a un non-dit dans les communications déclinées depuis l’ouverture de cette conférence. C’est le conflit entre l’homme politique et le journaliste. Nous savons tous que la plupart des journalistes, pour ce qui est de l’Afrique centrale, sont généralement inféodés à des hommes politiques. Dans ces conditions, est-il vraiment possible de créer les conditions de la paix, surtout durable, lors qu’on sait qu’étant d’un camp ou de l’autre, les politiques se règlent les comptes par journalistes ou médias interposés ?
Je dirais que la conférence ne s’adresse pas aux journalistes seulement. C’est un forum qui rassemble aussi les politiciens et la société civile. Chacun a donc sa part de responsabilité pour promouvoir la paix. Nous avons analysé l’outil média. La plupart du temps, nous sommes sous informés sur le rôle des médias et parfois, nous avons peur des médias. Tout simplement parce que nous sommes témoins, où nous avons vu que les médias peuvent détruire. Quoi qu’il en soit, le politicien devrait travailler avec les médias. Il est le lien qui crée le garde-fou entre le politicien, le gouvernant et le gouverné.
Mais quand le politicien devient l’«ordonnateur», l’instigateur d’une crise ou d’un malaise par des journalistes interposés, que peut-on faire à ce niveau ?
Plusieurs intervenants ont évoqué le cas du Rwanda et on parlé des médias du génocide. Il ne faut pas que les médias ou les journalistes basculent. Il ne faut pas qu’ils soient utilisés par les politiciens. Ils doivent faire leur métier de manière professionnelle en suivant l’éthique et la déontologie. Le politicien, comme je le disais, ne comprend pas parfois le rôle des médias. Il ne respectera pas parfois les médias parce qu’il s’accuse de quelque chose. Le politicien n’est pas un ange et c’est pourquoi les médias doivent comprendre les gouvernants et vice et versa. Ils doivent jouer leur rôle comme il faut. Ce n’est pas toujours facile. Et c’est pourquoi nous sommes ici pour débattre, pour trouver un compromis : comment les médias peuvent-ils contribuer de plus en plus à promouvoir la paix. Prenons l’exemple du Burundi aujourd’hui. Les médias ont été exclus, mais la situation ne fait que s’empirer. Or, si le politicien avait compris que les médias sont là pour informer le peuple et non pour intoxiquer ou servir d’outil de propagande aux politiciens, je me dis que ça irait mieux. Il faut tirer une leçon de tous ces cas pour qu’il y ait une meilleur protection et promotion de la paix.
La question de la formation a été maintes fois évoquée au cours de cette conférence, en dehors de ce type de conférences, certes pédagogiques, que faites-vous de plus pour les journalistes, pour les hommes politiques et la société civile dans le cadre de la promotion, de la vulgarisation et de la protection de la paix ?
L’Unitar, comme son nom l’indique, c’est l’Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche. Je commencerais par la formation et la recherche. C’est une institution qui a 52 ans et qui a vraiment contribué à la formation professionnelle des ressortissants des pays membres, que ce soit au niveau très élevé (politiciens) et de tous les acteurs de la vie d’un pays. Sur les recommandations de cette conférence, l’Unitar est prête à contribuer à la formation des journalistes comme à la formation des politiciens dans les différents domaines. Nous avons déjà des cours, nous collaborons avec les institutions comme la Fédération internationale des journalistes et je reste convaincu que cette modeste contribution peut participer effectivement à renforcer les capacités des journalistes.
Au Gabon, pays hôte de cette conférence, l’année est électorale, avec l’organisation de la présidentielle et des élections législatives. Avez-vous un message à faire passer à l’endroit des journalistes gabonais, des politiciens et de la société civile pour préserver la paix que vous défendez aujourd’hui ?
Mon message est simple. C’est celui de la paix. Je recommande aux journalistes, aux politiciens gabonais, à toute personne, même un simple citoyen, de passer au Rwanda pour avoir l’évidence de ce qui s’est passé dans ce pays. Ou bien, il faut aller actuellement au Burundi. Il ne faut pas seulement suivre les médias, il faut se rendre sur le terrain et là vous comprendrez combien la paix est chère, combien, elle est précieuse. Sauvegardez votre pays, vous avez la chance d’avoir un pays calme autour des volcans en ébullition : les Boko Haram et autres menaces dans la sous région. Vous êtes à l’abri, s’il vous plait, ne mettez pas de l’huile sur le feu. Laissez-nous au moins une chance d’avoir un endroit où on peut se réfugier parce que la région d’Afrique centrale est sous menace.