Au moment où le baril de pétrole poursuit sa dégringolade, les pays de la Communauté économique d’Afrique centrale (Cemac), dépendants pour la majorité des recettes pétrolières, voient leurs ambitions de développement s’éroder. Les enveloppes consacrées aux investissements dans les infrastructures baissent, la masse salariale explose, les dépenses fiscales gonflent, l’inflation avoisine le niveau zéro dans certains pays, le secteur privé souffre d’entorses à la concurrence, d’un environnement des affaires vicié et malsain et d’un accès restreint à la commande publique. Retour sur une situation qui frise le chao, esquisses de solutions à la lumière des recommandations du Fonds monétaire international.
Le constat est de la Banque des Etats d’Afrique centrale (Beac). Lors de son dernier comité de politique monétaire tenu le 17 décembre 2015 à Yaoundé, la banque centrale a posé le diagnostic de la sous-région : ralentissement de la croissance à 2,4%, hausse du déficit budgétaire à 4,2%, persistance du déficit extérieur courant à 11,4%, baisse du taux de couverture de la monnaie à 71%. Dans le même temps, à la Beac, les réserves de certains pays s’amenuisent et atteignent péniblement les 200 milliards de Fcfa. Seule note optimiste, la chute de l’inflation dans certains pays comme le Gabon où elle est de 0% alors que le taux communautaire s’établit à 2,9%.
Cette situation succède à une période d’embellie qui aura duré quatre années d’affilée. En effet entre 2011 et 2014, le taux de croissance communautaire plafonne à plus de 4%. En 2013, il se situe à plus de 5% avant de redescendre à 4,7% en 2014 du fait de la chute des investissements publics couplée au début de la chute des cours du baril. Durant cette période, le Gabon va connaitre une croissance de 6% dont11,7% pour le secteur hors-pétrole. Mais, depuis que la crise pétrolière est intervenue, les économies dépendantes des recettes pétrolières de la sous-région notamment la Guinée équatoriale dont le taux de croissance a dégringolé à -12%, le Tchad, le Congo, le Gabon, le Cameroun, deviennent poussives.
Mais paradoxalement, alors que l’érosion des recettes budgétaires creuse le lit des finances publiques dans ces pays, l’on assiste à un gonflement des effectifs à la fonction publique, une explosion de masse de salariale, une augmentation des subventions de toute nature, des dépenses de prestige à l’instar de l’acquisition du matériel roulant, de l’envoi des missions à l’étranger. Dans le même temps, l’assiette fiscale reste figée, les décideurs consentent des exonérations fiscales et des abattements douaniers prohibitifs aux opérateurs économiques, l’environnement des affaires n’est toujours pas propice à l’éclosion d’un secteur privé fort pouvant servir de soutien aux carences de l’Etat en matière de création d’emplois et de richesses.
Au cours de l’année 2015, tous les pays de la Cemac ont enregistré un déficit budgétaire profond. Par pays, on se situe à -3,8 % contre -3% du PIB au Cameroun, -9,4 % contre de +3,4% en République Centrafricaine, -14,5 % contre -7,8 % au Congo, à -1,5 % contre +2,4% au Gabon, à -2,6 % contre -6,1 % en Guinée Equatoriale, et à -1,0 % contre -2,1 % du PIB en 2014 au Tchad. Les transactions courantes affichent une aggravation du déficit qui dégringole de -3443,6 milliards de Fcfa à -5237,5 milliards de Fcfa (-11,4 % contre -7,0 % du PIB) un an auparavant. Ce qui entraîne un déséquilibre de la balance commerciale qui baisse de plus de 49% et s’établit en valeur absolue à 4 148,5 milliards de Fcfa.
Les dépenses effectuées en zone Cemac tout au long de l’année 2015, n’ont pas véritablement contribué à relever la croissance des Etats. Selon un rapport de la Banque de France, les investissements bruts ont contribué négativement à la croissance économique en 2015. Cela est le fait des ajustements réalisés dans les lois de finances rectificatives en ce qui est des investissements pour tenir compte de la baisse des recettes budgétaires.
Ainsi, les investissements bruts ont obéré la croissance de 2,3 points en 2015, tandis que les investissements privés n’ont apporté que 0,2 point contre 6,4 points en 2014. Quant aux investissements publics, la diminution du volume des investissements a entraîné une baisse de 2,1 points de croissance en 2015 contre -0,4 point en 2014. En fin d’année, le taux d’investissement dans la sous-région s’est situé à 34,5 % en 2015 contre 34 % en 2014.
Face à ce chapelet de contreperformances, les experts préconisent un ajustement du modèle de développement économique. Il est capital pour les pays de la Sous-région d’engager les réformes structurelles nécessaires pour réduire la vulnérabilité extérieure à travers la diversification de l’économie, de favoriser les investissements et le développement du secteur privé, notamment à travers l’amélioration du climat des affaires et le renforcement des incitations, et de prévenir tout endettement excessif grâce notamment à l’adoption de stratégies d’endettement garantissant la viabilité de la dette. Car, la poursuite de la baisse du prix des matières premières et du pétrole occasionne une fragilisation accrue de la demande interne et des comptes extérieurs des États exportateurs.
Du coup, le durcissement des conditions globales de financement touche aussi les pays de la Zone. A long terme, la résilience des pays de la zone aux chocs exogènes nécessite la poursuite d'une dynamique interne de croissance vigoureuse, diversifiée, durable et inclusive. L'accentuation du choc extérieur et son caractère prolongé rendent indispensable l'amélioration de l'efficacité des politiques, notamment budgétaires.
Cela passe par une meilleure mobilisation des ressources fiscales, une optimisation des dépenses en faveur de la croissance à long terme, priorité donnée à la formation du capital humain et physique, et réduction des dépenses inefficientes, notamment des subventions aux prix des carburants. La diversification des économies de la zone Cemac reste contrainte par des faiblesses structurelles persistantes qui appellent une accélération des réformes pour améliorer l'environnement des affaires.
Aussi faut-il, recommande la banque de France, rendre le système juridique et judiciaire plus efficace et plus équitable, améliorer la régulation du système financier, la gestion durable des ressources naturelles, et renforcer les systèmes de santé, d'éducation et les filets de protection sociale. Un objectif majeur de ces réformes doit être de créer les conditions d'une croissance inclusive, plus riche en emplois, et de transformer en atout le dynamisme démographique.