Le président de la République gagnerait à donner une suite conséquente à sa dernière adresse. Réformer notre système électoral et, au-delà nos institutions, est une urgence pour garantir notre vivre ensemble.
Ali Bongo serait-il devenu un adepte des figures de style ? Entre litote, anaphore et antiphrase, il en a usé récemment. Son dernier discours en contenait beaucoup. Et cela n’a pas toujours contribué à la clarté du propos. S’il n’a fermé ni ouvert aucune porte, il a paru indécis. N’empêche, il a définitivement acté une urgence : la nécessité de «consolider la démocratie et la République» à travers un «échange permanent». A ses yeux, «l’intérêt supérieur de la nation nous commande de penser et vivre autrement la contradiction politique». S’il venait à ne pas donner de suite concrète à cette assertion, le président de la République se dédirait d’une manière ou d’une autre.
Il y a la réalité politique, juridique et institutionnelle. Chahuté sur son état-civil voire son éligibilité, accusé de s’être imposé par la force, présentant un bilan pas forcément à son avantage, Ali Bongo n’est pas toujours en phase avec une partie non négligeable de l’opinion. Si des plaintes diverses et multiples ont été introduites contre lui, une partie de la population clame ouvertement son désir de le voir destitué. S’il a résisté et réussi jusque-là à tracer sa route, ce n’est pas le fait du peuple mais des institutions. Sa présence au pouvoir tient donc de la connivence institutionnelle et non d’une adhésion populaire. De quoi interroger le caractère démocratique du pays.
Gouvernance hérétique
La situation du président de la République, de l’ensemble des institutions et donc de la République est absolument délicate. Une décision de justice ou une rebuffade des institutions ébranlerait tout l’édifice étatique, déjà mis à mal par une gouvernance hérétique et une défiance populaire jamais observée. Plus personne ne peut prétendre ne pas avoir eu vent ou contribuer, d’une manière ou d’une autre, à entretenir le débat sur la sincérité de l’acte de naissance du président de la République. Plus grand monde ne peut contester le désaveu populaire dont sont frappées toutes les institutions. Autrement dit, «un gouffre évident s’est crée entre le pays officiel et le pays réel», pour paraphraser François Bayrou.
Les dévots de la «politique de l’émergence» et autres adeptes du déni de réalité dénonceront, à coup sûr, une caricature. Mais, au fond d’eux-mêmes, ils ne seront pas convaincus de leurs dires. La publication de documents divers tenant lieu d’actes de naissance du citoyen Ali Bongo, aussi bien sur le Net que chez des confrères aussi prestigieux que Le Monde, sèment le doute sur la capacité de nos institutions à faire respecter la loi. Les révélations de Mediapart sur le poids de la pieuvre Delta Synergie dans l’économie nationale inquiètent quant à la capacité des dépositaires du pouvoir d’Etat à protéger la chose publique et défendre le bien commun. Les fréquentes références à la formule d’André Mba Obame sur la «Tour de Pise qui penche toujours du même côté» pour parler de la Cour constitutionnelle traduisent un déficit de confiance. Pour tout dire, on baigne dans un malaise global. On vit sous un climat de défiance généralisé. Il y a donc nécessité à restaurer la confiance, au risque de voir la prochaine présidentielle se muer en point de départ d’une aventure aux conséquences inconnues et inimaginables.
Pour organiser une compétition, il faut s’assurer de l’adhésion des participants aux règles et de leur confiance en l’arbitre. Avant la prochaine présidentielle, il faut donc rétablir la confiance vis-à-vis de l’administration, de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) et de la Cour constitutionnelle. Echaudée par les expériences des présidentielles organisées depuis 1993, l’opinion laisse éclater sa frustration. Elle dit sa détermination à ne plus se laisser gruger. Dans un tel contexte, le président de la République doit prendre ses responsabilités. Il doit anticiper pour prévenir ou éviter le pire.
Jugement de l’histoire
Il faut établir un consensus national minimal sur les questions-clés engageant la crédibilité de la prochaine présidentielle. Le jeu de ping-pong auquel se livrent les institutions sur leur responsabilité (lire par ailleurs «Des choses et d’autres autour de la rumeur d’interdiction de sortir de Mborantsouo») ne contribuent nullement à donner du crédit aux différentes élections. L’argument éculé de l’absence de preuves ne participe pas à rassurer les forces sociales. Dans les faits, les institutions sont individuellement et collectivement responsables. Mieux : la question des preuves ne se pose que là où l’administration a abdiqué ou fait le choix d’un camp. Il serait, de ce fait, suicidaire de continuer sur cette voie. En un mot comme en mille, la réforme de notre système électoral voire de nos institutions est une urgence. Des pays comme le Nigeria ou le Burkina Faso, plus vastes et plus peuplés que le nôtre, l’ont fait avec un certain succès. Pourquoi le Gabon devrait-il se tenir en marge de la marche du monde ? Pourquoi devons-nous toujours prendre pour référence le pire et jamais le meilleur ? En contrepartie des réformes, le président de la République pourra toujours miser sur la sagesse du peuple. En échange d’évolutions politiques et institutionnelles, le citoyen Ali Bongo pourra, de toute façon, s’en remettre au jugement de l’histoire.