Depuis quelques jours, une rumeur enfle dans les rues de Libreville au sujet d’une fin de non-recevoir opposée à la présidente de la Cour Constitutionnelle, qui souhaitait se rendre à l’étranger. Sous-entendus et retour sur un aparté avec la concernée.
S’il est vrai que le microcosme politique national est désormais en proie à toutes sortes de micmacs, coups bas, trafics d’influence et dénis de réalité, il est aussi vrai qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Autrement dit, la rumeur d’une éventuelle interdiction de sortie du territoire dont aurait été frappée la présidente de la Cour constitutionnelle doit avoir un fondement, même si seul le temps pourra révéler le fin mot de cette histoire.
Ces derniers jours, certains confrères ont évoqué cette histoire en usant du conditionnel. Interrogatif, Echos du nord, dans sa livraison du 28 décembre 2015 titrait à ce propos : «La présidente de la Cour constitutionnelle, sous le diktat de la justice aux ordres ?». Sans confirmer quoi que ce soit, notre confrère raconte qu’à quelques minutes de quitter le territoire national en partance pour l’Europe, une interdiction «arbitraire» a été faite à Marie-Madeleine Mborantsouo. Citant des «sources concordantes non infirmées», il précise qu’elle aurait reçu une instruction orale d’un policier, qui lui aurait chuchoté l’interdiction qui la frappait, au point de la contrarier et de susciter l’annulation de son voyage. Si tel est vraiment le cas, que reproche-t-on à la présidente de la Cour constitutionnelle ? Est-ce une affaire politique ? Est-ce un signe avant-coureur des représailles après l’annulation de l’ordonnance relative à l’organisation générale de la justice ?
Au regard des liens familiaux unissant le président de la République à la présidente de la Cour constitutionnelle, toutes les supputations ont cours. D’aucuns pensent que du fait du soutien inconditionnel que la Cour constitutionnelle a toujours apporté au régime en place, lui interdire de sortir du territoire national «sans la manière et encore moins sans le respect des lois en vigueur dans le pays est signe d’un désaveu et d’abus d’autorité». Et Echos du Nord de relever qu’il s‘agit du «premier gros poisson du régime à tomber de façon aussi déconcertante dans l’abîme de cet abus d’autorité». «Qu’en la matière, seul un juge, à l’instar du président du tribunal ou du procureur de la République, a qualité d’agir, avec obligation de motiver par écrit sa décision. Des motivations opposables au droit, et qui n’ont donc pas valeur de parole d’évangile», précise notre confrère.
Flash-back sur le plaidoyer pro domo de Mborantsouo
De nombreux journalistes se souviendront que le 5 mars 2014, Marie-Madeleine Mborantsouo était sortie de sa réserve. Comme pour une catharsis, elle avait «vidé son sac», en off, devant la presse, abordant tous les dossiers ou presque. Revenant sur la période trouble qu’a connu le Gabon en 2009 après la mort du président Omar Bongo, la présidente de la Cour constitutionnelle avait alors estimé que les mauvaises interprétations faites ici et là sur le rôle joué par cette institution ne sont pas fondées. Et de se demander comment les gens n’avaient-ils pas pu voir que malgré qu’Omar Bongo était son parent, et malgré la douleur dans laquelle se trouvaient les membres de la Cour, ceux-ci n’ont pas failli à leur tâche. La preuve, selon elle, était que l’institution dont elle assure la supervision avait organisé la transition tout en permettant à la présidente du Senat de prêter serment et de travailler depuis la présidence pour avoir les mains libres. Or, la Constitution, selon Mborantsouo, ne disposait pas les choses ainsi. «Qui s’était levé pour dire que le Gabon reste debout ?», avait-elle interrogé avant de relever que le défunt président étant son parent, le premier réflexe aurait été pour elle de «plier bagages et de quitter le pays pour se protéger». Or, souligna-t-elle alors, elle est restée pour servir le pays. «Il n’y a pas que des avantages dans les fonctions, il y a aussi tout ce qui va avec», avait-elle indiqué, expliquant que Omar Bongo Ondimba n’a jamais dit qu’Ali Bongo Ondimba devrait être président de la République. «Je ne savais pas qu’il allait être élu président, je ne savais même pas qu’il devrait être candidat à cette élection».
Y allant, Madame Mborantsouo avait alors expliqué que si les élections étaient bien organisées au Gabon, rien ne permettrait à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur quoi que ce soit. Et de rappeler que la haute juridiction ne sort de son silence que lorsqu’on la sollicite à travers des saisines et que l’institution rendrait des décisions conformément à la loi. Toute chose qui lui avait permis d’expliquer l’article 72 de la loi organique à l’origine de nombreux rejets des requêtes lors des contentieux électoraux. La présidente de la Cour constitutionnelle soulignait alors que tout est écrit dans cet article que les politiques ne prennent pas la peine de lire et dès le moment que l’une de ses dispositions n’est pas respectée, les juges ne poursuivent même pas l’examen du dossier puisque la loi a déjà prévu la sanction. Car des saisines sont souvent faites et signés par les avocats des requérants, les noms sont souvent mal écrits, … entrainant de facto des rejets.
«Si la loi n’est pas appliquée, l’autre partie va invoquer cela pour faire annuler le procès. Cette loi n’est pas de Mborantsouo, qu’elle soit là ou pas elle sera toujours appliquée par d’autres parce qu’elle a été votée par le législateur», soutenait-elle.
Pour Mborantsouo, il est évident que les gens contestent sa personne plutôt que les décisionsprinincées par la Cour. Et un observateur de relever qu’«un juge doit se récuser s’il doit juger une affaire dans laquelle elle a des intérêts». Personne n’a en effet oublié que réputée parente d’Omar Bongo, ainsi qu’elle l’avait elle-même alors certifié, et donc d’Ali Bongo, elle devrait se récuser et ne pas juger une affaire pour laquelle elle pourrait être juge et partie. Un aspect sur lequel elle avait alors tout de même choisi de ne pas s’étendre, relevant cependant que «Marie-Madeleine Mborantsouo n’est pas juge unique». Et de se demander comment ceux qui travaillent en amont des élections, qui organisent tout le processus électoral jusqu’à en rendre les résultats, ne sont presque jamais inquiétés alors que l’on s’acharne systématiquement sur sa personne. Occasion pour elle de citer alors tous les ministres de l’Intérieur depuis l’avènement du multipartisme en 1990, mais aussi les noms des différents présidents de la Commission électorale qui ne souffrent d’aucun acharnement. De plus, indiquait-elle alors, comme tous les Gabonais, elle a régulièrement suivi les différentes proclamations des résultats électoraux depuis un poste de téléviseur. Comme quoi, elle n’est pour rien quant à l’élection d’un tel ou de tel autre, à l’en croire.
Pourquoi donc ce 5 mars 2014, Marie-Madeleine Mborantsouo avait-elle choisi de vider littéralement son sac ? Avait-elle quelques remords ? Pressentait-elle alors des menaces ? Avait-elle pris l’option de virer sa cuti ? Et si l’annulation, hors délais somme toute, par la Cour constitutionnelle, le 4 décembre dernier, de toutes les ordonnances visant à réformer le système judiciaire, procédait d’une logique et d’un processus entamés ce jour-là avec ce plaidoyer pro domo ?