En lieu et place du législateur, le conseil des ministres a adopté par Ordonnance, le mardi 11 août 2015, un nouveau Code pénal. L’article 425 de ce nouveau texte fait sursauter, tant il semble avant tout conçu pour interdire toute polémique au sujet d’une célèbre filiation fortement controversée depuis la dernière présidentielle.
«Quiconque, sans droit ni titre, sans qualité à agir, a par quelque moyen que ce soit remis en cause la filiation légitime, naturelle ou adoptive d’autrui, en dehors des cas où le père légitime a, avant sa mort, engagé une action en désaveu de paternité, est puni d’un emprisonnement de cinq ans au plus et d’une amende de dix millions (10 000 000) de francs au plus ou de l’une de ces deux peines seulement. Les poursuites ne peuvent être engagées que sur plainte de la personne lésée», dispose l’article 425 du nouveau Code pénal, adopté par ordonnance en conseil des ministres le 11 août dernier.
Appelé à traduire en français facile cette surprenante disposition, un avocat a laissé entendre : «Celui qui essai encore de dire que je ne suis pas le fils de mon défunt père je lui prépare une chambre à «Sans-Famille»». Et l’homme de prétoire de poursuivre : «Ce n’est pas un Code pénal ! Une ordonnance taillée aux besoins de ceux qui l’ont commandée… C’est la seule infraction que les Gabonaises et les Gabonais commettront volontairement et collectivement… Il n’y aura plus de place à la prison centrale.».
L’homme de loi confirme donc la crainte de la plupart des citoyens ayant pris connaissance de cette nouvelle loi. Dans le cas d’espèce, il sera en tout cas bien difficile de ne pas faire le lien entre ce nouvel article 425 du Code pénal et la remise en cause, notoire depuis 2009, de la filiation du chef de l’État avec Omar Bongo Ondimba.
Contexte de l’ébouriffant article 425
En avril 2009, les Gabonais ont été abasourdis, lors d’une conférence de presse télévisée dans le cadre des Journées de la Défense nationale, d’entendre le ministre de la Défense d’alors être interrogé, opportunément, sur sa filiation avec Omar Bongo Ondimba. Par tactique ou par anticipation, la question de la filiation de l’actuel chef de l’État avec Omar Bongo Ondimba avait donc été publiquement évoquée en premier lieu par Ali Bongo lui-même.
Dès lors, l’observateur attentif ne fut guère surpris de voir Luc Bengone Nsi remettre en cause cette filiation devant la Cour Constitutionnelle en octobre 2009, lors du contentieux de l’élection présidentielle anticipée du 30 août 2009. Irrecevable, lui répondit alors la Cour Constitutionnelle. Le 9 juin 2011, le même Bengone Nsi saisissait cette fois le procureur de la République à travers une plainte contre X, pour usage de faux sur l’acte de naissance présenté par Ali Bongo lors de l’élection présidentielle. Puis vint, le livre de Pierre Péan, «Nouvelles Affaires Africaines», paru le 29 octobre 2014. On y notait, à la page 7 qu’«Ali Bongo, actuel chef de l’État gabonais, est une création de Jacques Foccart, le tout –puissant conseiller du général de Gaulle qui avait la haute main sur la politique africaine de la France et sur ses services secrets. Né dans l’ex-province nigériane du Biafra, Ali fut recueilli à Libreville, et ce sont les «réseaux Foccart» qui convainquirent Albert Bongo, président en exercice, de l’adopte r. Cette adoption constitue un épisode de la guerre secrète menée par la France pour aider les Biafrais à faire sécession d’avec la fédé rat ion du Nigeria : la déclaration d’indépendance, fin mai 1967, a été suivie d’une guerre civile qui ne s’est achevée qu’en janvier 1970.»
Pierre Péan accusait notamment l’actuel chef de l’État gabonais d’avoir falsifié de nombreux documents, de son acte de naissance à ses diplômes. À la surprise générale, Ali Bongo choisira de porter plainte contre Pierre Péan pour d’autres motifs : la tentative d’assassinat sur Jean-Pierre Lemboumba, l’affaire Rawiri, considérée par certains comme un empoisonnement et le coup d’État électoral de 2009.
Le 12 novembre 2014, Jacques Adiahénot, Pierre Amoughe Mba, Jean Eyéghé Ndong, Pierre André Kombila Koumba, Jean Marcel Malolas, Fulbert Mayombo Mbendjangoye, Albert Mba Ndong, Paulette Missambo, Benoit Mouity Nzamba, Zacharie Myboto, Jean Ntoutoume Ngoua, Casimir Oye Mba, Jean Ping et Jean-Pierre Rougou saisirent à leur tour la justice pour l’inscription en faux de l’acte naissance du chef de l’Etat, présenté lors de l’élection de 2009. Irrecevable, dira à son tour le procureur de la République, Madame Sidonie Flore Ouwé.
Le 28 novembre 2014, Jean de Dieu Moukagni Iwangou choisira de saisir la Haute cour de justice. Ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat ne se sont à ce jour prononcé sur sa requête. Une association dénommée «Article 10 – Ali bouge de là» se constituera, le 28 novembre 2014, pour elle aussi contester cette filiation et en tirer les conséquences politiques.
La lettre de l’article 425
Il est connu de tous et les étudiants de première année de droit l’apprennent de leur «maîtres» : la loi se doit toujours d’être générale, abstraite, et impersonnelle. Elle se doit d’abord d’être générale ; elle ne concerne donc pas les différents cas d’espèce et ne tranche pas tel ou tel cas particulier. Elle se doit ensuite d’être abstraite, ne s’attache donc pas à une agression présente, avec toutes les passions et toutes les souffrances qui en découlent, mais à de simples catégories mentales. Elle se doit enfin d’être impersonnelle, pour ne concerner aucun individu particulier, mais tous les justiciables se trouvant dans une situation donnée.
D’autre part, on ne peut qu’être surpris de constater l’adoption d’un nouveau Code pénal par voie d’ordonnance ; surtout pour un texte qui doit faire l’objet d’une longue réflexion, d’une large concertation et d’un consensus minimum pour son adoption. Pour un texte qui devrait occuper les débats parlementaires pendant de longues semaines, voir plusieurs mois, on est naturellement surpris de son adoption par voie d’ordonnance. Où était l’urgence !?
Par ailleurs, l’article 425 semble s’adresser exclusivement à la contestation de la filiation avec le père. Qu’en est-il donc de celle avec la mère ? Il ne semble concerner que les cas où ce père serait décédé, qu’en est-il des cas où le père est vivant ? On doit donc se rendre à l’évidence : cela s’appelle le «sur-mesure».
L’article 42 alinéa 1 du Code la nationalité dispose pourtant que «La charge de la preuve, en matière de nationalité gabonaise, incombe à celui dont la nationalité est en cause». N’y a-t-il pas là une contradiction, un renversement de fait de la charge de la preuve ? Si le nouveau Code pénal a été adopté par ordonnance, le Parlement a jusqu’au 31 décembre 2015 pour l’adopter, l’amender ou le rejeter. Il ne fait aucun doute que l’opinion regardera avec soin le sort qui sera réservé par les parlementaires à cet article 425 qui sonne comme un aveu.