Pour les proches de Jean Ping, la situation est telle désormais au sein de l’opposition qu’il n’est d’autre solution pour rétablir la confiance et permettre au Front de désigner un candidat unique que de changer de stratégie.
Inattendu retour de bâton… Depuis bientôt deux ans, certains militants et cadres de l’Union nationale (UN) n’ont eu de cesse de dénoncer l’atonie, l’attentisme voire l’immobilisme de la direction de leur parti. Si ces récriminations peuvent s’entendre et se soutenir, cette croisade contre «la politique des bureaux climatisés et salons feutrés» n’a pas favorisé la réflexion et la mise en place d’une stratégie rondement conçue. Et pourtant, cet exercice paraît dans les cordes de nombreux d’entre eux. Universitaires de haut vol, professionnels connus et reconnus, activistes renommés, leur réputation les précède dans bien des cas. Il leur fallait analyser la participation des forces sociales à la vie politique, identifier les problèmes auxquels est confrontée l’opposition, définir les objectifs à court, moyen et long termes, choisir les alternatives et modalités d’action et développer un plan clair et cohérent. Au-delà, il leur fallait construire une offre politique.
Manifestement, cette étape conceptuelle a été passée par pertes et profits. Dans une ambiance infernale, où l’on a du mal à distinguer le vrai du faux, l’intox de l’info, ils se retrouvent, depuis quelques temps, condamnés, au choix, au silence ou au vacarme. Et les dernières révélations de notre confrère Misamu ne sont pas faites pour les rassurer quant à leur action en faveur de l’unité de l’opposition ou à l’efficacité de leur tactique : ils auraient tenu, le 28 du mois dernier, une réunion au domicile de Jean Ping afin de concevoir une stratégie de déstabilisation de l’Union nationale moyennant la coquette somme de 300 millions de francs… Tout un projet politique…
Pantalonnade
Visiblement tout ceci a très peu été conceptualisé. Les soutiens de Jean Ping ont omis d’identifier l’ensemble des acteurs et institutions impliqués, directement ou indirectement, dans la vie politique. Ils n’en ont pas clarifié les intérêts, attentes, résistances, craintes et contributions. Au lieu de tenir compte de l’histoire particulière de l’Union nationale, marquée par la dissolution, la réhabilitation et la maladie puis le décès de son secrétaire exécutif, André Mba Obame, ils ont voulu faire comme si de rien n’était, comme si ce parti n’avait pas traversé une série d’épreuves singulières. Là où il fallait faire preuve de froideur et de sincérité dans l’analyse, ils ont privilégié l’émotion, ramenant la lutte politique à une querelle de personnes ou une bataille d’égos. Ayant érigé l’occupation du terrain en acte de bravoure suprême, ils ont oublié de construire un projet politique. Au final, leurs options ne s’avèrent ni juridiquement viables, ni sociologiquement compatibles ni politiquement acceptables.
N’en déplaise aux tenants de la méthode Coué, aux adeptes de la politique de l’autruche, aux partisans de l’autocélébration et autres amateurs de piloris, leur tournée dans l’arrière-pays a été parasitée par la question de leur rapport à l’Union nationale et particulièrement à la mémoire de son regretté secrétaire exécutif. A trop entretenir le flou sur leur positionnement, ils sont restés dans le clair-obscur. A trop avoir le cul entre deux chaises, ils ne peuvent promouvoir leur champion sans risquer un procès en apostasie. Chacun en voit désormais le résultat : une conspiration, une tentative d’OPA (offre publique d’achat) rapidement éventée et muée en pantalonnade. Est-ce bien là une manière de contribuer au raffermissement des liens au sein de l’opposition ? Est-ce une façon de cultiver la confiance, si essentielle en pareille période ? Est-ce le meilleur moyen de s’assurer de la désignation de leur champion comme candidat unique du Front de l’opposition pour l’alternance ? Tous les doutes sont permis…
Dans une circonstance similaire, Anaclé Bissiélo, Fabien Méré et leurs amis du Parti radical des républicains indépendants (Pari), avaient, dans le passé, fait le choix de quitter le Parti gabonais du progrès (PGP) et son leader, Pierre-Louis Agondjo Okawé, pour rallier la Convention des forces du changement, alors financée et cornaquée par Jean-Pierre Lemboumba-Lepandou. La suite, chacun la connaît : le Pari mourut de sa belle mort et Jean-Pierre Lemboumba-Lepandou explosa en vol pour réapparaître quelques années plus tard aux côtés d’Omar Bongo Ondimba comme coordinateur général des Affaires présidentielles. Plus proche dans le temps, Richard Moulomba-Mombo fit le choix de demeurer fidèle à son parti, l’Union du peuple gabonais (UPG), et son leader, Pierre Mamboundou, jusqu’au terme de la dernière présidentielle, avant de prendre son envol. Les soutiens de Jean Ping pouvaient-ils se résoudre à l’une ou l’autre de ces options ? Eu égard à l’emphase avec laquelle ils se réclament d’André Mba Obame, ces hypothèses tombent d’elles-mêmes. N’empêche, ils avaient toujours la possibilité de choisir une voie originale, de tracer leur route. Pour cela, il leur fallait prendre le temps de la réflexion et accepter de faire un peu de «politique des bureaux climatisés et salons feutrés»
Evidences
Trop sûr d’eux, enivrés par les you-you entendus çà et là, ils ont fini par enfermer Jean Ping dans une stratégie à peine élaborée, négligeant les précautions élémentaires. Tels les chantres de Jean-Pierre Lemboumba-Lepandou naguère, ils ont mis en avant le portefeuille et le carnet d’adresses de leur champion, oubliant ostensiblement de nouer des alliances, construire une mécanique et formuler un authentique projet politique. Au-delà, ils ont revêtu l’ancien président de la commission de l’Union africaine du statut de candidat unique sans égards pour les autres constituants du Front de l’opposition pour l’alternance. N’empêche, la récente tournée de Jean Ping dans l’arrière-pays leur a rappelé certaines évidences : pour le peuple de l’opposition, l’Union nationale est devenue une marque, un label, une garantie de la poursuite de l’œuvre d’André Mba Obame. Comment, dès lors, s’inscrire dans la continuité de ce dernier sans être membre de l’Union nationale ? Voilà le défi qui se pose désormais à eux. La prise de conscience de cette réalité est-elle au fondement du vaudeville mis au jour par Misamu ? Cela semble évident. Mais, tout ceci contribue à ruiner les efforts de rassemblement entrepris jusque-là.
Pour ne pas définitivement compromettre l’objectif d’une candidature unique et laisser au Front de l’opposition pour l’alternance une chance de survie, une seule issue s’offre désormais à Jean Ping : changer de stratégie et construire une mouvance politique propre, sans chercher à marcher sur les platebandes de quiconque. Mais pour cela, ses soutiens doivent prendre le temps de réfléchir au mécanisme de formulation d’un projet et de construction d’une dynamique politique. Comme quoi, la politique se fait aussi dans les bureaux…