«Moi qui ‘ai toujours aimé les Robins des Bois, les peuples insoumis, j’aime ça…», pourrait chanter Ika Rosira à la suite de Renaud Séchan. Plus philosophique que pamphlétaire cette fois-ci, elle tente une archéologie de l’attitude résignée et accommodante du Gabonais, pour soigner le mal par la prise de conscience de son origine et, au finish, amener à l’éveil des consciences. Une psychanalyse collective.
Bon pour commencer, il faut expliquer la victimisation comme le fait d’être prédisposé à subir, à souffrir, à adopter le rôle de celui qui se soumet et/ou qui est abusé. C’est ce statut de victime, qu’il faut admettre avant de pouvoir s’en défaire, c’est cet état de martyr qu’il faut comprendre et non méjuger.
Pourquoi est-ce que le peuple gabonais se condamne en admettant pas qu’il est victime d’un système qui l’empêche de s’épanouir et d’évoluer ? Que ce soit au niveau des mentalités, au niveau économique et surtout au niveau social, la pauvreté des uns n’est perçue que comme un manque de bol, c’est la faute à «pas de chance», si vous ne réussissez pas. Et si ce n’est que la chance d’être bien né, dans une famille nantie ou privilégiée qui faisait toute la différence entre les uns et les autres, pourquoi au juste ce serait normal d’accepter cet état des choses ?
La victimisation commence dès le bas âge. Quand on dit à l’enfant qu’il doit obéir sans rien dire, sans poser de questions, quand on le frappe pour un oui ou pour un non, quand on pense lui apprendre le respect à coups de ceinture, il est prédisposé à ne pas réfléchir. On dira sans doute que les enfants occidentaux ne sont pas mieux éduqués, qu’ils manquent totalement de respect à leur parent, mais il y a une différence à faire entre respecter ses parents et les craindre. La crainte ne naît pas seulement dans la cellule familiale, elle naît aussi dès la petite école, quand c’est avec des coups que le maître ou la maîtresse apprend à ses élèves la bienséance, l’alphabet et l’arithmétique. On n’apprend pas à aimer la connaissance. On n’apprend pas à s’informer, ni même à discerner la vérité du mensonge. On apprend à craindre des représailles. La dictature commence au berceau.
Cette structuration de la mentalité se poursuit en soumettant les femmes à un statut de sous-hommes, avalisées par la religion, par le genre, par la famille et par la tradition, on leur apprend à accepter, à obéir, à subir, à se contenter de ce qu’elles ont, parce qu’il y a toujours pire. On ne condamne ni le viol, ni le harcèlement sexuel, ni la violence conjugale ou familiale et les promotions canapés sont avalisées voire même institutionnalisées depuis la cour du lycée jusqu’au sommet de l’État. Et tous ces viols commis collectivement par les gamins et gamines du quartier ou du lycée, passent entre les mailles du filet, parce que la jeune fille n’aurait pas dû être au mauvais moment, au mauvais endroit. Elle n’aurait pas dû s’habiller ou se comporter comme elle le faisait. Elle n’aurait pas dû faire femme et pire encore naître femme. Ce n’est pas l’acte commis qui est condamné, mais l’attitude, l’ouverture ou la confiance accordée par la jeune fille violée qui est condamnée par la société. Même les viols et les abus commis au sein des familles sont pardonnés pour éviter les on-dit, pour éviter les cancans, pour éviter de faire parler les gens. La culture de la honte ne protège pas les victimes, elle protège les bourreaux.
L’usage de la violence est dans toutes les sphères de notre société comme une normalité, une fatalité qui prend sa source même dans la structure disciplinaire de notre culture : le grand a raison, le petit a tort, le plus fort domine, le plus faible subit… La corruption est bien instaurée dans l’inconscient collectif des gens. On glisse un billet dans les administrations, dans les institutions, aux gars en uniforme, pour leur dicter la cécité ou l’efficacité. Corrompus dans leur chair, comme dans leur esprit, aujourd’hui la norme est de trouver un homme pour nous hisser, pour nous offrir le confort et la réussite. Et cette philosophie s’applique autant aux femmes qu’aux jeunes hommes qui sont prêts à sacrifier leur hétérosexualité pour obtenir des faveurs.
Mais le pire de tout, c’est qu’on en soit rendus là, à voir des enfants les yeux arrachés, des femmes et des hommes brûlés ou décapités, des monstres disparaître sans laisser de traces après avoir vidé, éviscéré, dépouillé leur victimes de leur sang, de leurs organes, de leur dignité humaine, parce que le peuple est assujetti à ces croyances absurdes et maintenues, à ces pratiques abjectes et inadmissibles.
Sans compter tous ces gens qui alimentent des mensonges éhontés et les répandent pour brouiller les pistes. Une famille retrouvée morte à Oyem ? On diffuse une vidéo qui accuse la jalousie d’une femme. Une femme retrouvée décapitée ? On accuse le fait qu’elle manquait de vertu… crime passionnel dit-on. Une petite fille retrouvée éviscérée ? On arrête des coupables et on accuse l’immigration clandestine. Un homme dégaine son flingue sur sa future ex-femme et assassine froidement son amant ? On accuse les mœurs légères de la femme. Il y a cette tendance absurde qu’ont les gens à toujours trouver des justificatifs à la barbarie, à toujours vouloir la rationaliser. Il n’y a rien de rationnel dans le fait qu’une personne veuille ou puisse disposer de la vie d’une autre personne. Trop de personnes meurent, souffrent, subissent la violence, l’injustice et la cupidité de tous ces monstres déguisés en humains, pendant qu’on transforme chaque cas en fait divers, et non en problème de société.
Entre récupération politique préélectorale, entre le narcissisme ambiant des uns et la prédisposition naturelle du peuple gabonais à subir en silence, à accepter qu’on le gouverne mal, qu’on le spolie, qu’on l’exploite et qu’on le regarde crever à coups de champagne et de caviar pour célébrer son ascendance sur lui. Il y a des gens qui œuvrent en silence, en toute humilité et qui avancent à tâtons, à califourchon, en rampant, priant et agissant pour le bien-être de certaines populations. Quand le peuple gabonais aura saisi à quel point il est victime du système, du régime, de la politique gabonaise et de certaines dynasties établies ; quand il aura compris à quel point il a le droit, il est en doit d’être exigeant et intransigeant, que le pouvoir lui revient, nous serons à deux doigts de récupérer notre pays.