Alors que des opposants à Ali Bongo lui reprochent pour l’essentiel d’avoir succédé à son père, l’un d’entre eux vient de mettre en pratique le contraire de ce qu’il prêche : Jean Eyéghé Ndong vient de pistonner son fils (et même sa fille) à la tête de la mairie du 2e arrondissement de Libreville. Du népotisme pur jus.
Celui qui avait quitté le Parti démocratique gabonais, en 2009, parce qu’il s’opposait à la désignation d’Ali Bongo comme candidat pour succéder à son père à la tête du Gabon ; celui qui avait littéralement surnommé Ali Bongo du nom de Roboam, vient lui-même d’administrer à la face du monde son incapacité à pratiquer ce qu’il prêchait. L’opposition est donc loin d’être exempte des reproches qu’elle fait au pouvoir en place. Jean Eyéghé Ndong vient en effet d’imposer son fils, Alexis Bengone, à la tête de la mairie du 2e arrondissement de Libreville. Si ce n’est pas du népotisme, il va lui falloir créer un néologisme sinon un concept fort éloquent ou convainquant.
Roboam et le cas Ossouka Raponda
Le fait est d’autant plus déplorable que tout le monde se souvient qu’en 2009, lors des obsèques officielles d’Omar Bongo, Jean Eyéghé Ndong avait prononcé une oraison funèbre, aux relents offensifs envers Ali Bongo. Il reprenait alors l’histoire biblique de Roboam, successeur de Salomon, qui, à sa prise de pouvoir, était allé consulter les vieillards. Malgré que ceux-ci lui conseillaient d’être bon, Roboam avait déclaré, suivant le conseil des jeunes avec qui il avait grandi : «Mon petit doigt est plus gros que les reins de mon père. Maintenant, mon père vous a chargé d’un joug pesant et moi je vous le rendrai plus pesant, mon père vous a châtié avec des fouets, et moi je vous châtierai avec des scorpions. «C’est ainsi qu’Israël se détacha de la maison de David» ».
Mémorable. Mais Eyéghé Ndong qui prédisait ainsi que le régime d’Ali Bongo allait être tyrannique, ne se comporte aujourd’hui pas moins comme un tyran envers les 25 personnes qui composaient la liste «Libreville pour tous» qu’il conduisait, aux dernières élections locales, dans le 2e arrondissement de Libreville.
Dans un contexte où l’opinion a déploré, pour le PDG, que Rose Christiane Ossouka Raponda, 8e sur une liste n’ayant obtenu que 10 conseillers, militante de trop fraîche date, ait été bombardée édile de Libreville, l’opposant Jean Eyéghé Ndong exécute la même chose au pied de la lettre. On notera en effet qu’un peu comme Ossouka Raponda, le fils de l’ancien Premier ministre était 10e sur la liste qui prend la mairie du 2e . L’ordonnancement des listes n’est jamais fortuit même s’il n’y a aucune règle concernant la désignation de ceux qui auront les meilleurs quartiers une fois le gibier électoral tombé. Comme Ossouka Raponda, Alexis Bengone est un militant, du moins un politique, de trop fraiche date. L’homme était fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères où il avait atteint le poste de directeur des affaires consulaires au moment où il a été mis au ban par les vagues du «Tsun’Ali». N’eut été ce fait, il n’aurait jamais adhéré à l’Union nationale où nombreux disent d’ailleurs n’avoir pas noté un grand engagement de sa part.
Tribalisme à rebours
Il se raconte à Nkembo que des considérations claniques ont présidé à l’acte de népotisme d’Eyéghé Ndong : la mairie du 2e devait absolument être tenue par un autochtone de la tribu des Essoké. Ce qu’on ne saurait comprendre dans une circonscription devenue cosmopolite et pour une liste électorale qui comptait bien de «Bilop» [non-Fang], à l’instar de Christine Bourobou (4e sur la liste), Jean Valentin Leckaba (11e sur la liste), Samson Kombila Boubala (14e), Eugénie Maroundou ou Wilfried Lemboumi. Aucun de ces non-autochtones n’a été rétribué. L’esprit «Union nationale» aurait pourtant recommandé une distribution plus nationale, du moins un autre saupoudrage. Le top 3 de la mairie du 2e arrondissement de Libreville n’est en effet composé que de proches de l’ancien Premier ministre : en sus du maire de l’arrondissement (fils d’Eyéghé Ndong), le 1er maire adjoint (8e sur la liste) a déjà siégé à l’Assemblée nationale comme suppléant d’Eyéghé Ndong. De même, le 2e adjoint au maire (9e sur la liste) est connu pour être un pilier du giron d’Eyéghé Ndong. Tout aussi symptomatique d’un favoritisme préoccupant, indique une source proche de l’affaire, la secrétaire particulière du maire de cet arrondissement est connue : Christelle Eyéghé, fille de l’ancien Premier ministre et donc sœur du maire-fils.
Si dans cette circonscription, 66,44% de la population s’était prononcée en faveur du candidat indépendant Jean Eyéghé Ndong, très peu avaient prévu la défaite du dernier Premier ministre d’Omar Bongo à l’élection du nouveau responsable de l’Hôtel de ville de la commune de Libreville. De même, après la déconvenue de l’homme face au tandem CLR-PDG, nul n’entrevoyait le scénario qu’il vient de dérouler à Nkembo, car trop éloigné de l’idéal défendu par les opposants depuis 2009.
Déception au sein de l’UN
Cette «nomination» pose donc le problème de la véritable idéologie, sinon des valeurs, de l’opposition gabonaise. En effet, à la suite de cet acte, Eyéghé Ndong est à nouveau le sujet de vifs soupçons de la part des militants de la quasi-clandestine Union national (UN) et des habitants de Nkembo qui, pourtant, voyaient en lui un porteur de «changement» des habitudes des hommes de pouvoir. Or, c’est bien le contraire du discours habituel des leaders de l’opposition gabonaise que Jean Eyéghé et ses collaborateurs viennent de servir à l’opinion. Ainsi, à l’image du Gabon que l’opposition qualifiait de monarchie du fait de la succession des Bongo au pouvoir, le 2è arrondissement de Libreville est lui aussi devenu une sorte de royauté où le «roi» Eyéghé Ndong, communément appelé «Nza Fe» (Qui D’Autre), n’en fait à sa fantaisie, et le plus souvent, dit-on, les choix de cet ancien dignitaire du parti pouvoir tiennent de la tête du client.
Des agissements que de nombreux membres de l’UN déplorent ces derniers jours dans les discussions entre eux. D’ailleurs, un sociétaire de l’UN, Gérard Ella Nguéma du 6e arrondissement, décriait déjà, en décembre 2013, les quasi-injonctions d’une certaine baronnie de son parti. Le secrétaire exécutif adjoint de l’UN avait notamment relevé une conception des listes pour le moins «antidémocratique», suivie d’une distribution des rôles fortement identique aux pratiques du PDG dont ils disent tous vouloir se démarquer. Jusqu’au bout, Jean Eyéghé Ndong aura démontré que le 2e arrondissement est son «royaume». Quelle autre preuve que son fils qui s’est tout bonnement retrouvé à la place du père, après que celui-ci ait choisi de ne plus convoiter le poste de maire de cet arrondissement, dégouté sans doute par sa défaite à l’Hôtel de ville. Tel pouvoir, tel opposition.