Il arrive toujours un moment où les actes doivent se mettre au diapason des paroles. A la fin des fins, il faut défendre l’intérêt général. Cette réalité est celle à laquelle doivent désormais faire face les parlementaires membres de «Héritage et Modernité», confrontés à la question de la validation de textes portant sur des matières hautement sensibles.
Quelle est la plus-value de «Héritage et Modernité» dans le débat politique national et le fonctionnement de nos institutions ? On le saura sans doute bientôt. Voici, en raccourci, l’enjeu éventuel de la session parlementaire en cours. Pour certains observateurs, la fronde menée par Alexandre Barro Chambrier, Michel Menga et leurs amis ne saurait se résumer à une bataille d’appareil, un combat pour le dépoussiérage de la vieille machine du Parti démocratique gabonais (PDG). A leurs yeux, elle doit se traduire dans leur comportement au sein des institutions, là où se prennent les décisions, là où se forge notre avenir commun. Durant l’actuelle session parlementaire, l’attitude des 90 députés et sept sénateurs de «Héritage et Modernité» sera scrutée, analysée sous tous les angles. Pourquoi ? Parce que durant l’intersession, le Conseil des ministres a adopté pas moins de 17 ordonnances dont quatre particulièrement sensibles.
Inutile de chercher midi à quatorze heures : le Parlement doit prioritairement ratifier des ordonnances présidentielles modifiant l’organisation et le fonctionnement de la justice, le Code pénal, le Code de procédure pénale et le statut général des fonctionnaires. Or, l’actuelle session parlementaire est d’abord budgétaire. Autrement dit, elle a pour principal objectif l’examen de la loi de finances 2016 et de la loi des règlements. Les quatre mois impartis seront-ils suffisants pour, à la fois, aller au fond des questions budgétaires et s’appesantir sur des matières comme la justice ou le régime juridique de la Fonction publique ? On peut valablement en douter. Sauf à tenir le Parlement pour des chambres d’enregistrement, on peut déjà craindre des remous.
Respect des principes
Que vont faire les frondeurs de «Héritage et Modernité» ? Là réside l’intérêt politique de cette session. Alexandre Barro Chambrier, Michel Menga et leurs amis pourraient décider de ne pas ratifier les ordonnances en question. Ils pourraient exiger du gouvernement des projets de loi en bonne et due forme. Le principe de séparation des pouvoirs s’en trouverait conforté. Mais, un tel acte les mettrait en porte-à-faux avec leur formation politique. Inévitablement, ils seraient accusés de faire le lit de l’opposition. On serait alors au bord de la crise de régime. Et pour cause : l’autorité judiciaire ne manquerait pas de recevoir l’onde choc de ce rejet et l’on aurait beaucoup de mal à assurer la solde des fonctionnaires sans base légale. Les parlementaires de «Héritage et Modernité» peuvent-ils prendre ce risque ? On demande à voir… Déjà, certains interrogent leur appréciation de la question.
Dans une publication, le 3 septembre dernier, sur son compte Facebook et sur son blog, leur porte-parole revient sur l’Etat de droit. S’il n’évoque pas explicitement le fonctionnement de l’autorité judiciaire, il situe le respect des principes au fondement de la bonne gouvernance et du progrès économique et social. Manifestement, sa religion est faite : rien ne pourra se faire si l’on ne restaure pas préalablement «la confiance des Gabonais, entre citoyens, dans l’Etat, dans la République et l’engagement pour la cause publique». Autrement dit, il plaide pour des mécanismes compris et partagés par tous. Est-ce l’objectif poursuivi par un usage massif des ordonnances ? Peut-on accroître la légitimité de l’autorité judiciaire en modifiant ses règles de fonctionnement par ordonnance ? La justice étant la garantie de notre vivre ensemble, sa réforme doit faire l’objet d’un vrai débat national, susceptible de permettre à toutes les forces de s’exprimer et de garantir l’appropriation des nouveaux mécanismes par l’ensemble du corps social. On l’a vu en France quand il s’est agi d’introduire dans le code civil le mariage entre gens de même sexe. Est-ce l’objectif visé par l’usage d’une ordonnance ? Il est permis d’en douter…
Alexandre Barro Chambrier plaide aussi pour une croissance inclusive, «fondement de la cohésion sociale et de la stabilité politique». Pour lui, elle doit «se manifester par une offre abondante de travail pour le plus grand nombre et notamment pour les jeunes, par le logement pour tous, par la qualité de l’éducation et des soins de santé, par les développements urbains qui privilégient la qualité du cadre de vie et la sécurité pour tous». Peut-il alors se contenter d’une augmentation des salaires au bénéfice des seuls fonctionnaires ? N’est-il pas fondé à militer pour une démarche globale intégrant les salariés sous régime privé ? Ne peut-il pas faire prévaloir un traitement holistique de la question de la vie chère ? Il y a quelques temps, la Banque mondiale rendait les conclusions d’une étude sur la croissance et l’emploi au Gabon. Elle y évoquait l’adaptation du système éducatif, l’appui au secteur privé, l’assouplissement de la législation du travail, la réforme du système de sécurité sociale et le renforcement du cadre institutionnel de promotion de l’emploi. Mais, le Conseil des ministres a choisi l’angle de la hausse des salaires. Du coup, seuls les employés de l’Etat sont concernés. Est-ce bien une manière de promouvoir la croissance inclusive ?
Défendre le bien commun
Placés devant leurs responsabilités, les parlementaires, notamment les membres de «Héritage et Modernité», sont à l’épreuve des faits. Tout au long de l’actuelle session parlementaire, on cherchera à voir si leurs actes sont conformes à leurs paroles. A moins de laisser croire à un coup de folie, un coup de gueule sans lendemain, ils doivent bien mettre en pratique leurs idées. Ont-ils le devoir de soutenir le gouvernement issu de leur majorité et défendre le président du parti politique dont ils sont issus ? Certes. Mais, sur le principe, le mandat impératif est nul. Les ordonnances concernées ayant trait au pouvoir d’achat et surtout à la régulation de notre vivre ensemble, il faut, à la fin des fins, mettre en avant l’intérêt général. Intérêt général ? Cette notion n’appartient ni à la majorité ni à l’opposition. Elle est au cœur de la promesse républicaine. Pour Alexandre Barro Chambrier, Michel Menga et leurs amis, c’est l’heure de vérité.
En légiférant par ordonnance sur des matières comme le fonctionnement de la justice, le Code pénal, le Code de procédure pénale ou le statut général des fonctionnaires, on ne laisse pas aux parlementaires le choix de faire valoir leur libre arbitre ou de défendre le bien commun. On leur demande plutôt de voter mécaniquement et de se transformer en godillots. Vont-ils l’accepter ? A eux de choisir entre les intérêts particuliers et l’intérêt général…