Astuce très en cours dans les milieux politiques nationaux depuis des années, la mobilisation de figurants moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, ne trompe personne, sauf ceux qui s’y adonnent tout en la scrutant chez les adversaires.
Au Gabon, pour la moindre manifestation politique (meeting, causerie, anniversaire de parti et même conférence de presse), on rabat, contre quelques billets de banque, des figurants qui comme au cinéma viennent jouer un rôle muet : démontrer que l’entité organisatrice draine du monde. Plus déplorable, ces figurants, souvent des adolescents, parfois des gamins, ne se sentent en rien concernés et n’ont aucune conscience du message politique délivré lors des rassemblements où ils sont rabattus pour impressionner adversaires et opinion publique. A l’approche de l’élection présidentielle de 2016, ces vieilles méthodes vont faire florès.
A ce jeu, la majorité au pouvoir est passé maître. C’est elle qui fixe les règles du jeu, détient tous les pouvoirs et peut donc agir par le truchement de structures «prête-nom». Sylvie Servoise, rédactrice en chef de la revue « Raison publique », indique dans l’un de ses articles que «le pouvoir politique est autant organisateur et régulateur de l’espace public (et, de manière plus ou moins forte selon sa nature, de l’espace privé) que metteur en scène de lui-même».
Au Gabon, de nombreux événements montrent qu’il y a une réelle mise en scène de l’arène politique nationale. Dans ce registre, l’opposition et la majorité font presque jeu égal. Le récent retour «triomphal» du directeur de cabinet du président de la République, avec un accueil digne d’une «star» à l’aéroport de Libreville, après sa brève interpellation en France, en est l’illustration. Cherchant à comprendre les raisons objectives de cette mobilisation, de nombreux observateurs subodorent des dessous de table et autres non-dits. Quel était le but de cet accueil ? N’y avait-il pas une manœuvre ? Qu’a-t-on voulu démontrer ? Et à qui ? Qui peut tirer les ficelles d’une telle action ? «On n’imagine mal les adolescents désœuvrés des quartiers Akébé accourir à l’aéroport pour soutenir moralement ou acclamer quelqu’un qu’ils ne voient même pas à la télévision ou très rarement, même en photo ; quelqu’un à qui on attribue à tort ou à raison tous les péchés d’Israël. Ces gosses qui ont d’autres chats à fouetter ne peuvent être là que contre quelques billets», estime un journaliste à la retraite. Pour sa part, Sylvie Servoise, dans un article intitulé «Figures et figurations du pouvoir politique», pense que dans les coulisses, il y en a qui se battent pour «donner à voir le spectacle qu’ils offrent et le présenter comme tel». «C’est pour cela qu’il y a des gens avec des statuts (ceux qui contribuent ou assistent – acteurs (ou pantins), spectateurs (engagés ou non) », explique-t-elle.
Tout ceci ravive le souvenir de nombreuses marches de soutien à telle ou telle personnalité, qui se sont souvent terminées en rixes, les figurants ayant souvent du mal à entrer en possession de l’argent promis. On se souvient qu’après une marche à Franceville, en soutien au président de la République, l’on avait même assisté à des séquestrations. Il en fut de même à Libreville, après la grande marche pour la paix à laquelle avait assisté Ali Bongo en avril dernier, la place de Rio s’était muée en théâtre d’engueulades et de discussions interminables. Motif : de nombreux participants n’étaient pas satisfaits des «jetons de présence» reçus (Lire : «Marche pour la paix : Des figurants, payés et transportés»). Récemment encore, devant l’ambassade de France, après une manifestation de protestation, des participants avaient failli en venir aux mains avec les organisateurs du fait du non-paiement des per diem.
Au regard de ces pratiques qui vont jusqu’au transport des figurants, mais aussi des électeurs vers certaines circonscriptions électorales, de sérieux doutes planent sur la légitimité ou la popularité supposées de certains hommes politiques. D’autant plus que, depuis des lustres, les populations fonctionnent au même carburant : le spectacle et les per diem. Généralement, des associations de circonstance sont mises sur pied. Ayant vocation à donner l’illusion de synergie entre la base et les hommes politiques, elles finissent toujours par devenir des handicaps du fait de la diversité des motivations qui animent ceux qui en sont à l’origine. Indubitablement, chacun a conscience qu’il n’est pas question de popularité, ni d’idées à défendre, puisque l’argent pourra toujours agir au moment opportun. Qui trompe-t-on ? Les adversaires politiques qui font de même ou l’opinion bien au fait de ce mode de faire ? Ou alors est-il simplement question de montrer qu’on a de l’argent, qu’on peut se permettre de faire imprimer des tee-shirts et des affiches, louer des bus et promettre des per diem ? Autant dire qu’on est encore loin d’un peuple maitre de ses choix.