Dans une interview à nos confrères de La Loupe, Vincent Essono Mengué s’arroge à nouveau le droit d’exclure des compatriotes de la course à la présidence de la République au nom de… la lutte contre l’exclusion. Ne lui en déplaise, son raisonnement pêche par des imprécisions sur les faits historiques, des raccourcis intellectuels et un manque de prospective à long terme. Comme s’il voulait absolument empêcher d’entrevoir jusqu’où peut mener sa logique.
«On ne parle pas comme ça !», a-t-on coutume de dire aux enfants. Peut-on le dire à un adulte ? A-t-on le droit de l’asséner à un quasi-septuagénaire ? A chacun selon sa conception. Mais, on doit bien aller au-delà des évidences quand le septuagénaire en question s’adonne volontairement à la récidive. Dans une interview à notre confrère La Loupe, Vincent Essono Mengué dit assumer ses propos sur l’interdiction faite aux compatriotes d’ethnie fang de briguer la présidence de la République. Ce faisant, il s’entête et persiste dans le maniement maladroit du fait ethnique, dans les raccourcis intellectuels et la prise de distance avec la vérité historique.
Bien entendu, il ne viendra à l’idée de personne de lui dénier le droit et même le devoir de dénoncer l’ignominieux «Tout sauf un Fang». Ce slogan rétrograde est le reflet du non-aboutissement de la construction nationale. Il heurte l’idéal national et les valeurs républicaines. Chacun doit, en conséquence, s’interroger sur ses conséquences pour notre vivre ensemble. Dans cet exercice, il faut cependant faire preuve de précision dans les rappels historiques et de rigueur dans le raisonnement. Si l’on peut concéder au maire d’Oyem son silence volontaire sur les déterminismes et conséquences de l’appel au boycott du second tour des législatives lancé unilatéralement le 21 octobre 1990 par Paul Mba Abessole, on ne saurait en faire de même s’agissant de la présidentielle du 5 décembre 1993 et des événements subséquents.
Souvenance, connaissance
Les émeutes auxquelles Vincent Essono Mengué fait allusion ne se sont pas produites à l’annonce des résultats du scrutin. Elles ont eu lieu deux mois plus tard, c’est-à-dire fin février 1994. Mieux : nonobstant le soutien de la branche du Mouvement de redressement national (Morena-Bûcherons), elles furent déclenchées par l’appel à la grève générale lancé le 21 février 1994 par la Confédération gabonaise des syndicats libres (CGSL) d’Etienne-Francis Mayombo. Sans minimiser le contexte surchauffé d’alors ou le rôle de Radio-Télé-Liberté et autres structures proches de Paul Mba Abessole, il ne serait ni juste ni honnête de pas tenir compte des effets de la dévaluation du franc CFA. De cela, le maire d’Oyem fait comme s’il n’avait connaissance…
Sur la présidentielle anticipée de 2009, Vincent Essono Mengué établit, une fois encore, un lien direct entre le sort d’André Mba Obame et son appartenance ethnique. Pis : il dit vouloir conjurer un «génocide» éventuel et redouter voir les Fangs accusés d’être les responsables d’une «déflagration». A-t-il seulement analysé les conséquences du scénario du type «un fauteuil pour trois», avec dans les rôles principaux Ali Bongo, André Mba Obame et Pierre Mamboundou, auquel les Gabonais eurent droit en 2009 ? Peut-il dire s’il redoute davantage de porter la responsabilité de la déflagration ou la déflagration en elle-même ? Croit-il en l’éventualité d’une déflagration sans l’implication de toutes les composantes ethniques, y compris les Fangs ?
Pour sûr, il serait indécent de lui demander sa lecture des présidentielles de 1998 et 2005. Naturellement, on ne lui fera pas offense en lui rappelant les événements de mai 1990 et en lui demandant si le Gabon a déjà connu pires moments. Avait-on alors jeté l’anathème sur les Nkomi, groupe ethnique dont étaient issus Joseph Rendjambé et Pierre-Louis Agondko Okawé ? Avait-on pris prétexte du rôle prétendument joué par Alain Dickson et son départ en exil pour faire porter la responsabilité à tous les Mpongwè ? Même la démission, dans des conditions rocambolesques, d’Augustin Boumah, alors président de l’Assemblée nationale et par ailleurs oncle maternel du mis en cause, fut interprétée comme un acte individuel. De tout cela, le maire d’Oyem n’a plus souvenance…
Paravent au sectarisme
A quoi joue Vincent Essono Mengué ? Son propos pourrait être minimisé s’il ne se fondait sur des omissions volontaires et surtout s’il n’était la symétrie parfaite d’une stupidité d’une insondable bassesse. On ne combat pas la bêtise en la reprenant à son compte. Demander aux compatriotes d’ethnie Fang de renoncer à la présidence de la République c’est se montrer arrangeant avec les adeptes du «Tout sauf un Fang». Implicitement cela revient à légitimer la catégorisation des citoyens en fonction de leur naissance et de leur appartenance ethnique. Or, la République doit traiter tous les citoyens de la même manière. Elle doit permettre à chacun de mettre ses idées et sa personne au service de la chose publique, du bien commun et de l’intérêt général.
Membre-fondateur de l’Union socialiste gabonaise (USG) aux côtés de Serge Mba Bekalé, Jean Victor Mouanga Mbadinga et Marc-Louis Ropivia notamment, Vincent Essono Mengué le sait parfaitement. Il l’a même théorisé jadis à travers les cinq volontés de l’USG – unité nationale, démocratie, travail, justice sociale et unité africaine. Il a œuvré pour la reconnaissance des droits civils et politiques de l’ensemble des Gabonais à travers la proposition de Charte nationale des libertés, devenue une annexe de la Constitution. Paradoxalement, il abjure aujourd’hui ses idéaux d’hier, au nom d’une fumeuse tactique. Doit-on et peut-on le lui concéder ?
La logique du maire d’Oyem est difficilement défendable. S’il s’entête à demander aux Gabonais d’ethnie fang de renoncer à leurs ambitions présidentielles, il ne fait pas moins de Jean Ping un candidat tribal voire la marionnette d’un groupe ethnique. A son poulain et à lui-même on serait tenté de demander s’ils pensent garantir une future gouvernance républicaine avec de tels arrangements, de telles concessions avec les principes de la République, les idéaux de la nation. A lui et à tous les adeptes du «Tout sauf un Fang» on voudrait exiger davantage de prospective. On aurait envie de leur demander d’aller au bout de leur logique. Au vrai, Vincent Essono Mengué est sur la pente glissante. Après la présidence de la République, à quoi demandera-t-il aux Fangs de renoncer ? A quoi les invitera-t-il ? A quitter le pays ? Voilà le fond du débat. Cette préoccupation ne doit, en aucun cas, être occultée par un réalisme de mauvais aloi ou une stratégie fumeuse, paravents commodes d’un sectarisme à hérisser le poil.