Autour de découverte de cinq morts d’une même famille, le 10 août dernier à Oyem, dans le Woleu-Ntem, Ika Rosira, la «Charliette Hebdo» de Gabonreview, décortique l’égoïsme, la subjectivité, l’égocentricité de la société gabonaise quant à l’intérêt général ou face à ce qui devrait souvent susciter une indignation virale, pour ne pas dire générale.
Il ne s’agit pas d’une ligne, d’une fine différence, mais d’un sacré gouffre. Tout le monde ne peut pas être pareil ; tout le monde ne peut pas réfléchir de la même manière ; tout le monde ne peut pas agir de la même façon. Impossible d’uniformiser les natures humaines, parce qu’il s’agit bien là de nature humaine.
On en est rendus là ! Empoisonnement collectif majeur, alors que nous étions habitués aux viols collectifs, aux abus en tout genre, à la violence au rabais qui pousse par exemple trois individus à s’en prendre à une gamine de 3 ans pour la dépouiller de ses organes, pour une dérisoire somme d’argent.
La barbarie n’a pas de race, de couleur ; elle n’est pas le propre d’une religion, d’une ethnie et pourtant on continue de revendiquer une certaine supériorité par rapport à X ou à se plaindre du complexe d’infériorité de Y par rapport tous ceux qui ne sont pas de la même couleur que soi ou qui ont un standing de vie supérieur au sien.
On en est rendus là : Manifestation contre l’ingérence de la France, à brandir une immunité diplomatique en guise d’armure contre toutes les conséquences de nos actes frauduleux. On en est rendus à se faire la guerre entre activistes, à préférer Ping à Myboto, Myboto à Ping et pire encore Ali à Myboto, pendant que de l’autre côté, les autres resserrent leur rang et revendiquent une sorte de renouveau charismatique à travers la personne d’Alexandre Barro Chambrier, pendant que certains anciens prédateurs connus du pouvoir se sont contentés de retourner leurs vestes, alors qu’en fait la vraie question, pour nous, est de savoir faire la différence entre l’activisme et le militantisme.
Les élections approchent et avec elles, des sacrifices humains ; les élections approchent et avec elles, les pots de vins, les incantations, les fausses et les belles promesses, les pratiques et les relations malsaines. Les élections approchent et on veut consulter les esprits, garantir que, quoi qu’il arrive, notre standing de vie sera préservé. Les élections approchent et on brandit, comme accomplissements, des tronçons routiers neufs sans système d’évacuation des eaux. On brandit quelques logements sociaux, hors de prix pour la plupart d’entre nous. On brandit des avancées, alors que tout ce petit peuple d’Afrique centrale, une zone pétée de diamant, d’or, de manganèse, d’uranium, de bois et de pétrole, continue à mendier l’eau potable et l’électricité aux toutes divines autorités de leur pays.
Mais ce ne sont que des détails, Libreville est belle et radieuse dans sa parure des fêtes et les miettes seront distribuées, quelques prisonniers multirécidivistes bénéficieront peut-être de la grâce présidentielle, pour faire de la place dans les prisons pour tous les activistes qui s’insurgent contre le système BONGO slash PDG.
On en est rendus à croiser les pieds devant nos écrans de télévision ou d’ordinateurs, à s’abreuver des mensonges des journaux locaux, alors qu’il nous suffit de braquer notre téléphone intelligent sur les pivots derrière les routes, sur les réelles conditions de vie des gabonais ou de suivre le grand canal de Batavéa pour regarder comment toutes nos crasses, toutes nos crottes et tous nos déchets se jettent dans la mer, la même mer qui abrite, selon certains, les esprits qui guérissent, qui baptisent, qui égayent l’été librevillois.
Cinq membres d’une même famille ont été retrouvés morts et quelqu’un a trouvé le moyen de partager sur le net l’horreur qu’ils ont dû vivre. Une semaine après le drame, les spéculations vont bon train. On parle d’un puissant poison, dont la plupart ignore encore le nom ; on spécule même sur le fait que le carnage ait été le fruit de la jalousie d’une femme… Jamais aucun crime n’aura été aussi vite résolu mais le peuple a besoin de croire que ce n’est pas le fruit d’un énième sacrifice, le peuple a grand besoin d’une coupable.
Aujourd’hui, il semble bien que le monde est partagé en deux, ceux qui sont prêts à tout pour l’argent, pour le confort, pour avoir l’ascendance sur d’autres humains pourtant usinés de la même manière et qui après péremption se transformeront également en poussière d’étoile. Qu’ils soient d’un bord ou de l’autre, adeptes de la vérité ou adeptes du mensonge, satanistes ou fervents croyants, peu importe de quel côté notre cœur penche, peu importe ce qu’on considère comme primordial, prioritaire, vital, fatal, irrémédiable, indubitable, au finish nous ne sommes que de passage dans ce monde et c’est à ceux qui nous succèdent qu’on doit penser, à ce qu’on laisse derrière nous qu’il faut faire attention, à la page qu’on rédige et qui relate nos vies, nos intentions, nos passions, nos croyances et surtout nos valeurs profondes qu’il faut faire attention.
5 membres d’une même famille sont morts, les larmes pleins les yeux, le cœur en lambeaux et l’esprit qui essaye désespérément de ne pas y penser, de s’éloigner de l’horreur auquel on nous accoutume. Il nous faut coûte que coûte, ad vitam aeternam, protéger, préserver, et chérir notre humanité, on pourra jamais reprendre notre pays si nous renonçons à notre empathie, à notre capacité à éprouver de la colère et de la peine, à nous relever à chaque fois et à lutter contre tous ceux qui nous ont confisqué notre beau pays riche d’Afrique centrale et se le sont approprier.