Le président de la République est pris entre deux options quant à la suite à donner à son mandat. Il doit pourtant faire un choix politique clair : continuer à se claquemurer, quitte à cliver et nourrir la contestation, ou s’ouvrir à la concertation, aux opinions dissidentes, afin de prendre date.
Ali Bongo est manifestement en proie au doute. Il hésite sur la tonalité à donner à la dernière année de son mandat. Il sait en revanche une chose : le discours du 16 août prochain au soir est le dernier du mandat en cours, la prochaine présidentielle devant théoriquement avoir lieu en août 2016. Comme toujours en pareille circonstance, il est pris en tenaille entre deux écoles, deux visions des choses et de l’avenir. Dans son entourage immédiat, il s’en trouve pour l’inviter à renverser la table, à prendre une décision politique d’envergure. Il y en a aussi pour lui recommander la prudence, des annonces minimalistes. Dans tous les cas, le dernier mot lui revient. Il devra bien trancher. Il devra choisir l’une ou l’autre de ces options. Il devra choisir entre l’action politique précautionneuse et une nouvelle tournure.
N’en déplaise aux adeptes de la politique de l’autruche, la situation politique, économique et sociale du pays est loin d’être reluisante. Il y a nécessité de restaurer l’espoir, de redonner aux différentes composantes de la nation le sentiment d’avoir encore beaucoup à faire ensemble. Il y a urgence à les contraindre à se parler, à examiner comment inventer l’avenir de manière collégiale. Rien de bien révolutionnaire au regard du passé des différents acteurs et de la culture nationale. Rien de particulièrement impossible, eu regard à la taille de notre pays. En tous les cas, les deux options sont sous-tendues par le même élément : un certain sentiment d’incertitude, une sorte de volonté d’éviter le saut dans l’inconnu.
Accusé d’arrogance, de manquer d’ouverture et de recevoir exclusivement une poignée de personnes, le président de la République a fini par en devenir clivant, coupant quasiment le pays en deux et rendant toute œuvre de construction nationale illusoire. Certes, les institutions fonctionnent vaille que vaille. Bien sûr, les agrégats macro-économiques ne sont pas mauvais. Mais la défiance politique, l’atonie économique et la contestation sociale ont rythmé le mandat en cours. Appels systématiques et répétés à la démission ou à la destitution, saisine de la justice pour «inscription de faux en écritures publiques», contestation de son éligibilité, grèves à répétition dans l’administration publique, tensions de trésorerie au niveau de l’Etat, difficultés à s’acquitter de la dette intérieure, dénonciation du lien supposé entre crimes rituels et pouvoir d’Etat, railleries à l’encontre d’événements mondains et festifs du type New-York Forum Africa : les forces vives auront été constamment à l’offensive. Jamais elles n’ont abdiqué. Toujours, elles ont fait part de leur détermination. En dépit des apparences, le président de la République n’a, pour sa part, pas toujours été à la fête. Ali Bongo ne peut ne pas en tenir compte. Il ne peut ignorer cette réalité. Il ne doit faire comme si de rien n’était. Mais prend-il la mesure des enjeux ?
Le courage en politique
Il faut un «signal fort», une initiative d’envergure pour réconcilier le pays avec lui-même et ramener la sérénité dans les esprits et les cœurs. Séparation effective des pouvoirs, indépendance de la justice, impartialité de l’administration, défense des libertés publiques, lutte contre les crimes rituels, rationalisation des dépenses publiques, redéfinition des priorités économiques, sociales et infrastructurelles : le catalogue des revendications du corps social s’étire à l’infini. Faut-il leur apporter des réponses ? Ce serait salutaire. A coup sûr, une initiative allant dans ce sens serait un tournant majeur dans le mandat finissant. Jusque-là, Ali Bongo s’est claquemuré, retranché dans ses positions. Il s’agit maintenant d’en sortir, d’aller au-delà pour rassembler la société.
Appel à la conférence nationale ? Invitation au dialogue national inclusif ? Fortement connotées politiquement, ces initiatives ont peu de chances de prospérer au sein de l’entourage immédiat du président de la République. Réflexe de survie ? A coup sûr. Mais, dans le fond, les vrais politiques du camp présidentiel s’interrogent désormais : peut-on songer à organiser une présidentielle dans un climat de «guerre civile froide» ? Ne faut-il pas mettre les 12 mois restant avant cette échéance pour apaiser les tensions latentes ou perceptibles ? Militer pour une décrispation revient-il à faire le jeu de l’adversaire ? Envisager la définition d’un consensus national sur des points précis est-ce synonyme de trahison ? Le mandat d’Ali Bongo a été marqué par un clivage net entre majorité et opposition, pro et anti. Peut-on sortir de cette logique et envisager la suite autrement ? Si le président de la République se résout à tout remettre en cause, s’il prend une initiative politique forte, il pourrait définitivement abandonner les habits de «distingué camarade» pour revêtir ceux de leader national. Il pourrait se délester des oripeaux de chef de clan pour prendre date, quitte à se tenir prêt à en assumer les conséquences ou les retombées. C’est aussi cela le courage en politique…