La candidature du trésorier général de l’Union nationale dans la commune de Bitam ne doit pas être décryptée sous le prisme classique. Au-delà de la quête de victoire, de la volonté de devenir député, elle envoie des signaux et messages.
Patrick Eyogo Edzang n’est pas le parfait inconnu décrit par-ci, par-là. Il n’est pas non plus un vieux routier de la scène politique nationale, woleuntémoise ou bitamoise. Si sa candidature est, du point de vue de son parti, un signal, un message à l’opinion, elle se veut aussi porteuse de rupture et d’une nouvelle conception de l’élite politique nationale. Décrypter son investiture à l’aune de critères communément admis ou d’une perception locale des choses, revient à faire fausse route.
Expert-comptable diplômé, commissaire aux comptes agréé Cemac, ancien directeur de l’audit interne à la Banque gabonaise de développement (BGD), ancien directeur général adjoint de La Poste SA, c’est un professionnel connu et respecté des milieux financiers nationaux. Conseiller municipal PDG jusqu’en 2009, responsable de l’organisation et de la logistique de la campagne présidentielle d’André Mba Obame en 2009, conseiller municipal depuis les dernières locales, trésorier général de l’Union nationale (UN), c’est un politique sincère. S’il sollicite les suffrages des habitants de Bitam, ce n’est ni par désir de reconnaissance ni par survie politique ni pour s’assurer une place au soleil. Sa candidature étonne et détonne. Mais, elle répond à une lecture nationale. Loin de tourner le dos aux contingences locales, elle veut leur donner une résonance nationale, les inscrire dans une perspective à moyen terme.
Une chambre introuvable
Certains ont tôt fait de remettre en cause le choix porté sur sa personne. Sa méconnaissance de la langue locale et sa prétendue ignorance des subtilités du marigot politique bitamois constitueraient des faiblesses majeures. N’empêche, si la législative partielle du 8 août courant est symboliquement chargée, son résultat ne modifiera en rien le rapport de forces à l’Assemblée nationale. Bon an mal an, le PDG disposera encore d’une majorité écrasante, proche de la chambre introuvable ; le gouvernement s’arc-boutera toujours contre un programme conçu en cabinet, loin des réalités de terrain ; la décentralisation effective sera invariablement renvoyée à la Saint-Glinglin ; l’exécution de la loi de finances sera inévitablement hérétique.
Loin de tout prosélytisme, ce regard est lucide et prospectif. Il tient compte de la réalité et tend à scruter l’horizon. La politique étant avant tout une question de rapport de forces, seule la logique qualitative peut contrebalancer l’option quantitative. De ce fait, les compétences techniques voire technocratiques, la capacité à décrypter les situations à l’aune d’une ligne politique définie mais aussi l’aptitude à créer du liant entre les travaux parlementaires et les activités de son parti politique d’origine peuvent devenir tout aussi déterminants voire davantage que la gestion des subtilités locales.
Pour ne pas sombrer dans le vote mécanique, le suivisme ou l’opposition systématique, il faut préalablement cerner les contours et implications politiques, économiques et sociales des lois soumises. Pour mieux légitimer les prélèvements obligatoires, il vaut mieux comprendre la politique fiscale, savoir apprécier les fonctions d’un Etat, être capable d’établir le lien entre l’impôt et la citoyenneté. Pour mieux contrôler l’action du gouvernement, il est préférable de se munir d’indicateurs. Dans les parlements bigarrés, les partis politiques minoritaires peuvent faire l’économie de ces exigences-là. Dans une situation comme celle du Gabon, l’opposition gagne à en tenir compte.
Mauvaise perception des enjeux
Au regard du profil de Patrick Eyogo Edzang, l’Union nationale pourrait bien avoir pris cette option-là. Autrement dit, à travers leur candidat, Zacharie Myboto et les siens semblent avoir tenté de réconcilier compétence technique, loyauté partisane, volonté de renouvellement de l’élite politique et popularité. La guerre fratricide entre militants et sympathisants de l’Union nationale procèdent d’une mauvaise perception des enjeux du scrutin. Les manœuvres de couloirs auxquelles ils assistent traduisent une lecture biaisée de la situation. Pour ainsi dire, les cris d’orfraie entendus çà et là relèvent, en réalité, d’un malentendu. Autrement dit, si l’exécutif de l’Union nationale entend se servir de ce scrutin pour envoyer un message de renouvellement de l’élite politique, de compétence technico-administrative et de pugnacité politique, il n’en va pas de même pour tous. Refusant de reconnaître au député son statut d’élu national, le ramenant à celui d’acteur local, certains de ses cadres en sont à ressasser l’argument de la maîtrise des arcanes du jeu politique bitamois pour mieux contester le choix de leur parti. Or, au-delà de la démonstration de popularité, ce scrutin doit laisser entrevoir quelle élite politique l’Union nationale entend constituer. De ce point de vue, Patrick Eyogo Edzang fait figure de symbole.
En France, le Front national a suivi cette voie avec succès : systématiquement ultra-minoritaire dans les assemblées où ils ont pu siéger, ses élus ont su imposer leurs thématiques par leur hargne, leur bagout et leur capacité à maintenir le pont avec l’exécutif de leur parti. Pour nauséabondes qu’elles soient, les thèses du parti d’extrême droite sont aujourd’hui reprises par les forces de gouvernement, notamment Les Républicains. Pourquoi faut-il ne pas s’inspirer des réussites des autres ? En un mot comme en mille, l’intérêt de toute l’opposition, du Front de l’opposition pour l’alternance, du directoire de l’Union nationale et de Patrick Eyogo Edzang réside dans une compréhension partagée des enjeux, dans le ralliement de toutes les énergies à une vision prospective et réaliste.