Lors de la rencontre, le mercredi 1er juillet dernier à Arambo, entre l’équipe-projet NSR et les hauts responsables de l’Administration publique, la principale annonce a été le changement de «statut» du fonctionnaire. La présence à son poste de travail est un élément déterminant, car il sera désormais «payé au trentième». Ce qui lui donne un statut proche du pigiste.
Le Conseil des ministres du 23 juin dernier en avait déjà fait état. Selon le compte-rendu fait par le Porte-parole ce jour-là, «l’objectif visé (par le changement des dispositions antérieures) est l’amélioration de la structure de la rémunération par le rétablissement de la prééminence de la solde de base sur les éléments accessoires, l’augmentation des salaires, et en particulier ceux qui sont les plus bas, versés dans la Fonction Publique», et surtout «la prise en compte du mérite individuel comme moteur du développement de la carrière et de l’amélioration des rémunérations».
Selon le responsable de l’équipe-projet NSR, «ne sera payé que celui qui est à son poste de travail». Puis, il a tenu à préciser que le fonctionnaire sera payé au trentième. Cela signifie que si un agent de l’Etat est payé à 450.000 francs CFA par mois – ce qui veut dire, en incluant les samedis et dimanches, qu’un tel agent est rémunéré à 15.000 francs par jour – , chaque jour d’absence, soit 15.000 francs, sera prélevé dans sa rémunération. De ce fait, «les Directeurs centraux des ressources humaines (DCRH), en poste dans chaque ministère, ont un rôle capital à jouer, à savoir celui de faire remonter l’information aux Secrétaires généraux des ministères qui, eux, transmettent l’ensemble des informations sur les présences et absences des agents à la Solde avant la confection mensuelle des rémunérations». «Parce que si l’Etat fait l’effort de revaloriser les salaires, à travers ce nouveau système de gestion des agents de l’Etat, avec, en corollaire, le nouveau système des rémunérations, il faut aussi que chaque responsable de l’administration, à quel que niveau qu’il soit, donne l’état des services mensuels de chaque agent placé sous sa responsabilité». Cette réforme est «la réforme de la responsabilisation», a-t-il souligné.
Une réforme nécessaire et attendue, mais quelques appréhensions
En agissant ainsi, le gouvernement a, sans aucun doute, voulu lutter contre l’absentéisme criard qui existerait dans l’administration, et contre le laxisme ambiant qui prévaudrait dans ses instances. Les 82.000 agents de l’Etat sont donc avertis : la rigueur est de retour, et le laisser-aller n’est plus autorisé.
Mais cette réforme appelle à des observations. En effet, comme on le sait, l’Administration publique est confrontée à divers problèmes, notamment celui lié à l’insuffisance des structures d’accueil. Depuis 2008, aucun bureau n’a été construit, à l’exception des travaux d’extension du ministère des Affaires étrangères, et du ministère des Infrastructures et des Travaux Publics. Trop peu de bureaux pour accueillir les 82.000 agents, dont on sait que 66.000 environ travaillent dans Libreville et l’Estuaire. Il y a aussi le problème des fonctionnaires sans affectation depuis quelques années. A cela s’ajoute le problème des diplomates qui, appelés à regagner Libreville, mais n’ayant pas encore reçu les titres de transport, ne se rendent plus dans les missions diplomatiques où ils étaient affectés parce que leurs successeurs sont déjà en poste. «A moins de vouloir surcharger les couloirs des administrations chaque jour, on ne voit pas bien comment la présence au poste de tous ces fonctionnaires va se faire sans risque d’injustice et d’autoritarisme. De plus, sans système informatisé de présence, comment peut-on savoir si l’agent a passé les huit heures de travail à son bureau. Il peut émarger en arrivant et disparaître, et ne revenir qu’en fin de journée. Va-t-on vers une administration de tricheurs ?», se demande Marcel Boulingui, sociologue et psychologue du travail. Il existe effectivement un tel risque… La matérialisation de la présence au poste des 82.000 agents ne va-t-elle pas amener au paiement différé des salaires mensuels, car il va falloir aux agents affectés à la Fonction publique et à la Solde des heures de travail titanesques et éléphantesques pour dépouiller les fiches de présence, compter les jours d’absence, calculer les salaires…
Un glissement certain vers un statut de pigiste
Cette «surveillance» accrue sur la présence ou non des agents à leur lieu de travail ressemble aussi à un glissement vers un statut de pigiste. D’ailleurs, un des membres de l’équipe-projet a laissé entendre que chaque agent de l’Etat va signer un contrat de performance avec l’Etat. Le pigiste est un agent payé à la tâche, et l’exécution de ses tâches est consignée quotidiennement dans un registre de présence. Chacune de ses absences est sanctionnée par une retenue à la source d’une partie de ses émoluments. Et c’est ce que vont vivre dorénavant les agents publics.
Il est vrai qu’une réforme de l’administration, notamment en ce qui concerne la gestion des agents de l’Etat, s’imposait au Gabon, mais si c’est pour transformer le fonctionnaire en pigiste sans que tous les aspects n’aient été rondement analysés, certains observateurs en sont venus à penser qu’ils ne seraient pas étonnés que le NSR connaisse de graves écueils dans son application. Parce qu’au-delà de l’augmentation relative des salaires à venir, il y a le gros de la réforme qui amène un grand nombre de fonctionnaires à d’énormes appréhensions sur sa concrétisation.