Président du PDG, Ali Bongo a convoqué les parlementaires de son parti, avant de s’en remettre au comité permanent du bureau politique. Il a pris fait et cause pour le Mouvement gabonais pour Ali Bongo Ondimba (Mogabo), avant de le dissoudre le lendemain. En mettant en place un comité technique pour réfléchir à la nouvelle orientation de son parti, il admet implicitement être à la croisée des chemins…
Une bonne partie de l’opinion l’avait prédit. Certains commentateurs politiques l’avaient annoncé. A quelques variantes près, tous disaient la même chose : la fronde lancée par «Héritage et Modernité» devait inévitablement valoir à ses initiateurs une belle engueulade. Et pour cause : goûtant très peu aux états d’âme des siens, soucieux de toujours imposer ses vues, convaincu d’être porteur d’une vision et de modes de faire novateurs, Ali Bongo ne pouvait y voir qu’un mouvement d’humeur, une initiative de mauvais aloi.
Et pourtant, dans le décorum, la mise en scène et le nombre de personnes impliquées, il y a comme quelque chose d’inédit. Les fondeurs ayant choisi une dénomination en lien avec le droit successoral et l’adaptation aux enjeux du moment tout en revêtant l’habit officiel du PDG, Ali Bongo se devait de décrypter et entendre le message sous-jacent. Il aurait pu éviter de donner l’impression de prendre fait et cause pour un camp et s’efforcer de se poser en fédérateur. Avec humilité, il pouvait tâter le terrain, sonder le moral de la troupe avant d’aller au contact des frondeurs. Malheureusement, en convoquant les élus sans précaution préalable, il a choisi de mettre son autorité en jeu. «Tout ça va laisser des traces. En prenant fait et cause pour le Mogabo, dans un premier temps, avant de rétropédaler le lendemain, le président s’est affaibli», analyse un ancien journaliste au quotidien national L’Union. «Comment croire que des gens qui ont publiquement été lâchés peuvent se rabibocher avec ceux qu’ils accusent d’avoir initié le discours dans lequel ils étaient mis en cause», se demande-t-il, ajoutant : «La reculade du lendemain a placé Héritage et Modernité en position de force». Et de conclure : «Quoiqu’on dise, le PDG a implosé. Plus rien ne sera comme avant et chacun des camps sait que l’autre ne lui pardonnera jamais rien».
Lame de fond
Au lendemain de la mise en place d’un comité technique chargé de réfléchir à la réorientation du PDG, des questions restent en suspens. Comment le président de la République en est-il arrivé à convoquer le comité permanent du bureau politique PDG après avoir reçu les parlementaires au lieu de faire l’inverse ? Comment en est-il venu à s’arroger les responsabilités du conseil national et du bureau politique dans les investitures ? Comment comprendre qu’il ait parlé d’investiture d’élus et pas de candidats ? Au-delà de la méthode, certains militants PDG en viennent désormais à s’interroger sur sa compréhension des statuts de leur parti et surtout, sur sa capacité à les appliquer. Plus que le leader national, c’est dorénavant le leader politique qui se trouve chahuté, contesté. Ayant publiquement ignoré les dispositions statutaires sur les modalités d’investiture des candidats aux élections, ayant laissé le sentiment de tenir l’onction populaire pour quantité négligeable, n’ayant pas tenu compte de ce que lui-même est un élu, le président de la République a donné du grain à moudre à ses contempteurs, aussi bien dans son camp qu’à l’extérieur. Pourra-t-il éviter qu’une objective alliance de circonstance ne se scelle désormais ? L’avenir nous le dira…
Dans ce qui apparaît pour lui comme «l’épreuve du feu» (lire par ailleurs «Naissance de «Héritage et modernité» : L’épreuve du feu pour Ali Bongo» ), Ali Bongo aurait dû faire montre de méthode, de patience et d’écoute. Ayant constaté la présence, parmi les frondeurs, de personnalités réputées pour leur discrétion ou leur loyauté aux ténors de l’ère Omar Bongo Ondimba, il aurait dû se demander si une lame de fond n’est pas en train de se lever. Il aurait pu analyser la texture de ce groupement pour mieux cerner les causes et sous-causes de cette situation. A-t-il songé à organiser une concertation préalable avec le Premier ministre, le secrétaire général du PDG, les présidents des deux chambres du Parlement et les présidents des deux groupes parlementaires PDG ? «Avec Daniel Ona Ondo, il pouvait faire une analyse froide du fonctionnement de l’appareil d’Etat, notamment du gouvernement et de la haute administration. Avec Faustin Boukoubi, il avait la possibilité d’apprécier les exigences du fonctionnement des différentes instances du parti et se faire une idée précise de leur cartographie. Avec Guy Nzouba-Ndama, Luc Marat-Abyla, Lucie Mboussou Milebou Aubusson et Raphaël Mangoala, il avait la possibilité de se mettre à l’écoute des parlementaires, cerner les problématiques particulières et envoyer des signaux concrets, quitte à les personnaliser », analyse encore notre ancien confrère, s’étonnant de la convocation subite et brutale de l’ensemble des parlementaires PDG à la présidence de la République. «Quel problème de fond peut-on traiter face à 200 interlocuteurs ?», se demande-t-il.
Fidélité, désavantage ou vertu ?
Ali Bongo aurait pu interroger les barons de son parti. A-t-il rencontré individuellement des personnalités comme Paul Biyoghé Mba, François Engongah Owono, Emmanuel Ondo Méthogo, Jean-François Ntoutoume-Emane, Laure Olga Gondjout, Paul Toungui, Antoine de Padoue Mboumbou Miyakou, Idriss Ngari, Richard-Auguste Onouviet, Michel Essonghé ou Honorine Dossou Naki ? A-t-il envisagé de faire avec eux une revue des contraintes et enjeux du moment ? «Les militants PDG supportent de plus en plus mal la présence au sommet de l’Etat de certaines personnes dont ils ne connaissant pas les états de service au sein de leur parti», explique toujours notre ancien confrère. «Or, le PDG a érigé la fidélité dans ce qu’elle a de plus caricaturale en vertu », poursuit-il, avant de s’interroger : «Pourquoi Ali Bongo ne tient-il pas compte de la longévité de certains au sein de son parti ? Pourquoi en faire un désavantage quand on sait que le président-fondateur du PDG a régné 42 ans sur ce parti et le pays ? Pourquoi Ali Bongo feint-il de ne pas comprendre que la présence de certains transfuges d’autres partis ou l’omnipotence de hauts fonctionnaires voire de politiques de fraîche date heurte nécessairement les militants PDG de toujours ?»
Dans ces conditions, le comité technique co-présidé par Paul Biyoghé Mba et Michel Essonghé pourrait avoir bien du mal à réconcilier les positions. En revanche, il pourrait très vite se muer en comité préparatoire du prochain congrès du PDG. Mais cette perspective est trop conforme aux exigences des frondeurs pour faire l’unanimité. Désormais, toute convocation du congrès sera perçue comme une victoire pour les frondeurs. A cette allure, les organes statutaires du PDG pourraient avoir tout le mal du monde à fonctionner. Si ce n’est pas une implosion, ça y ressemble étrangement…