«Le PDG est le patrimoine d’Omar Bongo Ondimba que le Distingué Camarade a reçu en héritage», écrit dans le libre-propos ci-après Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, membre éminent de l’avant-garde intellectuelle de l’Union nationale, qui recadre ainsi les membres du mouvement «Héritage et Modernité», dernier appendice du parti au pouvoir. Mettant en parallèle la rhétorique et les faits de l’opposition, il se félicite de la soudaine lucidité de l’élite du PDG quant à la situation du pays.
«Nous lançons un appel au Président de la République, afin qu’il se mette à l’écoute de tous, et qu’il brise sans délais la gaine, le carcan, l’armure clanique dans laquelle le pays entier, interloqué et consterné, le découvre vêtu par un petit groupe de prétendus «proches», à la légitimité politique douteuse et à la compétence technocratique toujours attendue.». C’est en ces termes que des parlementaires et autres élus du Parti Démocratique Gabonais se sont exprimés le samedi 27 juin 2015 annonçant en la circonstance la constitution, au sein du PDG d’un, groupement dénommé «Héritage et Modernité» et que d’aucun qualifieraient de courant.
Si le propos de ces militants du PDG s’était limité aux seules frontières de la vie de leur formation politique, celui-ci n’aurait aucunement mérité l’attention de celles et ceux que seule intéresse la situation politique, économique et sociale du Gabon. Il se trouve que le propos déborde largement le cadre partisan et constitue un réquisitoire sans concession de l’état de la Nation, décliné par des citoyens dont on ne saurait douter du niveau de compétence et de la grande expérience au regard des fonctions qu’ils ont occupé ou occupent encore. Enfin !
De prime abord, dès lors qu’il s’agit de femmes et surtout d’hommes s’exprimant en qualité de militants du PDG, le Pasteur Martin Niemöller s’inviterait à conter son célèbre poème :
«Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Lorsqu’ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.».
Mais il y a un pays, le Gabon, à sauver du désastre, du chaos. Il ne fait aucun doute que cette réalité mainte fois dites sur tous les tons par les responsables de l’Union Nationale et des autres formations politiques de l’opposition est connue de tous et depuis toujours. Ce qui est nouveau, ce qui est surprenant et qui est encourageant, est que l’élite du PDG ait enfin entrepris de le dire pour le dénoncer. Cette élite écrit, donc dit : «Un climat fascisant porteur de terreur s’installe peu à peu en son sein», en parlant du PDG, la formation politique dont elle se réclame encore. Le dramaturge allemand Bertolt Brecht a dit : «Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde.».
En 2009, en désignant son candidat sur le seul et unique critère qu’il était le fils de son Fondateur, sacrifiant ainsi la sélection du meilleur des postulants à cette nomination, le PDG a nié la forme Républicaine de la Nation gabonaise et traduit dans les faits la dérive monarchique tant redoutée depuis de nombreuses années. La grave crise politique, économique et sociale désormais reconnu par l’élite de cette formation politique trouve essentiellement sa source dans ce qu’il conviendrait de dénommer ici «la dérive originelle». Le reste, tout le reste, n’en étant que la conséquence.
Nul doute que les raisons qui conduisent à cette décision de dire et de dénoncer enfin auraient pu être plus honorables. Et depuis 2009, ces raisons n’ont pas manqué.
Au lendemain de l’élection présidentielle du 30 août 2009, des Gabonais par milliers ont été mis au banc de la société au seul motif qu’ils avaient exprimé leur préférence pour une offre politique autre que celle du candidat du PDG. Ces Gabonais ont surtout regretté le silence partisan de leurs concitoyens. En mai 2010, les populations de la ville d’Oyem se sont vu interdire, sur les instructions du Ministre de l’Intérieur de l’époque, le droit de tenir comme elles le souhaitaient les funérailles de Pierre Claver Zeng Ebome, au seul motif que ce dernier était Vice-président et Fondateur de l’Union Nationale. Ces populations ont, elles aussi, été si seules. De janvier 2011 à février 2015, un parti politique, l’Union Nationale a été dissous, donc privé de capacité juridique, en violation de l’esprit et de la lettre de la Constitution de la République. Plutôt que de dénoncer cette grave atteinte à la démocratie, c’est l’opportunité de ravir les fonctions électives qui semble avoir été retenue. Pendant plus de 40 mois, des hauts fonctionnaires ont vu leurs salaires arbitrairement séquestrés en violation de la liberté d’opinion consacré par la Constitution du Gabon. Silence assourdissant ! En février 2015, s’exprimant au nom de l’Union Nationale, Casimir Oye Mba a alerté la Nation et le monde sur la grave situation économique et budgétaire dans laquelle se trouvait le Pays. L’adoption sans amendement aucun, d’une loi de finances rectificative irresponsable, a été la seule réponse. La révolte du Peuple gabonais lors des funérailles d’André Mba Obame aura à peine ému les plus sensibles. «Comme on fait son lit, comme on se couche», dit le sage.
Le réquisitoire sans concession qui est fait par le Groupement «Héritage et Modernité» est pertinent et décrit clairement la réalité de la situation du pays. Zacharie Myboto ne dit rien d’autre dans son allocution du 10 février 2015, lors du 5ème anniversaire du Parti qu’il dirige : «La situation du pays devient chaque jour de plus en plus critique. Le pouvoir établi est complètement impuissant, dépassé par les événements. Son incompétence et son amateurisme ne sont plus un secret pour personne. Le Gabon se porte mal ! Le Pouvoir en place a lamentablement échoué ! Il n’a rien entrepris qui tienne compte des aspirations profondes et légitimes du peuple gabonais ! Les institutions de la République perdent chaque jour de leur crédibilité ! Notre pays n’est plus dirigé, il glisse sur la pente dangereuse du chaos !».
Deux semaines après, le 28 février 2015, Casimir Oye Mba, s’exprimant lui aussi au nom de l’Union Nationale, décrit en ces termes la situation du Pays : «Depuis son établissement par la force des armes, le Pouvoir n’a eu de cesse de mentir au peuple gabonais et aux partenaires financiers de notre pays sur la réalité de la situation de gestion des finances publiques. Depuis de nombreuses années, le budget n’est plus une réalité. Le vote de la loi de finances, l’exécution du budget de l’État, la tenue des comptes publics n’obéissent plus à aucune règle de droit. La Cour des Comptes est devenue l’ombre d’elle-même et ne remplit plus sa mission régalienne de contrôle de l’exécution du budget et de gestion des deniers publics. En violation flagrante et constante de la Constitution, notamment son article 48, la loi de règlement qui sanctionne la gestion du budget n’est plus jamais présentée au parlement pour son adoption. En des termes très clairs, en matière de gestion des finances publiques, le Gabon est passé de l’État de droit à l’État de fait. Le constat est là ; il s’impose à nous : le mécontentement est général. Il se traduit par des grèves dans pratiquement toute l’administration sans que le secteur privé soit en reste. Les licenciements s’opèrent en masse dans de nombreux secteurs de l’activité de production, notamment le BTP et le secteur pétrolier. Les entreprises et les travailleurs gabonais sont livrés à eux-mêmes, le Pouvoir se trouvant incapable d’apporter des réponses adéquates à cette situation dont il est en partie responsable. Il n’est pas peu de dire que le Gabon sombre dans le chaos.».
L’un et l’autre devraient prendre acte, et le Peuple gabonais avec eux, lorsque l’élite du PDG déclare publiquement : «Trahissant nos concitoyens qui expriment sans cesse des attentes pressantes et légitimes sur les questions de la gouvernance de notre pays, sur la relance de l’investissement et de ses effets bénéfiques associés, notamment sur l’emploi comme premier outil de lutte contre la pauvreté, de recul de la précarité et de l’exclusion… Sur la crédibilité des institutions dont l’affaiblissement pousse jours après jours notre pays vers le risque d’un chaos post-cathartique qui plane sur notre pays. Des attentes invariablement exprimées par les gabonais sur tant de choses et qui, en somme, ne se résument qu’à la question du contenu du Pacte républicain et du contrat social dans notre pays.».
Toutefois, alors que l’élite du PDG exprime clairement son «profond attachement à l’action politique fondée sur une véritable éthique de la responsabilité», elle ne parvient toujours pas à désigner le premier responsable de la situation du Pays et la formation politique qui le soutien. Certes il existe, «d’habiles profito-situationnistes, aux chaussures enfoncées dans la boue des chemins tortueux de l’enrichissement astronomique sans cause, trahissant constamment et dangereusement les engagements républicains et l’action du Distingue Camarade, au soutient desquels le Parti s’emploie chaque jour». Mais c’est bien le distingué Camarade et le PDG qui sont en responsabilité, donc responsables de cette situation.
La dilapidation des ressources publiques pour satisfaire la boulimie d’acquisition de véhicules de luxe, d’avions hors de prix, d’hôtels particuliers pour sa propriété personnelle, les centaines de voyages à l’étranger en vaine quête de reconnaissance internationale faute de légitimité, ne saurait être l’œuvre de la seule habileté des «profito-situationnistes». Le mal Gabonais à un responsable : le Distingué Camarade ; soutenu indéfectiblement par une organisation qui s’est offerte à lui en héritage : le PDG. Les «profito-situationnistes» ne sont que ses serfs.
Ce que le militant ne peut dire, au nom de la discipline du Parti, le Citoyen peut et doit le dire au nom de la Patrie qu’il place au-dessus de tout. Le moment est venu pour l’élite du PDG de s’affranchir des limites partisanes pour faire le choix de la Nation. Le PDG ne peut être le lieu de la modernité. Le PDG est le patrimoine d’Omar Bongo Ondimba que le Distingué Camarade a reçu en héritage. La République n’y a pas sa place, pas plus que la Démocratie et l’Intérêt général. Les femmes et les hommes qui sont précédemment parvenus aux mêmes conclusions ont montré la voie. Celle du courage et de l’amour du Gabon.
«La dictature de la facilité et du court terme voudrait que vous renonciez à ce que vous savez être essentiel pour vous, pour votre famille et pour votre pays et que vous alliez vous humilier à servir un pouvoir que vous savez illégitime juste pour que tout de suite et maintenant se réalise ce projet auquel vous semblez tant tenir. L’instant présent apparaît toujours éternel à celui qui le vit dans la douleur ou la difficulté, pourtant ce n’est qu’un court moment et rien d’autre. Si nous voulons véritablement libérer notre pays de la dictature pour lui offrir l’horizon qui doit être le sien, nous devons accepter de renoncer à la facilité et être fort.». Il semble que c’est cette voie, qu’indiquait déjà André Mba Obame le 15 novembre 2009. Les fondateurs du Groupement «Héritage et Modernité» semblent à leur tour l’emprunter, malgré une apparente hésitation.
Un an avant le terme du mandat présidentiel usurpé, l’échec total est désormais reconnu publiquement par l’élite du PDG et la dérive dictatoriale admise. L’alternance démocratique, c’est la confiance de principe dans le fait que chaque Gabonaise et chaque Gabonais est en égal droit et en égal capacité de se voire confier la destinée commune. Se refuser à admettre le principe de l’alternance démocratique, c’est condamner le vivre-ensemble.
Que cela soit dit et entendu : c’est dans l’intérêt général, et dans l’intérêt général seul, que chaque Gabonaise et chaque Gabonais trouvera la réponse à ses préoccupations personnelles. L’initiative de «Héritage et Modernité» signifie-t-elle que le chaos pourra être évité et que le moment est enfin venu pour les Gabonais responsables de s’asseoir, de se parler pour construire enfin la République, l’État de droit et la Démocratie, ces préalables au développement économique et social du pays, dont la quête a eu raison, une fois de trop, de la vie du très regretté Daniel Kombé Lekambo.