La collusion d’intérêts a tant et si bien été actée que les potentiels candidats de l’opposition n’ont plus d’autre choix que de se battre pour la réforme des institutions.
Brutal rappel à l’ordre, curieux recadrage, sérieux coup de semonce… C’est une certitude : la dernière sortie publique de la société civile n’a pas plu à tout le monde. A coup sûr, les oreilles de nombreux ténors de l’opposition ont sifflé le 8 juin dernier (lire par ailleurs «Présidentielle 2016 : La société civile contre les querelles de leadership dans l’opposition»). Durant les deux dernières années, certains d’entre eux ont sué sang et eau, dépensé argent et énergie pour parcourir quartiers, villages et hameaux, se dépêtrer des querelles de leadership ou de légitimité voire s’imposer ou s’affirmer comme incontournables. Choix nécessaires ? Certainement. Stratégies payantes ? Sans doute. Seulement, cette course à l’opinion, cette chevauchée pour le leadership a parfois occulté la nature profonde de nos institutions. Au final, elle a accouché d’un ordre de priorités pas toujours réaliste. Ni du goût de tout le monde.
Un diagnostic consensuel a pourtant été posé il y a cinq ans. Depuis 2011, l’opposition a, en effet, fait des réformes institutionnelles le préalable à la tenue d’une présidentielle libre, crédible et transparente. Le 24 février 2010, elle adressa à Nicolas Sarkozy, alors président de la République française, un mémorandum. Ses 13 signataires se prononçaient alors pour des réformes visant à garantir la transparence électorale et le respect des libertés publiques. Le 21 juillet de la même année, Zacharie Myboto et Louis-Gaston Mayila s’en ouvraient, pour les mêmes raisons, au secrétaire général des Nations-unies. Dans l’un ou l’autre des cas, la mise à plat du fichier électoral, l’introduction de la biométrie, la réforme de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap), le recentrage des compétences de la Cour constitutionnelle en matière électorale, le retour au scrutin à deux tours pour les élections uninominales et l’accès équitable aux médias publics figuraient en bonne place. Les 4, 5, et 6 juillet 2012, le directoire de l’Union nationale (UN), accompagné de membres de la société civile, était reçu à l’Elysée et au siège du Parti socialiste français. Outre les points déjà évoqués, ces rencontres débouchèrent sur la proposition d’organisation d’une conférence nationale souveraine (lire par ailleurs «Le mémorandum parisien sur la crise gabonaise»).
Bien évidemment, la majorité au pouvoir goûta très peu à toutes ces initiatives, préférant exhumer un fantomatique Conseil national de la démocratie (lire par ailleurs «Conseil national de la démocratie plutôt que Conférence nationale souveraine»). En dépit des adhésions multiples à l’idée d’une conférence nationale souveraine ou plus simplement d’une concertation (lire par ailleurs «Les institutions constitutionnelles appellent au dialogue et à l’apaisement» ), le PDG et ses alliés restèrent fidèles à leur logique. Englué dans le combat pour sa réhabilitation, affaibli par l’état de santé de son désormais regretté secrétaire exécutif, l’Union nationale eut quelques difficultés à imposer ses vues. Surfant sur cette situation, certains leaders de l’opposition ont cru leur heure venue. Dans un activisme sans pareil, ils ont essayé d’occuper le terrain voire d’imposer leur leadership. Récemment encore, la question de la désignation du candidat unique du Front de l’opposition pour l’alternance a été mise à l’ordre du jour. D’aucuns l’estiment prégnante, jugeant son traitement urgent. A contrario, d’autres ne la trouvent «ni opportune ni pertinente en l’état actuel des choses». Ainsi allait la vie jusqu’à cette tonitruante sortie de la société civile : l’heure n’est plus aux calculs ou à la guerre d’égo…
Faire aboutir les réformes institutionnelles
Manifestement, certains leaders de l’opposition ont jusque-là dansé une valse à contretemps : là où il leur fallait se construire un appareil, ils ont choisi d’affirmer leur personnalité ; quand il a fallu s’attaquer à l’international, ils ont essayé de s’imposer en interne ; plutôt que d’œuvrer pour les réformes institutionnelles, ils ont travaillé à verrouiller le processus de désignation d’un candidat unique. En recherchant à tout prix à se faire adouber par leurs pairs, ils en sont arrivés à oublier l’essentiel, donnant par moment le sentiment de croire en la capacité des institutions actuelles d’organiser un scrutin libre, juste, crédible et transparent. Or, un effort de réminiscence aurait sans doute ravivé le souvenir de certains faits marquants de la vie démocratique de notre pays : portés par la ferveur populaire, Paul Mba Abessole et Pierre Mamboundou n’ont jamais été proclamés vainqueurs de scrutins présidentiels dont ils seraient sortis vainqueurs, aux dires de nombreux responsables de la majorité de l’époque ; terriblement impopulaire, André Mba Obame a renversé la vapeur en deux semaines de campagne, se voyant confisquer ensuite sa victoire par des institutions acquises à un camp, comme l’ont affirmé de nombreux témoignages.
Trop portés sur le terrain, profondément convaincus de la nécessité de s’implanter, certains ténors de l’opposition n’ont pas tenu compte de ces souvenirs douloureux. Ne les ayant pas intégrés dans leur réflexion, ils n’en ont manifestement tiré aucune leçon, aucun enseignement. Or, en collectant la somme nécessaire au paiement de la caution d’Ali Bongo à la prochaine présidentielle, le ministre de l’Intérieur a solennellement indiqué au monde entier sa préférence. De par ses alliances matrimoniales et du fait d’une exceptionnelle longévité à cette fonction, le président de la Cenap est définitivement incapable d’impartialité. Pis : de par ses liens familiaux, la présidente de la Cour constitutionnelle tombe sous le coup de la suspicion légitime. Théoriquement, ces personnalités sont disqualifiées pour connaître de toute question engageant Ali Bongo. Dans toute démocratie respectueuse de l’éthique républicaine, Guy-Betrand Mapangou aurait déjà été remplacé. Partout dans le monde, René Aboghé Ella aurait quitté ses fonctions, ne fut-ce que pour laver les errements de septembre 2009. A la place de Marie-Madeleine Mborantsuo, n’importe quel magistrat se serait récusé par éthique… Mais, on est au Gabon, ce pays où les intérêts particuliers priment sur l’intérêt général, où la conscience historique est une notion inconnue, où la mémoire n’a aucune signification et où seule compte la jouissance de l’instant… La légèreté avec laquelle les responsables d’institutions traitent de la question de l’état-civil d’Ali Bongo pour mieux l’enjamber en dit, au reste, long sur leur état d’esprit.
Face à un tel dispositif institutionnel, les potentiels candidats de l’opposition n’ont qu’une seule urgence : faire aboutir les réformes institutionnelles présentées à Nicolas Sarkozy, Ban-ki- Moon et aux membres de la cellule Afrique de l’Elysée. Entretemps, Guy-Bertrand Mapangou, René Aboghé Ella, Marie-Madeleine Mborantsuo auront tout le loisir de réfléchir à l’attitude à adopter. Ils auront le choix d’agir en conscience ou en de prendre toutes les libertés avec les codes moraux, éthiques et déontologiques…