Ali Bongo a tout misé sur la communication et le soutien de réseaux divers. Seulement, durant les moments de doute et de crise, ces éléments ne suffisent plus.
La réussite et l’échec ont généralement les mêmes ingrédients, des causes similaires. Sûr du soutien inconditionnel de réseaux divers et variés, le président de la République a, depuis le début du mandat en cours, fait de la communication. Beaucoup de communication. Trop de communication. Jusque-là, cette stratégie a semblé lui réussir, lui permettant d’enjamber tous les écueils, détourner les débats de fond et brouiller le message de ses contempteurs. Mais, dans les moments de doute généralisé, la seule communication devient insuffisante. Elle donne l’illusion de transformer la perception des gens mais n’en suscite pas pour autant l’adhésion. A quatorze mois de la remise en jeu de son mandat, Ali Bongo doit faire face à cette réalité. Après une présidence toute dédiée à communiquer, ou presque, il mise de nouveau sur les vieilles recettes. Des appels à candidature suscités par ses soins mais présentés comme spontanés et un mouvement tout dévoué à sa personne et dédié à sa gloire.
Seulement, les populations ont besoin de perspectives. Elles veulent nourrir leurs rêves et croire en l’avenir. A ce jour, cette donnée manque cruellement dans le discours et les agissements du président de la République. «Comme on fait son lit, on se couche», dit un adage bien connu. Trop porté sur le paraître, le strass et les paillettes, Ali Bongo a fini par laisser l’impression d’un leader dont le souci majeur est sa propre image, son confort personnel. Alors que la présidentielle anticipée d’août 2009 avait permis au commun des mortels de percevoir les limites de nos institutions, il a préféré mettre le cap sur des mesures supposées avoir une portée économique. Là où on attendait des réformes institutionnelles, administratives et juridiques de fond, il a choisi des infrastructures pas toujours articulées et des investissements économiques dont l’urgence et la pertinence sont sujettes à caution. Et, comme il doit remettre en jeu son mandat, le débat sur les réformes institutionnelles pourrait revenir très vite, perturbant toute sa stratégie. Déjà, certains partis politiques appellent de nouveau à une concertation nationale (lire «Avertissement de Mayila : «Le dialogue, ça doit être maintenant, pas après les élections»»).
Erreur d’analyse
Le débat sur les réformes institutionnelles semble inévitable. Il apparaît comme la suite logique des choix opérés jusque-là. Et pour cause : la communication ne remplacera jamais la politique, la politique commandera toujours à l’économique et l’économique sera toujours tributaire d’un cadre juridique et institutionnel adapté et incitatif. Voulant contourner ou ignorer ces fondamentaux, le président de la République a fait des choix controversés, discutables au regard des conditions de son arrivée à la magistrature suprême : le recrutement des cabinets Africa pratice et Performances consulting, spécialisés dans la communication et la gestion des projets ; l’organisation d’événements festifs et mondains dont le New York Forum Africa est le plus bel exemple et la course de motonautique le spécimen le plus caricatural. S’il a donné l’impression d’avoir un caractère fonceur, d’être prêt à prendre des mesures impopulaires, jamais il ne s’est attaqué au fond des choses. Jamais, il n’a osé dépoussiérer la vieille et paralysante mécanique institutionnelle et administrative. Dans ce registre, la réforme constitutionnelle de janvier 2011 et la création à tout-va d’agences sont apparues comme des tentatives de tout ramener à lui, de concentrer davantage de pouvoirs entre les mêmes mains.
En réalité, dès sa prise de pouvoir, le président de la République a fait le choix d’esquiver les questions politico-institutionnelles en mettant en avant les préoccupations socio-économiques. Une nette amélioration des conditions de vie des populations aurait peut-être légitimé ce pari audacieux. Mais les résultats se font toujours attendre. Pis : la chute des cours du pétrole et les perceptibles tensions de trésorerie l’ont rendu chimérique. Manifestement, Ali Bongo a commis une erreur d’analyse : celle de croire que des réformes économiques et sociales peuvent prospérer dans un environnement politique et institutionnel non consensuel, où la force l’emporte sur la loi et la loi sur le droit. Or, garant de la légitimité et de la légalité des choix économiques et sociaux, le cadre juridique et institutionnel est au service des objectifs de développement. Son acceptation par l’ensemble de la société est un préalable indispensable aux réformes économiques et sociales. Dans «L’avenir en confiance», Ali Bongo avait pourtant placé la consolidation de l’Etat de droit, la décentralisation et la moralisation de la vie publique en tête de ses priorités. Ces belles promesses ayant été rangées au musée des curiosités, le primat de la force, la centralisation excessive, la concentration des pouvoirs et la corruption ont fini par freiner toutes les réformes engagées. Aujourd’hui encore, il se trouve des membres du premier cercle présidentiel pour demander toujours et encore plus de fonctions et de pouvoir, pour initier la création de structures dont ils ont le contrôle exclusif.
Quête première des populations
Pendant ce temps, des voix militent en faveur sinon de réformes institutionnelles et administratives, du moins d’une administration plus orthodoxe. L’idée que tout peut se gérer à la présidence de la République et que les autres institutions n’ont rien à dire a vécu (lire par ailleurs «Interpellation du gouvernement : Coup de «Tonnerre» à l’Assemblée nationale»). Mais, le président de la République n’en démord pas. Il reste droits ses bottes, se refusant à toute remise en cause. En faisant acte de candidature pour la Coupe d’Afrique des nations (Can) 2017, il a de nouveau donné dans le festif, la communication et la diversion. La récente création du Mouvement gabonais pour Ali Bongo Ondimba (Mogabo) s’inscrit dans la même logique. Exubérant, brillant de ses feux faustiens, ce mouvement se fait l’exégète de la pensée du président de la République et le défenseur de son bilan. S’il entend ratisser au-delà des clivages traditionnels, sa composition et son inclinaison au culte de la personnalité ne font guère recette. On ne lui demande pas d’abjurer son mentor. Simplement de traiter les questions de fond. Une vision de la société fondée sur l’indépendance des institutions et le respect des droits individuels : telle est la quête première des populations. Ne pas le comprendre c’est faire fausse route. Ne pas l’accepter c’est foncer dans l’impasse.
Si le président de la République s’attèle à garantir une plus grande indépendance des institutions, s’il s’emploie à favoriser un meilleur exercice de la citoyenneté, s’il promeut une meilleure implication des autres forces sociales dans la vie publique, tout pourra devenir possible. Pour cela, ses proches doivent moins défendre les intérêts particuliers que la chose publique. Le corps social national est anémié, marqué par des réformes à l’emporte-pièce et des brutalités diverses. L’administration est paralysée, bloquée par des problèmes d’intendance (lire par ailleurs «Le blues du dénuement de l’administration gabonaise») et neutralisée par le poids supposé d’établissements publics nouvellement créés. Ici ou là, des réformes sont nécessaires. Une gouvernance toute tournée vers la communication et le festif ne saurait répondre aux enjeux du moment. Les vrais démocrates le savent. Les vrais républicains et les patriotes sincères aussi…