Après une belle et longue carrière de 23 ans à la BAD qu’il connaît bien, il souhaite la diriger et la conduire vers les nouveaux défis liés à l’émergence du continent. L’expérience, c’est l’atout majeur du candidat malien. Cela suffira-t-il ? En attendant le verdict le 28 mai 2015 lors des Assemblées générales de la BAD à Abidjan, le candidat malien nous livre sa vision et dégage ses priorités s’il était élu.
Journal du Mali L’hebdo : Après une expérience à la BAD et ailleurs, qu’est-ce qui vous motive à vouloir prendre la tête de l’institution ?
Birama Boubacar Sidibé : Dans la vie, il y a des fenêtres d’opportunité qui s’ouvrent. Mon ambition est de servir cette institution que je connais bien. 2015 sera l’année des changements majeurs, des discussions sur les changements climatiques et celles, en septembre, sur le financement des objectifs du millénaire post 2015. Ce débat mettra en exergue la façon dont nous définissons notre développement et les questions de durabilité. Pour notre continent, nous aurons à prendre en compte tous les changements relatifs à l’augmentation des richesses globales et leur répartition. Autant de défis que la BAD, si je la dirige, devra relever.
Vous avez de sérieux challengers en face. Qu’avez-vous de plus qu’eux ?
BBS : Mon expérience ! En Afrique, en Asie centrale et du Sud-Est qui représente ce que l’Afrique aspire à être. Un continent d’émergence. Après avoir travaillé en Europe centrale et dans les pays du Golfe, j’ai également occupé des positions de commandement dans le secteur privé. Et bien entendu ma carrière à la BAD. Diriger un conseil d’administration n’est pas donné à tout le monde. C’est un don. Il faut du talent, savoir bâtir des synergies pour l’intérêt commun. Conduire une institution qui a plus de 100 milliards de dollars de capital autorisé et qui est présente sur les marchés, ça ne s’invente pas. On ne peut pas juste brandir un beau diplôme ou avoir été ministre des Finances seul. Le métier du développement est un métier technique, un métier politique et de générosité. Après trente ans de carrière, j’ai apporté des innovations à la Banque islamique de développement, mon dernier poste.
Comment dirige-t-on une institution comme la BAD ?
B.B.S : Les banques de développement comme la BAD ne peuvent survivre qu’en innovant. Deuxièmement, il faut de la flexibilité, du service client, un aspect sur lequel on doit convaincre. On vient toujours demander de l’argent aux institutions financières et la concurrence des Chinois est là, l’aide bilatérale etc... La BAD doit être une banque de développement avec l’esprit clientèle d’une banque privée. La récompense à la fin de l’année n’est pas le résultat financier ou les dividendes, mais l’impact de chacune de nos opérations sur la vie des Africains. Enfin, la capacité à anticiper. Un vrai leader, n’est pas celui qui dit je suis le meilleur, mais celui qui sait que demain, son modèle actuel sera remis en question.
Si vous êtes élu à la présidence de la BAD, quelle sera votre priorité à la tête de l’institution ?
La BAD doit se transformer, s’adapter, envisager de nouveaux modèles de développement. Il y aura donc de nouveaux métiers, des changements de compétences et de capacités. L’Afrique a surtout besoin d’infrastructures. Il faut pallier les limites prudentielles des pays qui sollicitent la BAD pour financer un gros projet de développement. L’endettement public, ne devra pas être le seul choix. Il faut aller vers les investissements privés internationaux.
On parle beaucoup d’émergence du continent les 20 prochaines années. Comment la BAD peut-elle accompagner cette dynamique face à l’explosion démographique et au besoin d’emplois ?
B.B.S : La BAD, c’est d’abord l’instrument des gouvernements. Elle ne peut se substituer à l’État pour créer des emplois. L’Afrique peut changer son explosion démographique en dividendes démographiques .À condition de diversifier l’économie, de créer des opportunités d’emploi, de permettre aux jeunes de créer leur propre emploi et faire en sorte que les PME soient compétitives. La BAD, elle, vient en support des Etats, pour définir des politiques productives de richesses et d’emploi.
Le secteur privé est considéré comme un moteur de la croissance de l’Afrique, partagez-vous ce constat ?
B.B.S : Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à transformer ce vœu pieu en actions concrètes. On imagine souvent que le secteur privé se limite aux usines ou aux petites entreprises. Mais Il y a le secteur privé international, les fonds de pension à la recherche d’investissements pour financer ce qui n’est pas à la portée de l’endettement public des États. Si je suis élu, j’emmènerai ces investisseurs du haut à injecter de l’argent dans les gros projets d’infrastructures en Afrique. Pour cela, les conditions légales doivent être créées pour leur permettre de se sentir en confiance.
Pensez-vous que la BAD, en finançant les États, a aidé l’intégration économique africaine ?
B.B.S : Aujourd’hui, les politiques comme les économistes, pensent qu’il faut pousser cette intégration. C’est pourquoi, les Etats ont crée des communautés régionales pour stimuler les échanges commerciaux. C’est l’unique façon de développer l’Afrique. En créant, la BAD, il y a 50 ans, ses pères fondateurs n’ont pas dit autre chose. L’objectif était de faire de la BAD, un instrument de solidarité, qui aiderait les pays à se développer individuellement et collectivement.
Vous êtes malien. La crise économique est-elle derrière nous ? Que dire de l’enclavement du Mali, des problèmes énergétiques qui freinent notre croissance ?
B.B.S : Tous les pays passent par des cycles de crise. Je pense personnellement que les nations se bâtissent dans le sang et dans la sueur. Nos pays sont nés de l’indépendance, avec toutes les imperfections territoriales et post-coloniales. Je reste néammoins optimiste. L’économie malienne se porte bien, avec un chiffre autour de 7% qui prouve son dynamisme. Quand cette crise politique sera derrière nous avec la signature de l’Accord de Paix, imaginez les potentialités de croissance à venir. Côté infrastructures, nous avons aujourd’hui un corridor qui va de Bamako à Dakar jusqu’à Abidjan. Il y a trente ans, cela n’existait pas. Les choses avancent.
Birama Sidibé, pour finir, quelle BAD imaginez-vous pour demain ?
B.B.S : Une BAD au service de l’Afrique. Une BAD pour les Africains. N’oublions jamais, la BAD est une institution où les Africains ont mis du capital. Un pays africain peut aujourd’hui aller vers la Chine, la Turquie ou l’Inde, alors qu’il y a vingt ans, il n’y avait que la BAD. En définitive, il faut rassurer, donner des conseils, être une banque qui gagne du temps, a de l’expérience pour convaincre les pays d’aller vers une croissance durable.