Jean de Dieu Ndoutoum-Eyi a été interpellé le 5 mai dernier par des éléments du B2 (contre-ingérence et sécurité miliaire) pour avoir publié un article qui n’a pas plu au pouvoir. Sans qu’il ait reçu auparavant une convocation, ni même été l’objet d’une sommation, le patron d’Ezombolo a été pris à son domicile. Ernest M’Pouho Epigat a-t-il, par cet acte, commis une faute ?
Après le piratage, la semaine dernière, de Gabon Review, après le piratage il y a quelques mois des journaux L’Aube et La Loupe, après tant et tant de faits et d’actes contre les journaux et les journalistes, notamment Désiré Ename et Jonas Moulenda, l’arrestation de Jean de Dieu Ndoutoum-Eyi a suscité chez certains diplomates occidentaux et l’opinion internationale – Reporters Sans Frontières (RSF) en tête – des réactions d’incompréhension. «Le Gabon court à la catastrophe», a affirmé un diplomate français ; «Plus aucun journaliste de la presse indépendante ne va se sentir libre dans ce pays, parce qu’il saura qu’il peut être enlevé à son domicile à toute heure de la journée, et cela n’est pas bien pour l’image de votre pays», a dénoncé un autre diplomate européen. L’organisation de défense des droits des journalistes, Reporters sans Frontières, a pour sa part donné une injonction au gouvernement gabonais de libérer le journaliste et lui a rappelé qu’il y avait d’autres manières de procéder lorsqu’un journaliste commet une faute.
Les éléments du B2 dépendent, comme on le sait, du ministre de la Défense. Ayant été lui-même cité dans l’article incriminé, l’opinion – comme d’anciens militaires y ayant servi – pense que l’ordre d’interpeller Jean de Dieu Ndoutoum-Eyi n’a pu venir que d’Ernest M’Pouho Epigat, et qu’il s’agit là non seulement d’une grave erreur, mais surtout d’une faute, une tendance dont il faut s’inquiéter. «Comment ne pas s’inquiéter de cette nouvelle tendance qui consiste à aller arrêter des journalistes et autres citoyens à leur domicile à des heures indues et en les humiliant souvent ?», s’est indigné un membre de l’Observatoire gabonais des médias (Ogam).
«Le pouvoir se demande pourquoi il suscite autant d’hostilité : qu’avons-nous fait ? Pourquoi une telle tension sociale et politique ? Ils feignent d’ignorer que c’est ce qu’ils font qui provoque cette hostilité : étouffante présence militaire et policière dans les rues de Libreville, arrestations arbitraires, gardes à vue répétitives des membres de la société civile, convocations régulières des responsables de l’opposition, suspension abusive des salaires,…», s’insurge un professeur de sociologie de l’Université Omar-Bongo de Libreville.
A la tête du ministère de la Défense nationale depuis janvier 2014, Ernest M’Pouho Epigat avait jusque-là adopté un style plutôt soft, fait de courtoisie et de respect des valeurs démocratiques et des principes républicains. Un style qui tranchait avec celui de son collègue du ministère de l’Intérieur fait de brutalité et d’excès en tout genre. Avec l’arrestation ordonnée par lui de Jean de Dieu Ndoutoum-Eyi, avec les pressions exercées à sa demande sur le journaliste – allant jusqu’à lui demander de donner le mot de passe de son mail pour que les éléments du B2 puissent lire ses correspondances dont les premières datent de 2007-, Ernest M’Pouho Epigat a commis une «sortie de route» qui donne de lui aujourd’hui l’image d’un sécurocrate sans foi ni loi. En tout cas, pour un journaliste de la presse indépendante, «cette décision d’Ernest M’Pouho Epigat d’arrêter un journaliste sans un mandat quelconque, donc au mépris de toutes les lois, montre à quel point le gouvernement en a fait la cible d’une haine irrationnelle et d’une persécution comme au bon vieux temps du monopartisme, et il est sûr qu’avec de tels dirigeants, le pire est à venir ! Cette décision a choqué la corporation». Pourtant connu pour être cool, le ministre de la Défense nationale disposait en effet de bien d’autres moyens pour faire interroger ce journaliste.