Abidjan - Après de longues années de stagnation économique, l'Afrique revient dans le radar des milieux financiers internationaux, qui y voient le dernier réservoir de croissance mondial, à contre-courant des images de pauvreté et d'insécurité souvent véhiculées sur le continent.
Ce changement de regard est qualifié d'afro-optimisme par opposition au concept d'afro-pessimisme, né dans les années 90, qui consiste à regarder uniquement le continent par le prisme des catastrophes et à remettre en cause sa capacité à se développer.
"Le XXe siècle a été perdu pour nous. Mais aujourd'hui, tout le monde est unanime: c'est le temps de l'Afrique, qui a renoué avec la croissance depuis les années 2000", assure Tchétché N'Guessan, économiste ivoirien passé par le FMI et la Banque africaine de développement (BAD).
Mazars, PwC, EY, Boston Consulting Group, Havas... les plus grands cabinets de conseil ont multiplié les études positives sur l'Afrique subsaharienne ces derniers mois.
En France, des groupes d'intérêts financiers comme Paris Europlace, qui représente les marchés, ou l'Afic, qui porte la voix des fonds en capital investissement, ont lancé des groupes de travail dédiés au continent.
L'État a également annoncé son intention d'accélérer ses échanges avec le continent en lançant une batterie d'outils (banque de l'exportation, fonds d'investissement, fondation d'entreprises), alors que la part de marché de la France a diminué de moitié entre 2002 et 2012.
"L'enjeu c'est de faire des années 2020-2050 les +Trente glorieuses africaines+ comme il y a eu avant cela les +Trente glorieuses européennes (1945-1975)+, puis les +Trente glorieuses chinoises+ (1978-2008)", résume le cabinet Mazars dans une note.
Cet afro-optimisme repose avant tout sur une série de bons indicateurs économiques, avec une croissance moyenne de 5,5% sur la dernière décennie, et des prévisions optimistes pour les années à venir, dans un contexte de ralentissement attendu dans les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et de morosité en Europe.
- Croissance inégalitaire -
"Les États africains ont enregistré des progrès importants au cours des quinze dernières années : résorption des déficits budgétaires, réduction de l'inflation, redressement des comptes externes et diminution du poids de la dette en sont quelques avatars emblématiques", relève Mazars.
"L'Afrique part sur une base saine qui lui permettra d'éviter les problèmes que la Grèce connait aujourd'hui", ironise Tchétché N'Guessan.
"Il y a des raisons de penser qu'on va rester dans une conjoncture favorable: on est dans une dynamique de peuplement sans égale sur la planète.
La productivité africaine a augmenté de 1,5 à 2% par an sur ces 10 dernières années", note Jean-Michel Severino, gérant d'un fonds d'investissement dédié aux PME d'Afrique subsaharienne invité par Havas à une table-ronde sur l'Afrique.
Le dividende démographique, une phase de croissance liée à une évolution favorable de la pyramide des âges, est indissociable de l'afro-optimisme, avec 2 milliards d'habitants attendus sur le continent en 2050.
"Si les investisseurs mettent en avant la démographie, c'est pour deux raisons : avec une telle population active, plus d'un milliard d'individus, l'Afrique va devenir le plus grand réservoir de main-d'oeuvre et de consommateurs du monde, avec une telle population, même relativement pauvre,l'Afrique va devenir un des plus grands marchés du monde", notait le Sénat français dans un rapport sur l'Afrique publié fin 2013.
Cette explosion démographique est toutefois à double tranchant: pression sur les ressources naturelles, besoins accrus de formation, de services de santé, gestion du développement urbain accès à l'énergie, aux transports...
Sachant que malgré les avancées des dernières années, la croissance du continent reste inégalitaire et pas assez pourvoyeuse d'emplois, relèvent les spécialistes.
"L'Afrique connait un nouveau modèle de croissance dans la mesure où il est davantage endogène, mais cette croissance n'engendre pas de transformation structurelle et sociale", estime M. N'Guessan.
Il préconise une meilleure diversification des économies et des exportations plus compétitives.
"Toute cette vague d'investissement n'a d'avenir que si elle s'accompagne d'un développement local", résume M. Severino, évoquant la responsabilité partagée des investisseurs.