Dans la nuit du lundi 6 au mardi 7 avril 2015, près de 300kg de pointes d’ivoire et de nombreuses armes de chasse saisies lors de diverses opérations anti-braconnage ont été dérobés au tribunal d’Oyem, au nord du Gabon. Ces stocks d’ivoire et d’armes devaient être transférés vers Libreville dans le courant de cette même semaine.
Le Procureur d’Oyem a précisé que la salle des scellés du tribunal a été forcée afin de permettre le vol. Seules quelques pointes d’ivoire stockées dans le bureau du greffier en chef ont échappé au cambriolage. Par ailleurs, le gardien du tribunal est depuis lors porté disparu.
Luc Mathot, Directeur de l’ONG Conservation Justice, qui appuie les autorités dans l’application de la loi sur la faune et la problématique du trafic d’ivoire, explique que : « Ces cas de disparition d’ivoire des tribunaux sont malheureusement trop fréquents, en particulier en Afrique centrale (Gabon, Congo, Cameroun). Malgré des efforts des hautes autorités au Gabon, la loi demeure très faible et le système judiciaire ne respecte pas toujours les procédures avec assez d’attention et de sévérité. Les tentatives et actes de corruption sont aussi très fréquents. »
Cet évènement ne constitue malheureusement pas une première au Gabon. En 2012, peu avant l’incinération de près de 5 tonnes d’ivoire, en présence du Président de la République, plusieurs kilos d’ivoire devant être détruits lors de cette opération ont été dérobés dans ce même tribunal d’Oyem.
Les enquêtes menées n’ont à ce jour pas permis d’identifier les responsables.
Autre fait similaire : en décembre 2014, des pointes d’ivoire marquées comme provenant du tribunal de Makokou ont été saisies par la gendarmerie alors qu’aucun cas de vol n’y a été rapporté. Là aussi, les enquêteurs n’ont pas été en mesure d’apporter une réponse claire à cette affaire.
Suite au Sommet de Londres (Royaume-Uni) en 2014 et à la Conférence sur le commerce illicite d’espèces sauvages de Kasane (Botswana) en mars 2015, des mesures avaient été prises par le Chef de l’Etat gabonais et plusieurs de ses homologues de la sous-région afin de renforcer l’application de la loi et de mieux protéger les stocks d’ivoire saisis. Cette nouvelle disparition d’un stock d’ivoire au sein même d’un tribunal constitue une sérieuse entrave aux efforts effectués par le gouvernement et les ONG internationales de conservation qui défendent les dernières populations d’éléphants de
forêt d’Afrique, dont la population a diminué de plus de 60% au cours de la dernière décennie.
Dans ce contexte, Marthe Mapangou, Directrice Nationale du Fonds Mondial pour la Nature (WWF) au Gabon, s’insurge : « Cette nouvelle violation de la loi nous laisse un goût amer : nous avons le sentiment que l’argent public et les dons qui appuient la lutte anti-braconnage, ainsi que les risques vitaux que prennent tous les jours les agents impliqués ne permettent pas d’éradiquer la menace terrible que constitue le braconnage pour l’héritage naturel et la sécurité de notre pays. Les défaillances flagrantes observées dans la conduite de certaines procédures judiciaires, et l’omerta souvent maintenue par certaines administrations locales ne peuvent plus durer. » Selon elle, « le Gabon jouit d’une excellente image en termes de sensibilité environnementale à l’international mais la réalité sur le terrain semble prendre un tout autre chemin. Nous sommes très inquiets. »
Gaspard Abitsi , Directeur National de la Wildlife Conservation Society (WCS) au Gabon renchérit : « depuis plusieurs mois, les rapports de patrouilles dans les parcs montrent que la diminution des budgets allouées aux activités de protection des ressources naturelles ne permet plus une surveillance optimale des espaces protégés. Le rapport datant de mi-2014 d’une mission d’évaluation des moyens de lutte contre la criminalité faunique menée par l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) a souligné la faiblesse des capacités du Gabon en matière de renseignement sur ces questions. A cela vient désormais s’ajouter cette recrudescence alarmante d’affaires de vols de pointes d’ivoire dans des lieux supposément sécurisés dédiés à leur stockage.
Tout ceci pose de sérieux motifs d’interrogation sur la capacité des acteurs de la lutte anti-braconnage à assurer une bonne gouvernance d’un bout à l’autre de la chaîne. »
Les trois ONG dénoncent une dérive mafieuse des questions de criminalité faunique et en appellent au gouvernement gabonais à ne pas baisser les bras, à maintenir une transparence totale, une coopération effective et une exigence sans faille au sein des administrations en charge de cette problématique afin de contribuer efficacement à la lutte contre les trafics. Elles appellent aujourd’hui à une prise de conscience nationale et internationale afin qu’une attention particulière soit portée sur la question du trafic d’ivoire au Gabon afin d’assurer une gestion exemplaire et durable de la riche biodiversité du pays.