Le président de la Cour Constitutionnelle donne le sentiment que, lorsqu’elle a la conviction intime que le recours avec preuves de fraude est fondé contre le PDG, elle se doit de dire l’irrecevabilité de ce dossier pour ne pas en juger le fond.
Pourquoi donc Madame Mborantsuo, que l’on appelle dans certains cercles politiques «Madame Irrecevable», privilégie-t-elle la forme au détriment du fond des recours ? De nombreux observateurs des décisions de la Cour Constitutionnelle ont fait le constat que dès qu’un recours est «bétonné», avec des preuves de fraude ou d’irrégularités, la Cour Constitutionnelle, par la voix de son Président, fait toujours le même rendu : «recours irrecevable, car l’article 72 n’a pas été respecté».
Certains membres de la Cour Constitutionnelle ont admis, en privé, que le recours déposé par Chantal Myboto Gondjout, après les élections locales du 14 décembre dernier, était «solide», mais que le président de leur institution avait demandé que soit d’abord examinée la forme. Et dans la forme, la tête de liste de «Libreville-pour-tous» au 1er arrondissement de Libreville, a bien écrit que c’est la liste PDG, conduite par Chrystel Limbourg Iwenga, qui a été déclarée vainqueur. Or, selon ces sources, Marie-Madeleine Mborantsuo a estimé que cette élection n’étant pas un scrutin uninominal mais plutôt un scrutin de liste, Chantal Gondjout se devait de citer les quatorze colistiers de Madame Limbourg Iwenga… Ce sont des «chichis», concède un éminent membre du Secrétariat exécutif du Parti démocratique gabonais. «La réalité est que si ce dossier avait été examiné dans le fond, la victoire de la liste PDG aurait été invalidée», souligne un proche de Jean Eyéghé Ndong.
«Tour de Pise» pour les uns, «Madame Irrecevable» pour d’autres
Du coup, la probité de Madame Mborantsuo est mise en doute par certains, même parmi ses proches. Après avoir été pendant longtemps traitée de «Tour de Pise qui penche toujours du même côté» par de nombreux acteurs politiques et observateurs, le président de la Cour Constitutionnelle semble, pour d’autres, avoir changé de tactique. C’est dorénavant la méthode «recours irrecevable» qu’elle met en avant. Pourtant, cette juriste de haut vol, ancien président de la Cour des Comptes, est une des grandes intelligences du pays. «Quel gâchis !», s’est écrié un membre sortant de la Cour Constitutionnelle qui n’était pas toujours en phase avec elle. «Pourquoi se croit-elle obligée de toujours pencher du même côté ?», s’interroge un ancien membre du Gouvernement à qui elle avait dit, il est vrai, des choses peu amènes. D’autres ne sont pas loin de croire qu’elle aime à se faire détester.
L’élection présidentielle de 1993 ou le «péché originel»
Retour en arrière. Lorsque, le 9 décembre 1993, Pauline Nyingone, alors Gouverneur de la province de l’Estuaire, s’était étonnée des résultats que donnait le ministre de l’Intérieur de l’époque, Antoine (qui n’était pas encore de Padoue) Mboumbou Miyakou, concernant l’Estuaire (la Commission Provinciale de dépouillement des Résultats de l’élection présidentielle du 5 décembre était alors à pied d’œuvre au Gouvernorat de la province), Marie-Madeleine Mborantsuo n’avait pas trouvé mieux que de déclarer Omar Bongo vainqueur avec 51% ! «C’était, avait alors dit l’ambassadeur des Etats-Unis, Joseph Wilson IV, des résultats fabriqués et annoncés à la va-vite». En effet, alors que la Commission provinciale de dépouillement des Résultats travaillait encore sous la présidence du Gouverneur Pauline Nyingone, le ministre de l’Intérieur était apparu sur les écrans de la première chaîne de télévision pour annoncer des «résultats fabriqués». Marie-Madeleine Mborantsuo, au nom de la Cour Constitutionnelle, valida ces résultats malgré le recours intenté par les autres candidats à ce scrutin. Pour le politologue franco-gabonais Hervé Grupaune, c’est le «péché originel» de cette institution mise en place en octobre 1991.
Mauvaise image de la Cour Constitutionnelle dans le pays
En dépit de tout ce passif, la Cour Constitutionnelle n’a pas songé à réparer cette faute commise en l’encontre du peuple gabonais deux années après sa création. Cette institution demeure mal aimée. Dans sa dernière déclaration relative au rendu des élections locales, Marie-Madeleine Mborantsuo a annoncé que la Cour allait dorénavant procéder à une formation du personnel politique, des membres de la CENAP et des démembrements de celle-ci, sur les dispositions de la loi électorale. Belle parade ! Cette institution veut-elle se donner bonne conscience ? En tout cas, il en faudra plus pour se donner une image positive dans l’opinion.
L’institution doit aider le Gabon à se faire admettre un jour comme un Etat démocratique dans le concert des nations du monde. Au Bénin, il y a quelques années, une femme, Elisabeth de Souza, était nommée à la tête du Conseil Constitutionnel par le Président Nicéphore Soglo. Lors de l’élection présidentielle de mars 1996 dans ce pays, Matthieu Kérékou, battu cinq ans auparavant par Nicéphore Soglo, prit sa revanche dans les urnes. Et, malgré la forte pression exercée sur elle par le Président Soglo et ses partisans, cette femme proclama les résultats sortis des urnes : Kérékou vainqueur, Soglo battu. Cette femme est invitée aujourd’hui, à travers le monde, pour présenter l’expérience béninoise en matière d’élection. Elle a la reconnaissance non pas des Soglo, mais de la communauté internationale. Et c’est le plus important…