Elle se sentait soutenue par la hiérarchie de son parti et même la présidence de la République. Elle pensait jouer de cela pour faire rentrer dans le rang les ténors du PDG à Libreville. La voilà aujourd’hui à la tête d’un champ de ruines, élue au terme d’une élection réunissant tous les ingrédients du vaudeville. Entre erreurs d’amateur et fautes d’enfant gâtée, retour sur un festival de maladresses.
Tous les observateurs doutaient de sa capacité à mener ce combat. Tous se demandaient comment ferait-elle pour surmonter les écueils Barro Chambrier et Ntoutoume-Emane. Tous avaient annoncé une utilisation abondante des procurations. Certains avaient même mis en garde contre ce qui aurait pu apparaître comme une «attitude vexatoire» pour les conseillers PDG et CLR de Libreville. Huitième sur une liste battue n’ayant obtenu que dix (10) conseillers, militante de trop fraîche date, initiatrice d’une opération de régularisation des fonctionnaires ayant tourné à la pantalonnade, exclue de l’équipe ayant conduit le dernier emprunt obligataire, Rose Christiane Ossouka Raponda accusait trop de lacunes pour faire l’unanimité dans son propre camp.
Au lendemain de sa désignation comme maire de Libreville, ces réserves rencontrent un écho encore plus amplifié. Infantilisation des autres conseillers, suspicion généralisée, accusations de «trahison» lancées tout à trac, négation des dispositions juridiques et réglementaires, démission du président du bureau mis en place pour organiser le scrutin et retrait des conseillers des listes «Libreville pour tous» de la salle et de la compétition sont les faits majeurs ayant marqué le processus qui l’a conduite à la tête de la mairie de Libreville. Bien plus que sa formation politique, c’est davantage sa carrure à elle-même, son sens de la tactique qui sont ici mis en cause. Au-delà des avantages matériels et honneurs que pourraient lui procurer sa position nouvellement acquise, elle gagnerait à méditer sur le nécessaire rassemblement des forces, les voies et moyens de reconstruire l’unité au sein de sa famille politique et de rétablir la confiance au sein du Conseil municipal qu’elle devra désormais présider. Y parviendra-t-elle quand elle n’a pas pu éviter des écueils pourtant prévisibles ? Il est permis d’en douter…
Dès sa désignation comme candidate officielle du PDG, Rose Christiane Ossouka Raponda se savait, en effet, en position délicate, consciente d’être une invitée surprise. Sachant que Jean-François Ntoutoume-Emane s’était senti blessé, humilié par son éviction de la liste du 5ème arrondissement de Libreville alors que durant les cinq (5) dernières années, il a placé ses affidés à tous les postes névralgiques de l’administration municipale, elle aurait dû anticiper. A-t-elle essayé d’obtenir de ses mentors, c’est-à-dire de la hiérarchie du PDG voire du président de la République, une compensation pour le clan Ntoutoume-Emane, quitte à suggérer l’entrée au gouvernement de Simon Wilfried Ntoutoume-Emane ? A-t-elle songé à rencontrer le maire sortant pour s’assurer de son soutien, quitte à le rassurer s’agissant du sort des siens ? Et pourquoi ne pouvait-elle pas lui promettre le vote futur d’une délibération portant sur le statut des anciens maires ? C’est connu : les promesses n’engagent que ceux qui y croient….
Déficit de confiance
Sur le chemin de l’Hôtel de Ville, Rose Christiane Ossouka Raponda aura assurément été sa première ennemie et le principal obstacle à la candidate PDG qu’elle était. Sûre du soutien de la hiérarchie de son parti et de la présidence de la République, elle semble n’avoir misé que sur cela. Comptant exclusivement sur la « discipline du parti », les menaces et intimidations à l’endroit des autres conseillers, elle a oublié que c’était d’abord sa carrière, son image, sa réputation, son honneur, sa dignité, et sa place dans l’histoire de la mairie de Libreville qui se jouaient. Son tempérament attentiste, son manque d’initiative et de sens politique lui ont coûté très cher. Trop timorée, trop légitimiste, trop portée par l’écume des choses. L’épisode où Thérèse Ranaud Renombo apparaît dans la salle du Conseil municipal alors qu’une procuration a été émise en son nom confirme que la désormais mairesse de Libreville n’a même pas pu fédérer autour d’elle les femmes les plus influentes des différentes listes PDG. Or, le seul véritable atout dont elle disposait dans cette bataille était justement d’être une femme. Certaines d’entre elles auraient pu lui être d’un précieux apport pour déminer le terrain. «Avec Marie Joséphine Kama Dabany elle avait une porte d’entrée privée vers le CLR et même le président de la République. Avec Anne-Marie Okome Mba, une transfuge du RPG, elle pouvait toucher certains conseillers des listes «Libreville pour tous» qui ont jadis milité au RNB ou au RPG. Avec Chrystel Limbourg Iwenga elle avait un allié pour négocier avec la communauté Mpongwè », analyse un militant PDG du 4ème arrondissement, qui s’étonne qu’elle n’ait pas pu parvenir à un consensus avec Barro Chambrier. « Il semble que Barro ait voulu la faire convoquer à Eka’a (NDLR : nom de la chefferie traditionnelle Mpongwè). Pourquoi n’y a-t-elle pas songé elle-même», lance-t-il poursuivant : « Puisque tous les deux prétendent occuper le poste au nom de la communauté, il aurait été bien d’impliquer Eka’a qui aurait pu obtenir un arrangement familiale et arrondir les angles, y compris avec les gens du PDG voire le président », avant de s’interroger : «Ne sait-elle pas que le pouvoir a une dimension mystique et que la mairie de Libreville a un aspect traditionnel ? Pourquoi n’a-t-elle pas sollicité des vieux comme Michel Anchouey ou Mamadou Diop pour trouver une entente avec Barro ?»
Effectivement anciens ministres et anciens barons PDG, ces deux personnalités sont aujourd’hui les principaux animateurs de la «Fondation des Quatre Saisons» qui gère notamment le cimetière communautaire de Plaine-Niger à Libreville. Leur influence au sein de la communauté Mpongwè est donc indéniable. Elle aurait peut-être permis de ramener Barro Chambrier à plus de collaboration. Le vaudeville du 26 janvier dernier aurait donc pu être évité. Mais, tout ceci semble trop raffiné, trop élaboré, trop construit pour cette novice en politique, qui a préféré laissé ses mentors user de la menace et de contorsions administratives à tout-va. Pour une femme, ce manque de finesse a forcément fait des dégâts. Trop de dégâts.
Et pourtant, la nouvelle mairesse de Libreville avait été mise en garde. La presse avait parlé et reparlé des écueils Ntoutoume Emane et Barro Chambrier autant que de la nécessité pour le nouveau médiateur de la République de démissionner de son mandat d’élue locale. Rien n’y a fait. Aujourd’hui, toutes ces questions entachent les conditions de son arrivée à l’Hôtel de Ville. «Tout ça va laisser des traces. Son mandat sera marqué du sceau du péché originel du passage en force et du déficit de confiance dans les conseillers PDG de Libreville », prédit un ancien journaliste au quotidien national L’Union. «Comment travailler et construire des choses avec des gens dont on a publiquement mis en cause la loyauté», demande un autre, qui ajoute : «Cette histoire de procurations forcées ou établies dans le dos des gens a tué l’esprit d’équipe». Et de conclure «Le Conseil municipal de Libreville a implosé dès sa première séance. On n’est plus à l’abri d’une motion de destitution comme celle dont fut victime André-Jules Ndjambé à Port-Gentil». Entre frustrations des uns, rancœurs des autres, haines cuites et recuites, Rose Christiane Ossouka Raponda aura obtenu une victoire à la Pyrrhus. Pour l’heure, l’ancienne adjointe au directeur général de l’Economie, qui a affirmé sa volonté de «faire de Libreville le carrefour de l’Afrique» devra méditer cette maxime de Kenneth Arrow : «La confiance est une institution invisible qui régit le développement économique»…..