Convoqués par le procureur de la République à une réunion de sensibilisation et de conseil à l’endroit des élèves ayant été interpellés le 4 décembre dernier lors de la grande manifestation contre les réformes dans le secteur de l’Education, les 2/3 des mis en cause et leurs parents n’étaient pas au palais de Justice le 10 décembre 2013. Blâmable, mais l’esprit de la foule pourrait constituer une circonstance atténuante.
Initialement prévu pour se tenir le 10 décembre 2013 dans la salle des audiences correctionnelles du palais de justice de Libreville, la réunion visant à discuter du comportement des élèves pris en flagrant délit de casse et destruction de biens d’autrui, le 4 décembre dernier, a été reporté au 17 décembre prochain par le procureur de la République, Sidonie Flore Ouwé, afin de permettre à tous les mis en cause et leurs parents de répondre présent à cette séance.
«Alors que ces élèves marchaient dans la rue troublant ainsi l’ordre public, certains cassaient les véhicules d’autrui», a rappelé le procureur de la République, Sidonie Flore Ouwé, devant les parents et lycéens ayant répondu à son appel. «Le ministère public, représenté par les trois magistrats du parquet de la justice de Libreville, ne saurait livrer son message à l’endroit des parents et des élèves qui sont dans cette salle en absence des autres parents et manifestants», a-t-elle déclaré.
«Nous n’allons pas nous engager dans la pratique d’une justice à deux vitesses. Toutes les personnes qui ont été interpellés doivent être ici dans la salle pour que le message soit entendu et compris par tout le monde. C’est pour cette raison que nous allons renvoyer cette rencontre à mardi 17 décembre prochain à 10 heures. Le temps pour certains parents qui n’étaient pas avisés à temps de s’apprêter pour répondre présent à l’invitation», a-t-elle décidé avant de conclure : «et si les parents absents ne venaient pas à répondre à la convocation, le ministère public prendra toutes les mesures pour les y contraindre».
Cette décision du ministère publique qui est juste et logique selon certains parents d’élèves interpellés et présents dans la salle, n’a pas trouvé l’assentiment de tous. À l’exemple d’un parent qui n’a pas caché son mécontentement. «Les 17 enfants qui étaient à Nkembo sont tous là. Sauf une, qui est enceinte et qui est hospitalisée. Mais il y a un autre groupe et nous ne savons pas où ce groupe-là se trouve et c’est dans ce groupe là même qu’on a trouvé les jeunes avec des cannettes c’est-à-dire avec des preuves palpables. Où la police a-t-il amené ce groupe de 10 personnes?», s’est interrogé ledit parent.
«Regardez comment nos enfants sont traités. Pour les parents ça fait mal au cœur. Cela nous gêne. C’est traumatisant pour les enfants. Le mien a du mal à aller maintenant à l’école. Hier (dimanche), il avait du mal à aller à l’église parce qu’il ne sait pas ce que les autres peuvent bien penser de lui. Il faut que la justice soit faite, parce qu’on ne va pas toujours nous balader les enfants comme ça. Et les uns ne vont pas payer à la place des autres sinon on risquerait de penser que nos enfants sont des boucs émissaires», a fustigé le même parent d’élève.
Le 4 décembre dernier lors de la grande manifestation des collégiens et lycéens, visant à réclamer des autorités l’annulation des réformes au Brevet d’étude du premier cycle (Bepc) et au baccalauréat ainsi que le départ de Séraphin Moundounga, l’actuel ministre de l’Éducation nationale, plusieurs manifestants pris en flagrant délit de casse et destruction de biens d’autrui ont été interpellés et conduits dans certains commissariats de police et de gendarmerie de la capitale pour être écoutés. Selon une source proche du dossier qui a souhaité garder l’anonymat, «suite à leur interpellation, madame le procureur s’est rendue dans les différentes unités de gendarmerie et de police pour s’assurer que ces élèves n’étaient pas maltraités et que par conséquent ces élèves-là allaient être récupérés par leurs parents munis d’une pièce justificative du lien de parenté avec ses enfants là. Ce qui a été fait».
Ainsi qu’on peut le comprendre, les jeunes présumés vandales ont été relaxés sitôt que leurs parents s’étaient présentés aux postes de police et de gendarmerie où ils étaient gardés à vue. Et, ainsi qu’on a également pu le comprendre, il ne s’agit pas pour Sidonie Ouwé de les entendre dans la logique d’un procès, mais de leur prodiguer des conseils et d’attirer l’attention de leurs parents.
Mais, devrait-on vraiment blâmer ces enfants qui étaient dans une foule au moment des faits qui leurs sont reprochés ? Il faut en effet se souvenir de ce qu’a écrit Gustave Le Bon dans «Psychologie des foules» : «l’individu en foule acquiert, par le fait seul du nombre, un sentiment de puissance invincible lui permettant de céder à des instincts, que, seul, il eût forcément refrénés. Il y cédera d’autant plus volontiers que, la foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement.» Autrement dit, pris dans une foule, l’individu adopte l’esprit de la foule et perd toujours un peu de ses propres moyens moraux et psychologiques. Sans doute le procureur de la République veut-il obtenir des parents et des élèves incriminés la promesse ou le principe de fuir à jamais les foules, de toujours s’en extirper pour éviter de commettre ensuite des actes regrettables.