Dans son contrat avec Pascaline Mferri Bongo, la légèreté dont a fait montre la PME française, spécialisée dans le fret, est inquiétante pour la transparence. Elle traduit une forme de collusion et des pratiques qui fleurent bon les liaisons incestueuses entre politique et affaires.
Sans doute, faudra-t-il le rappeler : en raison de sa filiation et de son rôle politico-administratif, Pascaline Mferri Bongo a longtemps été considérée comme un pilier de la Françafrique. Elle était présentée comme le « totem » de son paternel dont elle huilait les relations avec une certaine France pas toujours en phase avec l’éthique démocratique et les valeurs républicaines mais parfaitement au diapason de toutes les combinaisons d’affaires. La volonté d’expier ce passé peu honorant pourrait-elle être le fondement du traitement dont elle est aujourd’hui l’objet ? Comment expliquer cette évolution ?
Depuis le début de la semaine, la presse française s’est livrée à des révélations sur des impayés de factures susceptibles de conduire l’ancienne toute-puissante directrice de cabinet d’Omar Bongo devant les tribunaux (lire par ailleurs Griffin Ondo «Pascaline Mferri Bongo, bientôt devant les juges»
). Certes la justice et la presse françaises ont toujours clamé et défendu leur indépendance. Certes depuis la tristement célèbre « affaire Elf« , la presse française a multiplié les révélations en tout genre et fait considérablement bougé les lignes. Certes, des ténors de la vie politique française ont déjà eu maille à partir avec la justice. Mais les réseaux françafricains sont restés solides, transformant la politique de coopération en relations de personnes, biaisant les scrutins présidentiels en Afrique et confisquant les destins de peuples entiers.
Fausses certitudes, mensonges, magouilles et opposition à la vérité
La justice et la presse françaises ont le droit, voir le devoir, de faire leur boulot. Personne n’aura l’outrecuidance de les en blâmer. Dans l’assignation en justice de Pascaline Mferri Bongo et sa révélation au grand public, leur implication n’a rien de troublant. A contrario, l’attitude de Blue Mendel étonne. Pis, elle laisse un brin moqueur. Une petite vérification d’usage aurait, en effet, sans doute permis à cette PME de se faire une idée exacte de la répartition des tâches à la présidence de la République. Elle se serait ainsi donné les outils pour mieux cerner le rôle actuel de sa cliente. Quelles étaient sa fonction et ses missions exactes au moment des faits ? Chargée des achats ? Responsable de la logistique ? Directrice du patrimoine ? Secrétaire général de la présidence de la République ? Davantage de rigueur aurait amené Casimir Perier à ne pas engager son entreprise dans une histoire où achats personnels et professionnels se mêlent et s’entremêlent. Comment ce spécialiste du fret peut-il, en même temps, cautionner un tel mélange des genres et se plaindre d’avoir été floué ? Même justifié, son comportement est révélateur d’une certaine légèreté.
A l’évidence, le seul patronyme de sa cliente constituait, à ses yeux, une assurance-vie, la garantie de voir le Trésor public gabonais régler, rubis sur ongle, la note, sans se soucier de la régularité de la procédure ou de la destination finale des biens transportés. Manifestement convaincue de traiter – à tort ou à raison, c’est selon – avec une digne représentante d’une république bananière ou l’héritière du propriétaire d’un Etat pétrolier d’Afrique, la direction de Blue Mendel a manqué de vigilance et de rigueur professionnelle. Du grand n’importe quoi !!
Les propos de son avocate mettent cette affaire en perspective. Me Caroline Wasserman se dit choquée par «l’écart entre la fortune colossale de Mme Bongo et la situation épouvantable de la société« . Elle aurait cependant gagné à être plus explicite. Elle aurait dû indiquer pourquoi « la fortune colossale de Mme Bongo« doit servir au paiement du transport de meubles et objets entrant dans « la décoration intérieure de la présidence« . Ou alors, elle aurait pu dire à quoi « des monceaux de crème glacée d’une célèbre marque américaine » et les « fruits frais, achetés au fournisseur de plusieurs palaces parisiens » auraient servi à la présidence de la République. A-t-elle seulement cherché à savoir en quoi ces crèmes et fruits sont nécessaires à la définition et à la conduite de la politique du Gabon ? Peu lui importe : abreuvée de fausses certitudes, elle tient, en son for intérieur, la famille Bongo pour l’équivalent de l’Etat gabonais et ses membres pour l’essence de la présidence de la République. Des considérations antirépublicaines, antidémocratiques, confortées par les mensonges de la Françafrique, ses magouilles et son opposition systématique à la vérité sociologique et historique.
Confusion entre affaires publiques et affaires privées
Emportées par une sorte de daltonisme conceptuel ou idéologique, la presse française et l’avocate de Blue Mendel en arrivent même à mettre cette affaire dans le même sac que celle dite des « Biens mal acquis« . Elles en viennent à se servir des révélations de la seconde pour éclairer la première ou exiger le paiement des factures. Et pourtant, si les « Biens mal acquis » ont trait à la corruption et, plus largement, à spoliation d’un pays et de son peuple, les factures impayées relèvent de la simple prévarication. Les deux affaires n’ont, de ce fait, rien de similaire ou de complémentaires. Seuls les noms de certains protagonistes les rapprochent. Est-on condamné à rappeler ces évidences ? Malheureusement, la réponse semble être affirmative.
En évoquant « la fortune colossale de Mme Bongo« pour réclamer le paiement de ses factures et mettre en exergue l’immoralité de la situation ainsi créée, Blue Mendel ne se rend même plus compte qu’elle banalise les « Biens mal acquis » tout en légitimant le mélange des genres et les passe droits dont elle fait pourtant les frais. Mais pourquoi donc cette hargne ? Certainement par refus inconscient d’admettre la responsabilité d’une certaine France. Mais davantage pour une raison encore plus inavouable : pour la PME française classique, traiter avec Pascaline Mferri Bongo revient à s’ouvrir la voie vers l’enrichissement rapide, à se donner une chance de côtoyer les capitaines d’industrie du Cac 40, type Vincent Bolloré. De quoi faire rêver tout gérant de PME ! De quoi appâter tout spécialiste du fret !
Dans cette affaire, Pascaline Mferri Bongo est restée fidèle à elle-même. Comme souvent, elle a dû déléguer le traitement du dossier. Comme à son habitude, elle s’est fait servir avant de régler la facture. Comme toujours, elle a confondu les opérations à but domestique et celles à vocation publique. Seulement, elle a oublié que sa position politico-administrative a changé, que son influence a décliné depuis et surtout, qu’elle n’est plus administrateur de crédits de la plus budgétivore des institutions de la République gabonaise. Ces réalités-là, Blue Mendel n’en n’a pas tenu compte, aveuglée par l’identité de sa cliente. Pour avoir accepté de s’engager dans une opération à la limite des règles, pour avoir indirectement cautionné la confusion entre affaires publiques et affaires privées, la PME française pourrait avoir l’élégance d’adresser des excuses au peuple gabonais. Autrement, elle ne sera jamais rien d’autre que la victime de ses propres compromissions, de ses liaisons dangereuses. « Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes« , dit un vieux principe juridique. Et pourtant….On comprend mieux pourquoi, sous nos latitudes, certains patrons d’entreprises ont en horreur la transparence électorale voire la transparence tout court…