Plusieurs faits d’actualité étaient à l’ordre du jour de l’interview accordée à France 24 par le ministre des Affaires étrangères. La désignation de Robert Mugabe à la tête de l’Union africaine (UA), la lutte contre Boko Haram ou encore la crise sociale au Gabon, sont autant de sujets développés par Emmanuel Issoze-Ngondet.
Les chefs d’Etat africains ont désigné Robert Mugabe pour la présidence de l’Union africaine. Un autocrate, un dictateur, qui dirige son pays d’une main de fer depuis 30 ans sous sanctions internationales. Est-ce que vous vous félicitez de cette désignation ou vous êtes un peu gênez ?
La désignation du président de l’Union africaine (UA) passe par un processus qui répond au principe de rotation entre régions. Aujourd’hui, c’est le tour de l’Afrique australe de désigner le président en exercice de l’UA. Robert Mugabe a été désigné par ses pairs, qui ont cru en son expérience, pensant certainement que cette dernière puisse aider à l’évolution de l’UA. La polémique que vous évoquez n’est certainement pas nourrie au sein de l’UA, peut-être ailleurs. Mais le plus important, c’est que les chefs d’Etat africains ont songé au bénéfice de la désignation du président zimbabwéen à la tête de notre organisation.
Vous n’êtes pas gêné, vous le soutenez au contraire…
Le Gabon est un état membre de l’UA. Et cette décision qui a été prise par les chefs d’Etat ne peut gêner le Gabon.
N’est-ce pas là un mauvais signal envoyé aux populations africaines ? C’est-à-dire qu’on s’arrange entre élites africaines, et peu importe les problèmes de la population du Zimbabwe qui souffre de la faim et qui vit sous dictature…
Les règles de l’UA sont légitimes, conçues avec l’assentiment des Etats africains, et par conséquent avec l’assentiment des populations africaines. Et ces règles indiquent qu’il faut désigner la présidence en exercice sur cette base-là. Les chefs d’Etat qui ont la légitimité pour le faire ont désigné un des leurs. Le président Mugabe va assumer ses responsabilités sans doute avec toute l’expérience qui est la sienne, et dans tout l’intérêt de l’organisation. Ça ne devrait donc pas poser le problème que vous êtes en train d’évoquer.
Il est quand même interdit de voyager…
Oui mais seulement en Europe et en Occident.
Certes mais il y a quand même des sommets qui y ont lieu. Qui va le représenter car il ne sera pas admis à ces rencontres ?
Les préoccupations des populations africaines résident fondamentalement à l’intérieur du continent africain. Sur cette base-là, le président Mugabe dispose d’un espace bien défini pour circuler, contacter ses pairs et discuter en toute quiétude avec des interlocuteurs pour faire avancer la cause africaine. Naturellement l’UA a des partenariats avec la communauté internationale, et on appréciera la réaction de cette dernière le moment venu, sur la nécessité pour lui de se déplacer vers telle ou telle destination.
Un sommet consacré à la lutte contre le terrorisme qui est aujourd’hui un véritable fléau en Afrique, notamment la lutte contre Boko Haram, vient de créer une force régionale de 7500 hommes. Est-ce que le Gabon participera à celle-ci ? Une question d’autant plus importante qu’en Afrique, on annonce souvent ce genre d’initiative et on moment de la mettre en place, on ne trouve pas d’hommes…
Déjà il faut saluer cette décision car l’année dernière, peut-être même avant, l’UA a été critiquée et accusée d’indolence vis-à-vis du terrorisme. C’est une décision qui vient donc à point nommé. Maintenant, que faut-il faire après avoir décidé de déployer une force multinationale africaine ? Il faut d’abord programmer son déploiement, définir quels sont les pays qui vont y contribuer. Avant de répondre formellement à votre question, permettez-moi de partager le point de vue du Gabon par rapport à la lutte contre le terrorisme. Le déploiement d’une force c’est bien, mais la lutte contre le terrorisme impose une stratégie qui prend en compte un certain nombre de facteurs. Il faut donc coopérer dans le renseignement, pour lutter contre la cyber-criminologie car le terrorisme s’en nourrit. Il faut coopérer pour couper les circuits financiers, et pour avoir des unités spéciales qui peuvent, sans pour autant se faire identifier, agir dans les secteurs où le terrorisme prospère. C’est donc une stratégie globale dans laquelle s’inscrit le Gabon même si, à l’heure actuelle, l’envoi de troupes n’est pas encore à l’ordre du jour.
Mais la coopération à la laquelle vous faites allusion n’est pourtant pas efficace…
C’est une stratégie globale qui peut se faire au niveau du continent comme au niveau de la sous-région. Au niveau de la sous-région, parce qu’il faut le souligner, les pays de la Commission du bassin du lac Tchad ont déjà eu à déférer une sorte base pour la coopération régionale. C’est donc le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Nigeria. Au niveau de la Communauté des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), nous ne sommes pas insensibles car il y a deux pays qui sont touchés. Et la CEEAC offre des mécanismes qui me paraissent important à réactiver, notamment le Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale (Copax) et le pacte de solidarité. A partir de là nous pouvons bâtir toute une stratégie qui peut renforcer qui a été annoncé.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour la mise en place de ces mécanismes ? Sachant que depuis 2009, des milliers de personnes sont mortes au Nigeria…
Ce n’est parce que l’on annonce la mise en place de cette force que les efforts des pays africains n’ont débuté qu’aujourd’hui. Ce sera faire insulte aux dirigeants africains qui ont déjà pris à cœur la nécessité de lutter contre le terrorisme. Il y a des actions qui ont été menées. Le Tchad et le Cameroun sont en train de mobiliser leurs forces armées pour lutter contre Boko Haram.
Mais le Cameroun s’est quand même senti bien seul…
Seul dans le déploiement des forces, oui. Mais il y a une solidarité internationale manifestée autour du Cameroun.
Justement vous parlez de solidarité. On a vu le président Ali Bongo à Paris participer à cette grande marche républicaine pour dénoncer le terrorisme. Et certains se demandent pourquoi ces chefs d’Etat, dont Ali Bongo, ne sont jamais allés au Nigeria aux côtés de Goodluck Jonathan pour lui affirmer également leur solidarité ?
On ne peut l’affirmer puisque vous savez comment fonctionnent les Etats. Il se peut que ça soit une initiative au niveau des chefs d’Etats ou de leurs envoyés spéciaux. Moi je me rappelle que l’année dernière, le chef de l’Etat m’a envoyé auprès de son frère et ami, Goodluck Jonathan…
Oui mais le président gabonais ne s’est pas déplacé en personne comme pour la marche de Paris…
Mais il n’a nullement besoin de se déplacer puisqu’ils sont en contact permanent.
Pour le symbole alors …
Oui mais dans le cas de Paris l’occasion s’est présentée. Il y a des concertations entre les chefs d’Etats sur ces questions-là, il y a des engagements qui sont pris et le Gabon s’inscrit dans cette logique.
L’un des sujets à être abordé lors du sommet que nous évoquions est la Lybie, où règne le trafic d’armes, notamment. A ce sujet, il y a quand même division, certains pays étant pour une décision politique et d’autres pour une intervention militaire internationale. Quelle est la position du Gabon ?
D’abord il faut préciser que le Gabon qui est Etat-parti à toutes les conventions internationales sur le terrorisme, condamne ce fléau avec véhémence. Le terrorisme ne peut pas laisser insensible la communauté internationale, qui s’inscrit dans une logique de condamnation et de lutte contre le terrorisme. Par rapport à la Lybie, il y a effectivement un débat sur le mode opératoire. Il y en a qui pense qui pense qu’une solution militaire est appropriée. D’autres estiment en revanche qu’il faut laisser plus de temps à la Lybie pour une solution politique. L’UA a adopté cette dernière solution et le Gabon est solidaire de cette position. Le Gabon a toujours pensé que la négociation politique est beaucoup plus indiquée lorsqu’on veut opter pour des solutions durables.
Il y aura l’élection présidentielle au Gabon en 2016, qui ne s’annonce pas sous de bons auspices. Nous avons vu une manifestation qui a dégénéré. L’opposition affirme aujourd’hui que le président Ali Bongo n’est pas gabonais… Estimez-vous qu’il s’agit de manipulation de la part de l’opposition ? Et comment fera le président pour chasser le soupçon ?
Je pense qu’il faut intéresser les Gabonais à ce qui est essentiel. Ce qui est essentiel aujourd’hui ce n’est pas d’ergoter sur la nationalité du président de la République. Ce dernier est Gabonais : il est reconnu comme tel et il a été élu. Le plus important pour les populations gabonaises c’est de voir comment les différentes familles politiques se positionnent par rapport à la loi et aux préoccupations fondamentales des populations.
Justement, les préoccupations des populations c’est un meilleur niveau de vie. Et depuis un an au Gabon il y a une multiplication de grèves dans le secteur pétrolier, dans l’administration… Comment allez-vous faire pour calmer la colère des grévistes alors que les revenus de l’Etat gabonais sont en baisse, en raison justement de la baisse des cours du pétrole ?
Permettez-moi de revenir sur mon précédent développement en disant que le Parti démocratique gabonais et les autres partis de la majorité ont une offre politique qui se traduit par le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), un programme politique, avec des déclinaisons en termes de schémas directeurs, etc. Les autres familles politiques, qui se réclament de l’opposition, n’ont aucune offre politique viable à proposer aux populations. Et il y a dans l’opposition, un front uni qu’on appelle Front uni de l’opposition pour l’alternance, qui a bâti sa démarche sur le rejet de la loi, de l’ordre constitutionnel et qui a pour offre politique l’insurrection, la mobilisation de la rue pour créer le chaos dans le pays, susciter une situation qui peut être présentée à l’extérieur comme une situation de crise, invitant la communauté internationale dans le débat national. Et ça nous l’appelons chercher à prendre le pouvoir par des moyens anticonstitutionnels.
Certes mais n’empêche qu’un tiers des Gabonais vit toujours sous le seuil de pauvreté, en dépit du programme que vous évoquiez… La destitution du président Blaise Compaoré qui a été chassé par la rue a-t-elle marquée un tournant à la fois chez les élites et chez les populations ? Est-ce que vous vous demandez parfois si ce qui est arrivé au président Compaoré peut également nous arriver ?
Il ne faut surtout pas transposer le cas du Burkina Faso au Gabon : ce sont des situations qui ne sont pas comparables et qui ne peuvent pas être examinées sur la même grille de lecture. Pour ce qui est du Gabon, le temps des nations n’est pas celui des hommes. Il y a un programme politique qui a été conçu et proposé. Les résultats commencent à se faire ressentir. Et il faut un certain temps que la population perçoive, dans son quotidien, les retombées de ce projet politique. Ce qui est important, c’est de savoir qu’il y a un projet politique qui est en train d’être mis en œuvre et qui a pour ambition d’améliorer les conditions de vie des populations.