Longue est la traque des adversaires d’Ali Bongo ! Ils sont tous passés, un jour ou un autre, par ces mesures d’interdiction de sortie du territoire national. Qu’ils soient leaders de l’opposition comme Paul Mba Abessole, Jean Eyeghe Ndong, André Mba Obame, Pierre-André Kombila, Paul-Marie Gondjout, Chantal Myboto-Gondjout, Paulette Missambo, Casimir Oyé Mba, Luc Bengono Nsi, Jean Ping, ou de la société civile comme Marcel Libama et Annie-Léa Méyé, c’est «même galère» depuis 2009.
Après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle d’août 2009, marquée par des émeutes post-électorales notamment à Port-Gentil, les leaders de l’opposition se virent interdits de quitter le territoire national. «Le premier à en avoir fait les frais est le Père Paul Mba Abessole, président du Rassemblement pour le Gabon (RPG), qui s’était rallié à André Mba Obame, candidat indépendant à ce scrutin». Il avait été empêché de sortir du territoire le 9 septembre pour se rendre à Abidjan (Côte d’Ivoire). Sur Radio France International (RFI), l’ancien vice-Premier ministre chargé des Droits de l’Homme d’Omar Bongo, avait réagi par des propos très durs : «cet homme (Ali Bongo), il fait ce qu’il veut des Gabonais et des voix des Gabonais, et il continuera à réduire les Gabonais en servitude». Tandis que, pour Jean-François Ndongou, ministre de l’Intérieur de l’époque, «comme il s’agit d’un acte politique, il est normal que les responsables politiques de tous bords restent sur le territoire national pour les besoins de l’enquête liée aux émeutes». Sauf qu’aucun responsable du PDG ne se verra infliger la même sanction. Ali Bongo se permettant même, bien avant son investiture, d’effectuer des visites dans certains pays de la sous-région.
La mesure d’interdiction de sortie du territoire a même frappé André Mba Obame, alors malade. Ce qui n’avait pas manqué d’émouvoir l’opinion nationale. En effet, par lettre datée du 3 juin 2011, le procureur de la République, Patrick Kickson Kiki, répondant à une correspondance de Maître Lubin Ntoutoume, avocat du secrétaire exécutif de l’Union nationale (dissoute), qui sollicitait une levée, pour raisons de santé, de l’interdiction dont son client était l’objet, a signifié à celui-ci qu’André Mba Obame ne saurait bénéficier d’une mesure de clémence «en l’état actuel de la procédure judiciaire» enclenchée contre lui, malgré l’état de dégradation de sa santé. Le 28 juillet 2012, c’est Paul-Marie Gondjout, chargé des Elections et des Libertés publiques à l’Union nationale, qui aura été empêché de quitter le territoire national. Sur sa page Facebook, celui-ci écrira : «Ce soir, 28 juillet 2012, je devais me rendre à l’étranger pour quelques jours. Je n’ai pas pu le faire parce qu’une interdiction de sortie du territoire m’a été signifiée par la PAF sur décision du Procureur près la Cour d’Appel de Libreville au motif de ma participation au Gouvernement alternatif d’André Mba Obame, donc pour des raisons politiques. Ceci est une atteinte grave à mes droits constitutionnels».
En 2013, d’autres leaders et membres influents seront interdits de sortie du territoire. C’est le cas de l’Evêque pentecôtiste et homme politique Mike Jocktane qui, pour ses activités ecclésiastiques se rend régulièrement à l’étranger, notamment aux Etats-Unis et en France. Puis, en 2014, de nombreux leaders de l’opposition et de la société civile se verront bloqués à l’aéroport Léon-Mba au moment d’embarquer dans les avions. Le 3 décembre dernier, par exemple, l’ancien Premier ministre Jean Eyéghé Ndong, accompagné de sept membres de l’opposition et de la société civile, dont Pierre André Kombila du RNB, Luc Bengone Nsi du Morena, Marcel Libame et Annie-Léa Méyé, ont été empêchés de quitter le territoire, alors qu’ils étaient en salle d’attente et s’apprêtaient à embarquer dans le vol Air France pour Paris. Un policier confisquera leurs passeports et ne les leur remettra qu’après le décollage de l’avion. Jean Eyéghé Ndong ne finira par quitter la capitale gabonaise que le lendemain après la reconnaissance, par le gouvernement, que l’agent de police avait fait montre d’un excès de zèle. Quelques semaines plus tard, à la veille de Noël précisément, Casimir Oyé Mba, alors dans le deuil après le décès de son fils, ne pouvait quitter Libreville.
Depuis le début de cette année, trois responsables de l’opposition n’ont pu jouir de leur liberté de mouvement. D’abord, Jean Ping dès le 2 janvier. L’ancien président de la Commission de l’Union africaine, devait, selon le quotidien français Le Monde, répondre à une invitation des dirigeants de l’Institut des Hautes Etudes de Défense nationale (IHEDN). Il devait intervenir à la 67ème session de cet institut sur «L’Union africaine et la résolution des crises en Afrique». Le 10 janvier, c’est Paulette Missambo qui a été la «victime» de cette mesure d’interdiction. Membre du Front de l’opposition pour l’Alternance, elle a demandé que l’on lui présente, à la PAF, un document sur cette interdiction. Réponse des agents de police : «nous avons reçu des instructions verbales du haut-lieu». Instructions verbales ! La veille, Pierre André Kombila n’a pu, lui aussi, répondre à l’invitation des Laboratoires Servier. Il devait aller prendre part aux 25èmes Journées Européennes de la Cardiologie qui avaient pour thème «La cardiologie sur mesure». Selon le Professeur de cardiologie, quelques jours avant la date du voyage, il avait pris soin d’aller rencontrer le Procureur de la République pour savoir s’il faisait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire, et il lui avait été répondu qu’il pouvait voyager sans problème. On sait ce qu’il advint à l’aéroport. Pour Pierre-André Kombila, il y a «une prise en otage du Gabon et de son peuple par un groupement politique qui s’est arrogé tous les droits».
Depuis bientôt six ans, la liberté de mouvement des responsables de l’opposition et de la société civile est régulièrement violée. On peut être surpris par ces mesures qui ne donnent pas une bonne image de notre pays. D’ailleurs, de nombreux responsables d’organisations internationales, parfois au plus haut niveau, manifestent, depuis quelque temps, un certain agacement à ce sujet. Dans les grandes démocraties, l’interdiction de voyager est infligée à des personnes soupçonnées de terrorisme, et cette interdiction leur est formellement signifiée.