Si elle a fait dans la langue de bois, Cynthia Akuetteh n’en pas moins évoqué «la prochaine phase de (l’) histoire (du Gabon)», souhaitant que la prochaine présidentielle soit organisée dans «le respect des lois gabonaises et des normes internationales de transparence». Pourquoi ces rappels si tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Rendue publique le 12 janvier dernier, la déclaration de l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique près la République gabonaise n’a pas fini de faire des vagues. Dans les chaumières, chacun y va de son commentaire. Les diverses réactions lues ou entendues çà et là témoignent de l’intérêt des élites nationales pour cette prise de position. Au-delà des lectures délibérément biaisées, volontairement orientées et forcément partisanes, il y a lieu de relire avec froideur le propos de Cynthia Akuetteh.
La prise de parole d’un diplomate étranger, nouvellement accrédité, sur des sujets de politique intérieure ne sera jamais anodine. Elle sera toujours un indicateur de sa perception du climat politique national voire une traduction des informations en sa possession au moment de sa prise de fonction. Selon le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, l’immixtion volontaire d’un ambassadeur dans la politique intérieure ne peut être tenue pour une péripétie, une simple banalité sans lendemain. Même dans le climat politique surchauffé actuel, on ne peut prendre des distances avec un vieux principe, une vieille tradition, diplomatique et prétendre renvoyer dos-à-dos l’ensemble des composantes de la classe politique.
La diplomatie étant la conduite de négociations et de reconnaissances diplomatiques entre Etats, les autorités du pays accréditaire doivent toujours se sentir davantage concernés que les autres forces sociales. Ne pas l’admettre reviendrait à ignorer les fondements de la diplomatie : la représentation de l’État accréditant, la protection de ses intérêts et ses ressortissants, la négociation avec l’État accréditaire, l’information de l’évolution des évènements dans l’État accréditaire et le développement de la coopération. La diplomatie est la fille naturelle des relations entre Etats. De tout temps, elle a mis en scène des communautés politiques organisées dans le cadre de territoires. Jamais, elle n’a placé de parti politique en face d’une puissance. Des encouragements au «débat politique sain», au «dialogue politique constructif sur des questions de fond» ou encore au «dialogue ouvert et inclusif» formulés par un ambassadeur ? Des gouvernants en responsabilité ne peuvent s’en réjouir. En creux, cela résonne et résonnera toujours comme la dénonciation d’un climat politique pollué par la superficialité et un mauvais rapport aux normes. Dans le fond, cela traduit et traduira toujours la mise à l’index d’une gouvernance fondée sur l’écume des choses et les passe-droits. Au vrai, cela se ramène et se ramènera toujours à une attaque en règle contre un leadership fondé sur l’exclusion et l’intolérance.
Respect du verdict des urnes
Rien, mais alors rien, ne justifie aujourd’hui les vivats entendus çà et là dans les rangs de la majorité. Une condamnation pouvant l’être par principe, en vertu d’un code moral et pour se donner bonne conscience, la menace d’une condamnation ne sera jamais synonyme de rejet ou d’opposition. Pis, la «résistance à l’oppression» étant partie intégrante de la hiérarchie des normes gabonaises telles que consignées par la Constitution, la sacralité des «voies démocratiques» se retrouve relativisée voire annihilée par le contexte. Doit-on et peut-on s’en réjouir ? Depuis la restauration de la démocratie en 1990, la réponse est non. Il en va ainsi du «changement de gouvernement par des moyens extraconstitutionnels» ou «des appels à une insurrection ou à la violence». Si l’on se remémore que la démocratie gabonaise est vieille de 24 ans, on ne peut se réjouir de ce qu’un ambassadeur en soit réduit à le rappeler. Pourquoi un diplomate accrédité chez nous devrait-il se sentir l’obligation de rappeler ces fondamentaux de la pratique démocratique ? Parce que l’opposition est composée de «jaloux» et «ingrats» habités par «la haine» ? Sur ce point, Cynthia Akuetteh est muette. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement. Les pouvoirs publics sont les seuls interlocuteurs d’un diplomate dans le pays où il est accrédité, son avis sur l’opposition est réservé aux autorités de son pays d’origine: c’est une règle intangible, la seule valable.
Si la présidentielle de 2016 doit ouvrir «la prochaine phase de (l’) histoire (du Gabon)», si elle doit être préparée dans «le respect des lois gabonaises et des normes internationales de transparence», il faudrait s’interroger sur la sincérité des précédents scrutins. Il faudrait se demander si la Constitution et la loi électorale ont toujours été respectées. Il faudrait examiner leur conformité avec les engagements internationaux du pays. Il faudrait s’inquiéter de la solidité et de la légitimité de nos institutions. Au-delà, il faudrait chercher à savoir si, pour les Etats-Unis d’Amérique, une page de l’histoire du Gabon est en train de se tourner. Il faudrait même réfléchir à leur éventuelle implication dans l’ouverture d’une «prochaine phase». Or, depuis 47 ans le Gabon est dirigé par le PDG et par des membres de la famille Bongo. En interpelant «ceux qui aspirent à diriger le Gabon dans la prochaine phase de son histoire», Cynthia Akuetteh s’est, en filigrane, prononcée sinon pour une alternance, du moins pour le respect du verdict des urnes. Ce propos, la langue de bois diplomatique l’a occultée. Mais, l’essentiel, est sauf : elle a exprimé l’«engagement (des Etats-Unis d’Amérique) à la démocratie et à la résolution pacifique des différends politiques». Il y aurait donc un «différend politique» au Gabon ? Comprenne qui pourra…