L’absence de précisions dans ses réponses montre que le président de la République est gêné aux entournures par le débat sur la sincérité de son acte de naissance. Au point que l’on se demande si, en assignant son homologue du Mouvement de redressement national (Morena) en justice, le président du Centre les libéraux réformateurs (CLR) n’a pas tendu un piège à ceux qu’il dit défendre.
Ali Bongo n’est pas content. Mais, alors là, pas du tout ! Dans ses vœux à la presse, le 8 janvier dernier, il a dénoncé «la haine», «l’intolérance» et «le pessimisme» de certains médias, accusés d’outrepasser la liberté de la presse et de produire des articles injurieux contre certaines personnalités dont lui-même. Intervenant sur Radio France Internationale, quelques jours plus tard, il a lancé, au sujet de son acte de naissance : «Les petits esprits discutent des gens», sans en dire davantage sur un sujet où il se sait pourtant attendu. Cette absence de précisions, de détails et ce refus de s’épancher traduisent indubitablement une gêne, un trouble et surtout une volonté manifeste de déplacer le débat en passant à autre chose.
L’agacement et le ras-le-bol exprimés par le président de la République s’expliquent aisément. Face aux actions en justice de Luc Bengono Nsi sur son état-civil et à la tournure prise par les événements depuis la parution du livre de Pierre Péan «Nouvelles affaires africaines – Mensonges et pillages au Gabon», il entendait confier à ses proches le soin de répondre, faire personnellement le dos rond en attendant l’accalmie, avant d’opposer son «projet» et ses «réformes». Mais, cette stratégie semble tourner court. La récente assignation en justice de Luc Bengono Nsi par Jean Boniface Assélé, réputé être son oncle maternel, pour «vol et recel des pièces d’état-civil par voies frauduleuses» a relancé le débat sur son acte de naissance, le contraignant à dénoncer «des faux documents».
Nouvel élément versé au dossier
Trop de zèle, trop d’initiatives intempestives, mal pensées et pas coordonnées ont fini par parasiter sa stratégie, brisant même sa ligne de défense. «Bravo Tonton associé (pseudonyme de Jean Boniface Assélé – ndlr). Au moins, on aura un débat sur le fameux vrai faux acte de naissance de ton neveu», ironise un internaute. «Avec la plainte d’Assélé, le débat est relancé et confirme que c’est bien le 3e arrondissement qui a fabriqué le faux acte de naissance- et on demandera à Assélé où est-ce qu’il a caché le vrai acte», renchérit un autre, ajoutant : «Ce qui confirme que son neveu est adopté», avant de trancher : «La question que je me pose, pourquoi Assélé fait cela ? J’ai comme l’impression qu’il veut couler le neveu car cela confirme qu’il sont dans le faux».
Depuis toujours, l’opinion peine à saisir la nature réelle des relations de Jean Boniface Assélé avec le PDG, la famille Bongo et ses alliés de la famille Dabany. Le président du Centre des Libéraux réformateurs (CLR) n’est pas à une contradiction ou une gaffe près : un jour, il prend ses distances, le lendemain il se fait obséquieux, alternant déclarations tonitruantes et révélations spectaculaires. Si sa longévité et ses gains politiques en font une personnalité de premier plan, ses déclarations sur sa famille biologique et son attitude vis-à-vis de sa famille politique en font un personnage insaisissable, haut en couleurs. Systématiquement, il déroute ou surprend. Aujourd’hui, il en est à reprocher à «Luc Bengone Nsi (de posséder) l’acte de naissance de (son) neveu Ali, et (de l’avoir) divulgué, (…) sans aucune autorisation du concerné». Il espère bien que le délit de «vol et recel d’un document à autrui» sera constitué. Mais, la justice pourrait bien avoir du mal à connaître de cette question : non seulement Ali Bongo n’est plus un mineur mais en plus, le tribunal de première instance de Libreville pourrait, malgré lui, redonner du sens à la plainte du Front de l’opposition pour l’alternance en considérant qu’un nouvel élément a été versé au dossier.
Débat de fond
Les dégâts de la plainte de Jean Boniface Assélé ne se limitent pas à sa seule famille biologique. Ils s’étendent aux institutions, notamment le président de la République et l’autorité judiciaire, visiblement pris au piège. «Comment la justice fera-t-elle pour connaître de la plainte contre Bengono Nsi sans évoquer celle dont il est l’auteur au sujet du même acte de naissance ?», s’interroge un journaliste, qui poursuit : «Avant de se pencher sur le vol ou le recel de document ne doit-on pas statuer sur son authenticité, surtout quand on le sait querellé ?».
Naturellement, les proches du président du CLR ne sont pas de cet avis. Pour eux, les procédures sont distinctes et ne sauraient être jointes. «Le tribunal s’est déclaré incompétent parce que c’est le président de la République qui était assigné en justice. Là, c’est différent : c’est un citoyen ordinaire qui est en cause», explique un élu CLR, qui ajoute : «Le vol et le recel sont des délits pénaux alors que l’authenticité d’une acte d’état-civil est administratif». Et de trancher : «Il ne faut rien confondre ni mélanger». Tout est dit : la plainte de Jean Boniface Assélé vise à amener la justice à punir Luc Bengono Nsi sans pour autant se pencher sur la validité du document en question. A-t-il seulement tenu compte de l’éventuelle stratégie de la défense et des digressions pouvant résulter du débat de fond inhérent à tout procès ? On le voit : du président de la République à l’autorité judiciaire, l’ensemble de l’édifice institutionnel est mis à mal par cette affaire d’acte de naissance querellé. Fallait-il en rajouter ?