Parce qu’elle symbolise une certaine conception de la République, fondée sur l’égalité de tous devant la loi, la justice doit être équitable pour tous les citoyens, mais l’Affaire Mayila est venu rappeler que l’Etat de droit a du mal à se mettre en place dans un pays où le Procureur de la République, Sidonie Flore Ouwé Itsiembou, semble dépassée par les événements et au moment où ses déclarations ressemblent de plus en plus à de simples incantations. «Elle brasse de l’air, le Procureur ?», se demandent des proches des autres inculpés.
Depuis l’affaire relative à la fabrication de fausse monnaie ayant défrayé la chronique en septembre 2014, une dizaine de personnes avaient été impliquées, dont Louis-Gaston Mayila, 67 ans, avocat, homme politique, point focal de cette affaire et, dans le privé, oncle du ministre de l’Intérieur Guy-Bertrand Mapangou, et le magistrat Edzo Edzo. L’opinion a été surprise d’apprendre «la mise en liberté provisoire», le 12 novembre dernier, du président de l’Union pour une nouvelle République (UPNR), qui n’aura finalement pas passé une seule nuitée à Sans-Famille, le pénitencier de Libreville. On ne saurait affirmer si le ministre de l’Intérieur, chef de la Police, Guy-Bertrand Mapangou, s’est impliqué dans cette «procédure», mais il est fortement soupçonné d’avoir laissé faire. L’on n’oubliera pas que le président de l’UPNR, dont il avait été le directeur de cabinet lorsque celui-ci présidait le Conseil économique et social, est de sa parentèle.
«Choquant», «incompréhensible», la mise en liberté provisoire du principal acteur de l’affaire
Pour les proches du magistrat Edzo Edzo et des autres détenus, la mise en liberté, fût-elle provisoire, de Louis-Gaston Mayila montre à quel point selon qu’on est «grand» ou «petit», la justice vous sanctionnera autrement. Pour un magistrat de la Cour de Cassation, «il est incontestable que cette décision a considérablement affaibli la justice gabonaise, d’autant plus que dans les déclarations qu’elle avait faites au lendemain de la découverte de cette affaire de fabrication de la fausse monnaie, Sidonie Flore Ouwé Itsiembou avait parlé de «flagrance» ou de «flagrant délit» pour évoquer les conditions de l’affaire dans laquelle est impliqué Maître Mayila».
Le regard des Gabonais envers la justice paraît simple, mais en réalité, ils sont de plus en plus exigeants envers leur justice. Sous Ali Bongo, ils ne sont plus disposés à laisser passer ce dont ils ne faisaient presque aucun cas, il n’y a pas si longtemps sous le magistère d’Omar Bongo. Il n’y a qu’à voir sur les réseaux sociaux combien ils sont unanimes : la justice se doit, pour eux, d’être impartiale et équitable.
Pas une seule nuit en prison pour Louis-Gaston Mayila, principal acteur de l’affaire
Dès son transfèrement, le 25 septembre dernier, avec les neuf autres inculpés de l’affaire dite de la fausse monnaie, à la Prison centrale de Gros-Bouquet, Louis-Gaston Mayila s’était pris d’un malaise et avait du être transporté dans une clinique privée de Libreville. Sept semaines plus tard, le 12 novembre précisément, alors que son état ne suscitait plus d’inquiétude, il a été non pas reconduit à la prison de Gros-Bouquet, mais… à son domicile de Montagne-Sainte en raison d’une notification de «mise en liberté provisoire» délivrée par la justice. Sidonie Flore Ouwé s’est déjugée, elle qui, deux mois et demi auparavant, avait expliqué, avec moult détails, les raisons de l’inculpation de Louis-Gaston Mayila et de la mise sous mandat de dépôt de l’intéressé. «Le juge s’est déjugée», plaisante un magistrat ayant requis l’anonymat, avant d’ajouter : «Sidonie aime tellement les médias qu’elle va finir elle-même par se décrédibiliser comme Alain-Claude Billie By Nzé». «Dur, dur, d’être une star des médias sous l’Emergence pour toutes ces personnalités qui aiment être sous les feux des projecteurs !», souligne un ancien présentateur de l’émission Pluriel sur la RTG1.
Pendant que Me Mayila est en liberté provisoire, le magistrat Edzo Edzo et les neuf autres personnes citées dans l’affaire demeurent en «détention provisoire». La justice gabonaise administre ainsi à l’opinion publique la preuve de ses limites. Elle est bien une «justice à deux vitesses». Or, comme l’indiquait Montesquieu, la justice a deux impératifs. Le premier est d’être juste. Il doit être basé sur des principes simples : ne pas rendre une justice qui varierait selon les circonstances et selon les justiciables. Dans le cas qui préoccupe actuellement l’opinion, soit tous les protagonistes sont en «liberté provisoire», soit ils sont en «détention provisoire». Le deuxième impératif est de faire montre de responsabilité. Celle-ci est la réponse unique à une telle situation. C’est le mot-clé qui doit unir justice et justiciables. La responsabilité, c’est de trancher sans retard des affaires de «flagrance». L’esprit de responsabilité est guidé par le souci de l’intérêt général. Plus que tout autre intérêt, la justice doit puiser en elle sa propre inspiration. Pour rester fidèle à l’esprit de Montesquieu, pour rester fidèle aux valeurs fondatrices de la justice, la République doit être la même pour tous.