Les mouvements d’humeur se multiplient alors que gouvernement, patronat et syndicats sont en négociation depuis une semaine. Dernière annonce de «grève générale illimitée» en date : le Syndicat des agents de la direction générale du Budget (SYNA-DGB) appelle ses adhérents et sympathisants à «lever le pied». Les revendications salariales et sociales demeurent les principales exigences des agents de l’administration publique.
Ce n’est pas encore la contestation généralisée de 1990, mais on semble s’y approcher. C’est en effet une fin d’année particulièrement mouvementée que vit le Gabon. Elle est forcément éprouvante pour le chef du gouvernement et les membres de son équipe, bien que certains d’entre eux ne donnent pas forcément l’impression d’en avoir pris conscience. Grèves à répétition, mouvements d’humeur interminables, avec notamment Radio Gabon et Gabon Télévision en service minimum, Direction de la Solde fermée, ONEP très active sur le front social…
Il est à se demander si la solution à cette sorte de «chienlit» qui s’installe en douceur dans le pays n’est pas politique ou s’il ne faudrait pas convoquer une grande conférence sociale destinée à permettre l’amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de vie des agents publics. «Parce que, pour le moment, être fonctionnaire, c’est être dépourvu. Sauf si on fait la politique ou si on gère une caisse, parce que seules les fonctions politiques paient, mais tout le monde ne peut pas faire de la politique ou gérer un budget», regrette un fonctionnaire avec ses 30 ans d’ancienneté au ministère de la Jeunesse et des Sports. Il ajoute : «avez-vous vu un fonctionnaire acheter un véhicule neuf ou se loger vraiment décemment ? Soit nous louons, soit nous construisons des habitations qui sont en fait des matitis sur des terrains impropres à la construction ; pour les voitures, nous ne pouvons acheter que des voitures d’occasion à l’usure avancée». Jeanne-Marie, 37 ans, qui exerce au ministère du Travail et de l’Emploi, affirme soutenir les mouvements d’humeur en cours dans de nombreuses administrations «parce qu’il ne faut pas se leurrer, le gouvernement ne peut pas penser lui-même à nous améliorer les conditions de vie».
La contestation sociale prend de l’ampleur
Aujourd’hui, sur les vingt-cinq départements ministériels que compte le gouvernement Ona Ondo II, plus de la moitié connaissent des mouvements d’humeur. Les médias publics, Radio Gabon et Gabon Télévision, sont entrés dans la danse avec toutefois l’observance d’un service minimum. Le front social est de toute évidence en ébullition. Les négociations entre le gouvernement et les partenaires sociaux qui se tiennent actuellement avec tout le lot de suspicions qui les entourent et au centre desquelles se trouve Samuel Ngoua Ngou n’ont pas l’air de mener à l’accalmie.
A la lumière de ce qui se dit au Stade de l’Amitié où se déroulent ces pourparlers et au vu de l’ampleur que prend chaque jour la contestation sociale, on peut penser qu’il est temps, comme le souhaite le Représentant spécial du Secrétaire Général de l’Organisation des Nations-Unies, Abdoulaye Bathily, que les acteurs politiques se parlent. Sinon, jusqu’à quand va durer cette situation de quasi-paralysie des administrations ? Et parce qu’il s’agit d’une crise politico-sociale, il apparaît plus que jamais nécessaire que les hommes politiques des deux bords et la société civile se retrouvent pour se parler dans «l’intérêt supérieur du pays».
«Les syndicats poussent, le gouvernement tousse»
Pour le moment, il semble que la trêve sociale que souhaite obtenir le gouvernement pour la période devant mener le Gabon jusqu’à l’élection présidentielle prévue en août 2016, dans 20 mois exactement, pourrait avoir du mal à s’instaurer. Trop de promesses ont été faites par le passé sous Biyoghé Mba et Raymond Ndong Sima qui n’ont pas connu un début de concrétisation. Le Premier ministre actuel, lui, devrait commencer par tempérer l’aspect abrupt de certaines de ses prises de position qui ont contrarié ses interlocuteurs. Il lui fallait en fait, sur ce dossier, mettre de remarquables juristes, des hommes engagés mais non partisans, et promettre d’ouvrir autant que faire se peut la tirelire. Or, avec la mauvaise conduite des dossiers côté gouvernement et peut-être à cause des tensions de trésorerie de l’Etat, Daniel Ona Ondo, pourtant intellectuellement bien préparé, a manqué parfois de tact dans les négociations. Ce qui avait provoqué, il y a quelques semaines, une forme de rupture entre les deux parties. Les syndicats poussent aujourd’hui à la concrétisation des premières promesses, à la matérialisation des décisions prises de commun accord l’année dernière avec le gouvernement, mais le cabinet Ona Ondo affirme attendre les décisions in fine du chef de l’Etat. Ce «gouvernement des urgences» ne se montre pas à la hauteur des exigences sociales. Il tousse, il tousse, et nous on pousse parce que ses promesses initiales et actuelles doivent enfin être tenues», indique un syndicaliste de la Fonction publique qui siège à la Commission nationale du Dialogue social.
A l’allure où s’allument les foyers de tension, les uns après les autres, ou les uns au même moment que les autres, il faudrait au chef du gouvernement une bonne marge de manœuvre pour décider de la suite à réserver aux revendications. Or, s’il doit se contenter, comme il le fait, de n’être qu’un «rapporteur général» de la Commission, autant organiser une Conférence sociale en présence du président de la République. Une Conférence sociale qui permettrait de régler, pour plusieurs années, pour longtemps, le sempiternel problème des rémunérations dans la Fonction publique avec relèvement du point d’indice, augmentation du salaire minimum et amélioration des pensions-retraite. La grève qui s’est déclenchée à la direction générale du Budget et qui pourrait paraître surprenante d’autant plus que ce n’est pas dans cette administration que les agents publics sont les plus malheureux est révélatrice d’un fait : «les choses ne vont pas bien dans le pays», avance un ancien ministre devenu député.